La formule lapidaire de Parton l’exprime bien : ‘“He lived always in a crowd”’ (III : 596). La présidence de Jackson renforça évidemment cette propension, ce qui lui coûta tellement cher qu’il dut ponctionner sa récolte de 1836 pour payer les frais d’hospitalité à la Maison-Blanche : ‘“I have directed my son to offer for sale a piece of valuable land in Tennessee (...) Here I have no control of my expenses, and can calculate nothing on my salary”’ (Parton, III : 598). Le salaire de vingt-cinq mille dollars par an n’y suffisait pas (Remini, II : 345). Ainsi, durant un temps, l’Hermitage procura en quelque sorte les revenus nécessaires aux fastes de la Maison-Blanche, puisqu’il était du ressort du président d’en supporter le coût. Une jeune femme présente à la Maison-Blanche pendant ces années se souvient du nombre imposant de bougies qui illuminaient les pièces du palace, les camélias disposés un peu partout 540 et l’abondance de nourriture et d’alcools servis aux innombrables invités (Remini, II : 346).
Les factures de la Maison-Blanche, payées par Jackson lui-même, font état de beaucoup d’alcools fins. Ainsi, les factures de 1834 renseignent sur les quantités et les types d’alcools consommés : ‘“on Jan. 13 the President paid Henry Toland, of Philadelphia, for two hogsheads of claret, one barrel of brandy, twenty baskets of champagne, one half pipe of sherry, and one barrel of gin—$662”’ (Bassett, IV : 381n1). Les listes données par Bassett pour chaque mois sont similaires, ce qui donne une idée de la consommation mensuelle. Le séjour des Jackson (Junior, sa femme, Ralph Earl, Emily Donelson et le président) à la résidence présidentielle d’été, Fort Monroe, en 1835, lui coûta 808,50 dollars dont plus de 40 dollars payèrent les spiritueux (Klingberg, 1922 : 139). La liste des produits envoyés sur l’île à l’été 1834 est la suivante : ‘“sixty-six bottles of wine including Madeira, pale sherry, champagne, and “chateau”, two gallons of brandy, two of whiky, and two of Holland gin”’ (Bassett, IV : 381n1). À l’instar de ses concitoyens, Jackson consommait beaucoup d’alcool et ne semblait pas concerné par les campagnes de tempérance orchestrées dans le pays par les Églises de toutes obédiences. En 1832, par exemple, les Méthodistes appelèrent à une totale abstinence concernant les boissons alcoolisées (Feller, 1995 : 108-109).
Le coût de la vie était également exhorbitant puisque Jackson entretenait 24 domestiques en 1830, sans parler du cuisinier français 541 payé 35 dollars l’été et 45 ou 50 pendant la saison parlementaire durant laquelle avait lieu la saison mondaine (Remini, III : 383). Pourtant, les invités furent déçus de leur repas, comme l’écrit l’un d’eux : ‘“The dinner was plain and as badly cooked as you ever sat down to”’ (cité dans Remini, III : 394). L’effectif fut ensuite réduit pour raisons financières et Jackson fit venir plusieurs de ses esclaves pour réduire les coûts. Remini donne un état des employés vers 1833-34 :
‘a house steward and housekeeper, a butler, a doorkeeper, an ‘odd man,’ a cook, an assistant cook, two sculleries, a housemaid, a staff maid, two laundry maid, two messengers, a valet, a caochman, , and a footman. This list does not include gardeners, stablemen, porters, and the like. The full staff for the House and grounds probably ran as high as ten additional employees (III : 383-84). ’La qualité des repas s’améliora. Jackson avait engagé un chef belge, Joseph Boulanger. En 1834, un invité, ravi cette fois, donne le menu servi :
‘‘The first course was soup in the French style; then beef bouille, next wild turkey boned and dressed with brains; after that fish; then chicken cold and dressed white, interlaid with slices of tongue and garnished with dressed salad; then canvass back ducks and celery; afterwards partridges with sweet breads and last pheasants and old Virginia ham.’ For dessert, Montgomery reported jelly and small tarts in the Turkish style, blanche mode and kisses with dried fruits, preserves, ice cream and oranges and grapes. With the meal, sherry, port, Madeira, champagne, claret and Old Cherry were served (Remini, III : 394). ’Jackson fit également construire une cave à vins sous la Maison-Blanche à laquelle il fit poser des barreaux afin de la préserver des voleurs (Remini, III : 395). Selon les préceptes “démocratiques” de Jackson, la Maison-Blanche appartenait au Peuple (toujours écrit avec une majuscule dans le Globe, l’organe officiel — Remini, III : 393). Ainsi, beaucoup de gens différents se présentaient à la Maison-Blanche, qualifiée par un observateur critique d’Arche de Noé accueillant “toutes sortes d’animaux propres ou sales” (Remini, III : 393). La popularité de Jackson 542 était la cause d’une telle affluence, ainsi que son goût prononcé pour la fête. Un admirateur lui fabriqua même un fromage géant que Remini décrit ainsi :
