Destruction et reconstruction, 1834-36

Jackson avait passé un mois à l’Hermitage à l’été 1834 pour être présent à l’accouchement de sa première petite-fille, Rachel, ainsi que pour remettre un peu d’ordre dans les affaires de la ferme, mise à mal par les agissements du régisseur Holtzclaw, remplacé d’ailleurs par Jackson (Remini, III : 183), et l’indifférence de Junior. Malgré son inquiétude pour la santé précaire de Sarah et de sa fille, Jackson dut reprendre la route de la Maison-Blanche en septembre, faisant promettre à son fils de le tenir informé de la situation de sa famille et de son domaine. Jackson se rongea d’inquiétude pendant trente jours sans aucune nouvelle, aussi déçu qu’inquiet par le silence de Junior :

‘My son, Thirty days has elapsed since we left the Hermitage, Sarah on a sick bed & the babe not recovered from its attack. I left them with great anxiety for their restoration to health, but I resigned them to the protection of that allwise providence who holds us in the hollow of his hands, in confidence he would preserve them. Still I had your promise my son, that you would write me how they were, and I am now, even now, without one line from you. I am wearied with anxiety and disappointment. I have daily since my arrival here expected to receive a letter from you, and with each day, a disappointment (...) I am at a loss to conclude, and am still at a greater loss to account for your silence, after the charge I gave you, and your promise to write me (cité dans Remini, III : 184).

Les nouvelles du Tennessee n’étaient pas bonnes et provinrent début novembre des amis de Jackson, qui annonçaient l’horreur de l’incendie du lundi 13 octobre, à 16h. Une lettre de Junior, à laquelle se réfèrent tous les correspondants pour le détail de l’incendie, est malheureusement perdue. Nous ne possédons que quelques lettres des proches, dont celles de Stockley D. Donelson, un neveu de Rachel, et de Robert Armstrong, un ami de Jackson qui rendait souvent compte au propriétaire absent de l’état de sa plantation. Le 14 octobre, Donelson écrivait :

‘I address you a short note to day on the unfortunate occurance that took place in the Hermitage yesterday afternoon. I passed the Hermitage this morning and Andrew informed me that he had given you a detailed statement of the Burning of the Hermitage, etc. A fire was kindled in the old dining room and the chimney caught on fire, which not being observed immediately, and the wind being from the north west, the fire was communicated to the roof. The flame however had not spread very far before it was discovered by Squire and Charles, and the alarm given. Cousin Sarah at this moment was in the house having just returned from a short ride and Andrew was in the field, but a short distance from the house. The fire was soon discovered by Wm. Donelson hands who were working near at hand, by A. J. Donelson work men and hands, as well as by your own hands. They were all on the ground before the roof fell in etc. Mr. Rife by his own exertion succeeded in getting on the dining room roof and extinguishing the flames etc. Others were employed in getting out the furniture which was nearly all saved, except some bedsteads upstairs. I have made every enquiry. I interrogated Mr. Rife and Hume who were up stairs and in the old dining room where the fire was kindled first and they both say it was not an unreasonably large fire. The weather was very dry and windy. I can therefore I think assure you it was a perfect accident, about which no one is to blame. When the fire was first discovered by Charles and Squire they made every effort to get to the direction to save the furniture, and Her and Andrew though much Hurt, I am happy to add bear the misfortune with fortitude (Bassett, V : 295-96 ; cité dans Trescott, 1981, III : 1-2 ).

L’étendue des dégâts ne fut jamais précisément établie par les historiens et aucun document ne fait état des dommages réels subis par la maison. Durant la restauration de la bibliothèque entreprise dans les années 1960, il fut retrouvé des parties en bois complètement carbonisées, encastrées dans le plâtre, ce qui fait penser que cette aile de la maison fut aussi la proie des flammes (Trescott, 1981, III : 4). La tendance générale est de penser que seul le rez-de-chaussée dans l’aile ouest (salle à manger, salon et cuisine) fut épargné par le sinistre. Les témoignages montrent que seul le mobilier du bas fut sauvé à temps malgré le déménagement hâtif. La correspondance de Rachel, entreposée au premier étage, fut dévorée par le feu, nous privant ainsi de la plupart des lettres de Mrs Jackson.

