Les autres produits de l’Hermitage : “The eye of the owner makes the ox fat” 530

L’Hermitage était une ferme importante dont l’auto-suffisance, toujours recherchée, n’était pas toujours atteinte. Pourtant, Jackson tenait à produire le plus possible sur place pour éviter d’avoir à acheter ailleurs. Comme l’énonce Arnow :

‘I found on the Cumberland no inventory to indicate a farm family that had tried to live from the proceeds of the sale of crops alone; all had much to indicate that the first aim of farming was to supply the family needs (1960 : 321).

Nous verrons plus bas que la “famille” de Jackson comptait dans les années 1830 une centaine d’esclaves en sus de sa famille blanche, un nombre impressionnant de personnes à nourrir. Au fil des années, on dénombre à l’Hermitage dix-neuf types de culture différents, sept espèces de bestiaux, un moulin, deux égreneuses à coton, un four à briques, une scierie, un atelier de forgeron (Walker, 1943 : 25). Il faut ajouter que depuis longtemps dans le Sud, les récoltes de grain complétaient les produits commerciaux comme le tabac ou le coton, mais cette production était consommée sur place ou vendue localement (Chaplin, 1991 : 187-88).

Jackson semblait très prévoyant sur le fait de toujours avoir des graines à planter pour l’année suivante. En 1834, il écrivait à Junior : ‘“[N]ever be without seed raised on your farm of everything you cultivate, it is a wretched mode of farming that shews careless management wherever it happens”’ (cité dans Walker, 1943 : 25). Arnow confirme cette règle d’or d’une bonne économie agricole : ‘“Practically all crops mentioned, save some of the vegetables and tobacco, were harvested at maturity so that seed for the next season was never a problem”’ (1960 : 314). La stabilité de l’entreprise reposait évidemment sur l’expérience du maître, et sur sa prévoyance, mais aussi, dans le cas du propriétaire absent, sur la compétence de son régisseur.

Jackson s’indignait que le régisseur de sa plantation du Mississippi n’ait pas planté suffisamment de maïs pour nourrir les porcs :

‘I regret that your supply of corn is nearly out (...) It is bad oeconomy not to raise corn enough. when you have no corn your hoggs will go wild, and to raise cotton to buy corn and pork which is bad oeconomy (...) Take this hint in future, recollecting that one barrel of corn raised on the farm is worth one and a half of corn shipped (Bassett, VI : 289).

En 1833, il en remontrait à Burnard Holtzclaw, le régisseur de l’Hermitage, car la quantité de maïs consommée par les 400 porcs de la propriété lui semblait bien supérieure au nombre d’animaux destiné à l’abattage : ‘“What has become of them? there has been more corn fed to them than would buy more Pork than the 86 will make”’ (Bassett, V : 222). La confusion de Jackson n’avait d’égale que celle de sa syntaxe, mais il disait être en droit d’attendre au moins le double de porcs à abattre. Son régisseur précédent non plus n’avait pas la quantité suffisante pour la consommation de la plantation. Jackson ne voulait pas dépenser d’argent à acheter ce qu’il pouvait produire lui-même (Bassett, IV : 85).

Jackson, indigné, donnait à Junior pour exemple de sagesse économique sa propre gestion du maïs, qui, affirmait-il, faisait à présent autorité en Alabama : ‘“I convinced the cotton growers in alabama since of this. I allways had made on A. J. Hutchings farm and my own, plenty of corn which made plenty of Pork, and besides as many bales to the hands, in due season, could pick out” ’(cité dans Walker, 1943 : 25). Cette recommandation se réfère à l’un des principes récurrents de Jackson sur l’adéquation des moyens aux besoins. Cet équilibre entre les moyens employés et les objectifs à atteindre constituait la bonne économie qui seule assurerait un rendement satisfaisant à la santé de l’entreprise.

Le maïs était la denrée de base utilisée également pour le whiskey et dont le Tennessee était un producteur majeur 531 (Abernethy, 1932 : 150-51). Au fil des années, le maïs prit de plus en plus d’importance à l’Hermitage puisqu’en 1833, Jackson avait trois cents acres de maïs contre deux cents de coton. D’après les documents préservés, le blé couvrait une vingtaine d’acres et l’avoine entre cinquante et cent vingt acres (Walker, 1943 : 25-26). Jackson voyait dans l’avoine un excellent substitut au maïs pour l’élevage des porcs :

‘You ought to sow this year, this spring from 60, to one hundred acres in oats. You say your corn will be scarce, and the oats will relieve you and nothing is better for your Hoggs if you have an oats field to turn them in when heading and in the milk, and they are fine for mares and colts, and thus managed the oatsstraw makes the finest manure rooted, as is always is, and buried in the earth (Bassett, V : 256).

Ainsi, le coton, le maïs et l’avoine étaient les trois grandes cultures de l’Hermitage. Malgré le désir d’auto-suffisance, le manque de compétence ou les conditions atmosphériques rendaient souvent l’achat de certains produits impératif (Moser, V : 531).