‘the monster weighed 1,400 pounds. It was four feet in diameter and two feet thick. The cheese was encircled by a ‘national belt,’ representing all the states, and on it were inscribed the words 543, ‘Our Union, it must be preserved’ (III : 393). ’Jackson offrit le fromage lors d’une fête ouverte à tous, le jour de l’anniversaire de Washington. On remarquera combien la période jacksonienne — et Jackson lui-même, d’ailleurs — vivait dans l’atmosphère des grands héros de la première heure, l’Élu du peuple se réclamant des thèses jeffersoniennes de la Révolution. Les fêtes populaires mêlant la foule aux élites (dont ses membres s’étonnaient toujours du mélange 544) étaient nombreuses puisque Jackson avait une propension à attirer aussi bien les uns que les autres. Les réceptions qu’il donnait étaient somptueuses et constituaient de grands événements dans la capitale. Voici un commentaire lié à la dégustation du fromage mentionné plus haut :
‘It was one of the greatest levees of all times. The President, Cabinet members, Congress, diplomats, , ‘the cour, the fashion, the beauty of Washington,’ and, of course, ‘the People’ (...) all attended (...) ‘All you heard was cheese; all you smelled was cheese’ (Remini, III : 393). ’L’hospitalité de Jackson fut aussi intense et ouverte à la Maison-Blanche qu’elle l’était à l’Hermitage. Sous sa présidence également, un portique néo-classique fut ajouté, des ailes supplémentaires construites, l’eau courante installée dans certaines pièces, les écuries agrandies. Il acheta de nouveaux meubles, un piano, d’énormes services de table, de la porcelaine, la résidence présidentielle fut entièrement redécorée, il fit construire une orangeraie et installer une barrière autour de la maison (Remini, III : 382-393). Il passa huit ans de sa vie à Washington et rendit la Maison-Blanche aussi confortable que son grandiose Hermitage. Il est ironique de se souvenir qu’en 1797, alors qu’il représentait le Tennessee au Congrès de Philadelphie, il avait voté contre l’appropriation de fonds destinés à meubler le future palais présidentiel en construction (Remini, I : 99). Quelque trente ans plus tard, la Maison-Blanche et le tout Washington vécurent à l’heure de Jackson, dans une ambiance proche de celle qui régnait à la plantation du “gentilhomme du Tennessee”.
Remini affirme le contraire : “The only flowers regularly seen were made of wax and protected under glass domes” (III : 388).
Le cuisinier français avait abandonné le président. Jackson apprit le jour de sa désertion que l’homme tenait en même temps un hôtel pour les parlementaires et ne venait jamais au travail avant 14 h, laissant un assistant noir engagé par Jackson faire le travail à sa place (Jackson “dînait” vers 15 h): “I want a man to live in the house, & all his time at his business—until I get one I will have to get my dinners from a confectioners.” (lettre du 10 décembre 1832, PHi-Pemberton Papers).
Notons pour l’anecdote que cette popularité était telle que la Reine Victoria lui réclama une mèche de cheveux qu’il lui envoya avec ses voeux de prospérité (Remini, III : 398).
Ces mots furent prononcés en 1830 par Jackson lors d’un banquet célébrant l’annniversaire de Jefferson, le 13 avril. Après environ 80 toasts inclinant en faveur de la doctrine de la nullification (le droit des États à annuler une loi fédérale jugée contraire à leurs intérêts particuliers), Jackson avait levé son verre à la préservation de l’”union fédérale”, montrant à Calhoun (son vice-président et le théoricien en chef de la doctrine) que le gouvernement fédéral ne tolérerait aucune infraction à la législation fédérale (Parton, 283-84). Jackson écrivait à son secrétaire d’État le 4 décembre 1832 : “The Union must be preserved, without blood if this is possible, but it must be preserved at all hazards and at any price” (Bassett, IV : 495).
Remini cite en exemple une telle remarque : “‘Some thousands had arrived there, before us,’ reported one man, ‘of all ages and sexes and shades and colors and tongues and languages. There met the loud and whiskered representative of kingly legitimacy, with the plumed and painted untamed native of the western forest. The contrast was interesting and amusing’” (III : 392-93). Cette description de Babel et de Babylone à la fois traduit bien le sentiment de fascination et d’ébahissement ressenti par les observateurs.