L’hospitalité d’Andrew Jackson

L’autre facette de la plantation, qui faisait pendant à l’activité commerciale, est évidemment la vie sociale brillante, selon l’idée qu’en a donné la littérature, forgeant une image sucrée et romantique de la vie sudiste dans l’aristocratie de la plantation. Il est d’autant plus facile d’imaginer le faste et la socialité de cette élite quand des films aussi marquants que celui de George Cukor, Gone with the Wind (1939), ont montré aux spectateurs l’éblouissant milieu des planteurs du Sud. Mais, les films n’ont fait que reproduire l’impact que les grandes demeures sudistes ont eu également sur des visiteurs étrangers tels que le Duc de Saxe-Weimar (Abernethy, 1990 : 76).

Les tavernes et les hôtels étaient rares dans le premier quart du siècle. Le voyageur introduit trouvait toujours un abri pour la nuit chez quelque planteur. Andrew Jackson, le “prince de l’hospitalité” (Parton, I : 308), avait la réputation de recevoir très facilement et très généreusement toutes sortes de visiteurs, ainsi qu’en témoigne un auteur anonyme :

‘It was about noon when I arrived. Throngs were in attendance, waiting to see the general. He would receive only two or three at once; so I send my card, and after about an hour, was ushered (...) We remained in the general's private room about twenty minutes, and had to give place to others who were waiting (Niles's National Register, 5 juillet 1845).

L’Hermitage était depuis les premières années le théâtre d’un va-et-vient constant et la destination d’un nombre toujours grandissant de curieux, d’amis et de voyageurs en tous genres qui venaient rendre visite au général. Gauthier (1995 : 226) indique pourtant que les voyageurs trouvaient difficilement à manger dans les premières années du siècle, tant la pénurie alimentaire frappait les fermiers. C’est une mesure de la distance qui séparait les grands planteurs de la majorité des citoyens que de montrer combien l’hospitalité de Jackson était large. En outre, Gauthier (1995 : 239) précise que l’hospitalité gratuite ne se pratiquait qu’entre planteurs, comme une forme de loisir et dans un but de réciprocité. Les autres recevaient une hospitalité “de type commercial”. Parton, le premier biographe de Jackson, cite un voisin de Jackson qui définit ainsi le type d’hospitalité conçue par le maître de l’Hermitage :

‘Put down in your book,’ said one of General Jackson's oldest neighbors, ‘that the General was the prince of hospitality; not because he entertained a great many people; but because the poor, belated peddler, was as welcome as the President of the United States, and made so much at his ease that he felt as though he had got home’ (I : 308-09).

On peut penser que cette vision idyllique de l’hospitalité jacksonienne fait fi des pratiques citées plus haut. Il est vrai que beaucoup des visiteurs de l’Hermitage étaient des proches ou des amis, tous membres des classes supérieures. Il reste à prouver que Jackson recevait avec autant de grâce un métayer anonyme se rendant chez quelque membre de sa famille et demandant l’hospitalité pour la nuit au maître de l’Hermitage.

Nous avons dit que le premier Hermitage (1804-1819) contenait de petites structures sans grand confort dont les visiteurs devaient pourtant s’accommoder :

‘A lady of Nashville tells me that she has often been at the Hermitage in those simple old times, when there was in each of the four available rooms, not a guest merely, but a family ; while the young men and solitary travelers who chanced to drop in disposed of themselves on the piazza, or any other half shelter about the house (Parton, I : 308)  533 .

La frontière ne disposait pas d’une structure d’accueil des visiteurs, mais le faisait avec les moyens du bord 534 (Gauthier, 1995 : 236).

Outre l’aspect social de la plantation, l’Hermitage servait aussi de rendez-vous politique (Remini, I : 159). À l’époque, Jackson recevait constamment des visites, que ce fussent de sa belle-famille, d’amis politiques ou non, ou de visiteurs avec des lettres d’introduction, ou non. La durée des séjours variait considérablement. Dans les extrêmes, on peut rappeler que Ralph E. W. Earl arriva un jour de 1817 et n’en repartit jamais, mais y resta jusqu’à sa mort en 1838 535.

Certains membres de la famille venaient parfois passer quelques semaines chez les Jackson, soit parce qu’ils résidaient loin de l’Hermitage et profitaient d’un séjour prolongé, soit pour des raisons plus graves telles que la mort du conjoint. À l’été 1804, le frère de Rachel, Samuel Donelson, passa ses dernières semaines à l’Hermitage. Sa famille était sans doute avec lui puisque dans son testament, il nomma Jackson tuteur de ses enfants (Moser, II : 24). Quand Jackson partit à la guerre en 1813, on se souvient que Rachel avait eu beaucoup de mal à supporter son absence 536. Une de ses nièces, Mary Caffery, avait perdu son mari et vivait avec les Jackson à l’Hermitage (Moser, III : 8n8) 537. Jackson lui-même avait insisté pour que Mary vienne vivre un temps à l’Hermitage :

‘You may Judge of my hurry when you see in mine of yesterday that I overlooked that part of your letter that related to the distresses of Mrs. Caffery, have a house put up for her on any part of the tract where she will be convenient to us and where you choose, or let her live in the house with us as you please, we can always raise a supply for her as well as ourselves, present her with my best wishes (Moser, II : 459-60).