En l’absence de responsabilité humaine, Jackson s’inclina devant la volonté du ciel. Il apprit sans broncher la nouvelle le 23 octobre, en Job résigné : ‘“The Lords wil be done. It was he that gave me the means to build it, and he has the right to destroy it, and blessed be his name”’ (cité dans Remini, III : 186) 511. La première préoccupation était de couvrir les décombres afin de préserver les murs et ce qui restait du sinistre des pluies hivernales qui allaient tout gâcher. Avec son énergie habituelle face aux coups du sort, Jackson énuméra l’ensemble des mesures immédiates à prendre. Dans deux lettres envoyées à son fils les 24 et 25 octobre, il donnait déjà les instructions concernant la reconstruction, débloquait 1 500 dollars en faveur de Robert Armstrong pour faire face aux premières dépenses, s’enquérait de l’état de sa cave à vins et enfin, enjoignait Andrew Jr. de ne pas oublier la récolte de coton déjà endommagée par le gel du printemps, car le fruit de la vente serait très certainement englouti dans le coût de la reconstruction (Remini, III : 186).

Heureusement pour le patriarche planteur, l’ineptie de Junior dans la gestion de la ferme fut palliée en partie par la présence attentive de deux amis proches de Jackson, Robert Armstrong et William B. Lewis, qui écrivaient régulièrement au président. La famille de Junior s’était réfugiée à Hunter’s Hill, dite aussi la ferme de Baldwin, selon le nom du dernier propriétaire, que Jackson avait rachetée en 1832. Mais, de par la venue de l’hiver et le confort apparemment relatif de la demeure, il fut décidé que Sarah et la petite Rachel se rendraient à Washington chez “Grandpapa”. Lewis se proposa d’accompagner la petite famille dont le père devait rester jusqu’à l’envoi du coton au marché et la couverture de la maison sans toit (Remini, III : 187).

Le contrat de reconstruction entre Junior et les chefs de travaux Joseph Rieff et William C. Hume fut signé sous la houlette de Charles J. Love et Robert Armstrong le 1er janvier 1835. Les deux maîtres d’oeuvre officiant pour A. J. Donelson à Tulip Grove, à quelques centaines de mètres de l’Hermitage, furent engagés pour mener à bien une entreprise dont l’ampleur n’aurait d’égal que son coût énorme pour la bourse déjà fragilisée du président. Le devis se montait à 3 950 dollars, sans compter la peinture 512. L’article 9 du contrat détermine la durée des travaux ainsi :

‘Article 9th. The said Rieff and Hume are to purchase the Lumber and commence the work immediately, and further agree that the Carpenters work shall be so forwarded as to let the plasterers in to commence their Job by Ist or middle of September next, so that the House can be completely finished by 25 december 1835 (Bassett, V : 317).

L’influence du renouveau grec, manifeste dans la reconstruction de la Maison-Blanche après sa destruction par les Anglais en 1814 (de même que Mont Vernon, que Jackson avait plusieurs fois visité), marque profondément les changements apportés à l’Hermitage, notamment dans la construction du portique monumental, inspiré des deux bâtiments cités ci-dessus. D’autres suggestions des proches de Jackson, ainsi que des changements exigés par Junior 513, augmentèrent sensiblement les coûts et rallongèrent les délais, d’autant qu’il était devenu très difficile de trouver de la main d’oeuvre 514 (Remini, III : 189).

Le pays suivit l’affaire de près et des témoignages de sympathie affluèrent de tous côtés. Une souscription fut lancée à la Nouvelle-Orléans, demandant à qui le désirait de contribuer cinquante cents, afin que chaque “homme de la rue” puisse y participer, pour aider à la réparation de l’Hermitage. Jackson refusa et pria les généreux donateurs de reverser le produit de la collecte à des oeuvres charitables (Remini, III : 188).

Les calamités se poursuivirent, jusqu’à l’incendie du John Randoph dans le port de Nashville alors que les nouveaux meubles s’apprêtaient à être livrés dans la nouvelle demeure. Le total des achats effectués à Philadelphie chez sept marchands différents s’élevait à 2 3O7,77 dollars. Bon nombre des articles fut détruit, notamment les rouleaux du papier peint destiné au grand hall d’entrée et représentant, en vingt-quatre panneaux, l’histoire de Télémaque, au prix fort de 120 dollars (Remini, III : 189-190).