À la multitude de cultures s’ajoutait une multitude d’animaux en tous genres, tels vaches, cochons, chevaux, moutons, volailles. Un état des récoltes et des bêtes en 1830 donne une i dée de l’importance de l’exploitation :

‘He had 1,276 barrels of cribbed corn, sixty-four stacks of fodder, forty stacks of oats, eleven stacks of rye, 11,709 pounds of pork killed, and forty hogs to kill. His blooded horses numbered twelve; his common horses, mares, and colts amounted to twenty. Eighty-six heads of cattle, 123 sheep, and 250 heads of hogs, plus the cotton crop of fifty-one balles, completed his inventory for the year (Walker, 1943 : 26).

La plantation employa également de vingt à cent cinquante esclaves, suivant les époques, auxquels s’ajoutent les employés libres, rémunérés à la tâche, et le grand nombre de visiteurs qui séjournaient chez les Jackson. Nous citerons Gawalt qui donne une image frappante de ce que devait être la plantation, loin de l’élégance feutrée et bien entretenue de la légende et des magazines d’offices du tourisme :

‘One must imagine a scene of organized chaos and filth—where several dozen people of all ages live in cramped quarters with no running water except on the ground, outdoor privies (if they are used), farm stock from flocks of fowls to herds of swine and cattle, unrestrained dogs and cats, fields under rough cultivation, woods in every stage from uncut old forest to field of stumps to fields of weeds and scrub evergreens, and the whole mad scene encased in the pall of wood smoke from numerous fires and engulfed in a blanket of alluring and repulsive smells and a barrage of sounds (1993 : 494)

Les compte rendus de visites ne se font pas l’écho de cette atmosphère de l’Hermitage, mais décrivent plutôt celle d’un domaine ordonné et bien tempéré, comme l’évoque ce journaliste :

‘Everything about the place bears the marks of method and good management. A well built and commodious dwelling house, handsomely, though plainly furnished, with an extensive garden, comfortable outhouses, good and well stocked barns and stables, and the whole farm, about 500 acres, in complete fencing, proclaim him the best farmer in the neighborhood (New York Enquirer, 20 janvier 1827).

Cette excellence est détaillée du même ton par Willie Blount, l’ancien gouverneur du Tennessee et ami de Jackson, dans un article du 17 octobre 1824 :

‘His every arrangement for farming on an extensive scale delights the man of observation; his fields are extensive and as nicely cultivated as a garden, his meadows and pastures are extensive and neatly kept; his stocks of horses, cattle, sheep, and hogs are of the best kind, and all in excellent order; his domestics and hirelings are all contented and comfortably provided for, and their daily labor is a pleasure to them. His principal export crop is cotton, of which he cultivates upwards of an hundred acres annually; (...) every thing is peace, order, and harmony around him (archives du Andrew Jackson Papers Project, Knoxville).

Nous l’avons vu et continuerons de nous en rendre compte, la paix et l’ordre régnaient très rarement dans la gestion d’une plantation, et l’on ne doit pas se méprendre sur la description idéalisée de la ferme d’Andrew Jackson. Les visiteurs ne voulaient voir que la magnificence des lieux, sans s’arrêter sur leurs côtés plus fonctionnels. Les esclaves, prudemment appelés ses domestiques, semblent heureux et bien traités, sans plus de détails sur leur “bien-être, preuve qu’il existait des sujets tabous à ne pas aborder frontaement afin de ne pas froisser le maître des lieux. Pourtant, davantage de facteurs poussaient au désordre qu’à l’harmonie et le planteur ne pouvait relâcher un instant son attention sans encourir quelque désagrément préjudiciable à son entreprise.

Le vol comptait pour une part non négligeable des pertes enregistrées par les propriétaires absents. Un example explicite porte sur le nombre de porcs à abattre : ‘“Better sell the corn and buy the Pork than raise it for our neighbors negroes”’ (Bassett, IV : 134). Or, si Jackson avait raison, alors il faut penser qu’une centaine d’animaux auraient ainsi été subtilisés dans l’année ! Le vol à la plantation était souvent le fait des esclaves du lieu, voir des régisseurs eux-mêmes, que les esclaves traitaient de “pauv’ ‘tits blancs” (“po’ white trash”) (Genovese, 1976 : 13), voire des deux classes ensemble puisque Holtzclaw, le régisseur, affirmait bien s’entendre avec les esclaves 532 . En l’absence du maître, la propriété était livrée à ses occupants du moment.

Notes
530.

Cité dans James (1938 : 709).

531.

En 1860, le Tennessee était le cinquième producteur de maïs derrière le Kentucky et les grands producteurs céréaliers des plaines, l’Illinois, l’Ohio et le Missouri (Heffer, 1987 : 48).

532.

Le 6 mars 1833, il écrivait : “I Git alongue With you Negrows Verer will indeede” (Bassett, V : 30). On remarquera l’orthographe approximative du régisseur, ce qui pourrait expliquer la rareté de ses communications avec Jackson, sans présumer des médiocres résultats de sa gestion. Au moins, celui-là savait écrire.