En 1824, d’autres nièces de Rachel vinrent lui tenir compagnie lorsque Jackson était à Washington (Moser, V : 360). L’hospitalité de Jackson devint légendaire et les visiteurs innombrables qui passèrent à l’Hermitage avant et après sa présidence soulignèrent tous la cordialité avec laquelle ils avaient été reçus. James cite Henry Wise (déjà mentionné), futur gouverneur de Virginie, qui passa l’été 1828 à l’Hermitage pour sa lune de miel et décrit l’atmosphère telle qu’il se la rappelait quelques décennies plus tard :

‘The house was full of guests, (...) visitors from all parts of the United States, numbering from twenty to fifty per day, constantly coming and going, all made welcome and all well attended to. The cost (...) was very great and burdensome; but the general showed no sign of impatience, and was alive and active in his attentions to all comers and goers. He affected no style, and put on no airs, but was plainly and simply (...) polite to all (1938 : 474-75).

L’accueil des hôtes, annoncés ou non, était toujours cordial, comme en témoigne ce visiteur anonyme : ‘“When we arrived the general was in the field looking to his men who were planting cotton; he soon came in and received us with great cordiality and invited us to lodge with him for the night ’ 538 .” Jackson aimait avoir du monde autour de lui, préférant semble-t-il la compagnie des femmes, comme le fait remarquer Henry Wise, cité par Horn :

‘Had we not seen General Jackson before we would have taken him for a visitor, not the host of the mansion. He greeted us cordially and bade us feel at home, but gave us distinctly to understand that he took no trouble to look after any but his lady guests. As for the gentlemen, there were the parlor, the dining room, the library, the sideboard and its refreshments, there were the servants; and if anything was wantig all that was necessary was to ring. He was as good as his word. He did not sit at the head of the table, but mingled with his guests, and always prefered a seat between two ladies, obviously seeking a chair between different ones at various times. He was very easy and graceful in his attentions; free and often playful, but always dignified and earnest, in his conversation. He was quick to perceive every point of word or manner, was gracious in approval, but did not hesitate to dissent with courtesy when he differed. He obviously had a hidden vein of humor, loved aphorism, and could politely convey a sense of polite travesty (...) He conversed freely and seemed to be absorbed in attention to what the ladies were saying; but if a word of note was uttered at any distance from him audibly he caught it by a quick and pertinent comment without losing or leaving the subject about which he was talking to another person—such was his ease of sociability without levity or lightness of activity, and without being oracular or heavy in his remarks (1950 : 98-99).

Le caractère extrêmement sociable de Jackson ressort ici, qui malgré ses remarques répétées concernant sa retraite paisible dans sa ferme, ne put jamais se défaire de la vie publique, en partie par un authentique sens de la mission et sa ferveur patriotique, mais aussi par goût de la vie sociale et mondaine 539.

Notes
533.

Parton ajoute ce commentaire étrange, auquel ne concouraient certainement pas les Sudistes eux-mêmes : “[a House is] an article well enough to have on a farm, but very far from being the terribly indispensable thing it is in countries where to be houseless is death. It astounds Northern people to see what inferior houses southerners are content to occupy who could build palaces if they would. The truth is, they do not live in their houses. Their life is on horseback, in the fields, in the woods, out of doors” (I : 308).

534.

Clark écrit : “Guest beds were a rare luxury and visitors often sprawled on the floor with their feet to the fire or slept in a loft” (1996 : 196). Clark mentionne la saleté que certains visiteurs ont dénoncée, dans les tavernes de la frontière, voire même chez les particuliers. Cette accusation, toutefois, ne fut jamais portée contre les intérieurs de l’Hermitage.

535.

Parton (II : 652-53) donne une liste non-exhaustive des visiteurs, les amis tels Coffee, Overton, Eaton, Lewis, des généraux comme Houston, Hayne, Gadsden, des protégés comme Call et Butler, sans compter les prêcheurs de toutes obédiences protestantes que recevait régulièrement Rachel.

536.

Jackson et Rachel aimaient fumer leur pipe tranquillement au coin du feu, comme en 1824 où ils tentaient alors d’échapper à la vie trépidante de Washington : “all are well & enjoying themselves, the young at parties & Mrs. J. & myself at home smoking our pipe” (Moser, V : 458-59).

537.

Cette pratique était courante, et lorsque les Jackson partirent pour la Floride en 1821, Narcissa Hays tint compagnie à sa tante pendant le séjour à Pensacola (Moser, V : 511).

538.

Sans date, estimé plutôt entre 1837 et 1840, Louisiana State U. miscellenious collection, archives du Jackson Papers Project à Knoxville.

539.

Les factures de 1825 montrent qu’il était abonné à deux quotidiens et quatorze journaux hebdomadaires, sans compter les journaux locaux (Monroe, 1987 : 64).