Le coût financier énorme pour un homme dont les affaires personnelles souffraient déjà de son engagement dans la chose publique et du train de vie élevé qu’il menait à Washington, le força à vendre des avoirs fonciers dans l’ouest du Tennessee. Dans une lettre à Junior, il écrit :

‘You told me some time ago that there was a man would give five dollars per acre for 400 acres. If you can get that for it in cash I authorize you to sell it. You can say with truth that I had declined taking that offer for it because it was too low; but the burning of my house, and now my furniture, makes it necessary for me to sell (Bassett, V : 396).

Jackson rentra “pauvre” de son second mandat présidentiel, avec 90 dollars en poche, une ferme en délabrement et le toit de sa nouvelle maison qui prenait l’eau. Pour la suite, son optimisme était mesuré mais ferme : ‘“relying on our industry and economy to yield us a support, trusting to a kind providence for good seasons and a prosperous crop”’ (cité dans Horn, 1950 : 71). L’avènement de cette dernière version de l’Hermitage est aussi pour Jackson le moment où il veut se dégager de toutes responsabilités et s’en remettre définitivement à Junior et Sarah pour la gestion de la plantation. Il écrit à son fils : ‘“All I want is a good room to which I can retire if I am spared to live out my irksome term here, and I am sure I shall not want that room long”’ (cité dans Remini, III : 187). Toutefois, l’état lamentable de la plantation et les dettes accumulées l’inquiètent et le désespèrent : ‘“I have lost more property since I have been here than in a long life before”’ (Bassett, V : 394). Jackson continuait de conseiller son fils étroitement (Bassett, V : 388-89 ; 396-97).

Le 1er juillet 1843, le Nile’s National Register saluait la simplicité associée au général. Pourtant, à cette époque tardive, la maison au style néo-classique ressemblait à toutes les grandes maisons du Sud, chargées d’une majesté qui eût sans doute charmé l’oeil de Levasseur :

‘Nothing here bears the stamp of ostentation and fastidious taste. There is an easy elegance which impresses the feeling that nature had done everything, and art nothing, and that all the comforts and all the beauties that around were scattered by the profuse hand of the same benevolent power which created paradise a wilderness of spontaneous bounty and beauty.’

Le journal attibuait sans doute à la demeure l’idée révolutionnaire de la simplicité républicaine de son propriétaire. De même que les vêtements stricts et sombres témoignaient d’une sobriété de bon aloi, la demeure affichait l’esprit d’“élégance naturelle” dont Jackson était le représentant le plus digne. Là encore, l’idéologie nationale à laquelle le vieux soldat était associé passait sans ciller sur les preuves les plus flagrantes de l’appartenance de Jackson à l’aristocratie sudiste des grands propriétaires d’esclaves 515. Pourtant, l’Hermitage n’était pas qu’une carte de visite ni seulement l’emblème d’un statut social supérieur. L’Hermitage était un lieu de production agricole et de résidence, comme nous allons le voir à présent.

Notes
511.

La lettre débute ainsi : “As no neglect is imputed to any one, and it appears one of those accidental occurrences where there is no blame attached to any, we ought, and do meet it, as an act of providence, and always reconciled to his will, and prepared to say at all times and under all circumstances, ‘The Lords will be done.’”

512.

Pour donner une idée du raffinement de la demeure, on mentionnera l’escalier circulaire, les dix-sept paires de stores vénitiens, ou le premier étage du porche, avec les six colonnes (Bassett, V : 316).

513.

Voir l’article passionnant de McKee, Hood et McPherson (1992) sur l’historique de cette cuisine, détachée de la maison, un changement supplémentaire voulu par Junior pour adapter la maison aux moeurs de l’époque, en isolant les maîtres de l’activité et de la présence des domestiques. Jackson ne fit pas de remarque de fond sur cette nouvelle approche, mais se préoccupa seulement de limiter les dépenses.

514.

Dans sa lettre du 25 avril 1836, Love explique le problème de main-d’oeuvre par l’exode massif des artisans vers les grandes plantations du Delta : “Andrew [Jr.] understands all the difficulties of geting hands and of Keeping them, The extream high prices now given etc. In truth the House could not now be built for 50 pCent added, workmen are not to be had, all gone and going to Mississppi and Lousi” (Bassett, V : 399). Au total, le nouvel Hermitage s’élevait à 5 125 dollars, sans compter la perte des anciens meubles et l’achat des nouveaux (Bassett, V : 414).

515.

D’ailleurs, l’Hermitage ne fut pas le seul domaine qu’il exploita puisque d’autres plantations furent l’objet de son attention (voir Annexe IV : 576-591).