Le traitement des esclaves

Genovese énonce le paradoxe et la fondamentale ironie résultant de l’attitude paternaliste des planteurs :

‘Paternalism defined the involuntary labor of the slaves as a legitimate return to their masters for protection and direction. But, the masters’ need to see their slaves as acquiescent human beings constituted a moral victory for the slaves themselves. Paternalism’s insistence upon mutual obligations—duties, responsibilities, and ultimately even rights—implicitly recognized the slaves’s humanity (1974 : 5).

William Allen Butler visita l’Hermitage en 1844 et fut sensible au climat “détendu” de la plantation. Le visiteur portait un regard classique (paternaliste et fondamentalement raciste) sur la “bonne humeur” des esclaves, “caractéristique de leur race”, mais il souligne implicitement l’atmosphère communautaire, ainsi que l’esprit de groupe qui semblait régner à l’Hermitage :

‘Everything in and about the house was in accordance with the usages of Southern plantation life, the slaves and their children forming quite a little community, and discharging their duties indoors and out after the fashion of their race with characteristic good nature. At least a half dozen women engaged in making my bed in the morning (Archives du Andrew Jackson Papers Project, Knoxville).

Il faut se méfier des récits qui, pour des raisons électorales, de bonne conscience ou simplement portés par les préjugés de l’auteur, travestissent la réalité pour donner une image tranchée d’un homme public. De plus, les visiteurs d’un jour ne constituent pas des sources fiables, comme l’écrit John S. Otto :

‘Not only were travelers superficial observers of the world around them, but their perceptions of slave life were shaped by preconceived notions. Whether they defended or denigrated slavery, most travelers saw what they had come to see (1984 : 6).

Nous prendrons les récits avec circonspection en considérant qu’ils révèlent une perception blanche, souvent favorable à Jackson. L’ambivalence de la perception du traitement des esclaves est capitale. Genovese le rappelle justement : ‘“Good treatment of slaves, as defined by the masters, did not necessarily constitute good treatment from the slaves’ point of view”’ (1974 : 8). Quelques témoignages d’esclaves soulignent les bonnes relations que semblaient entretenir les Jackson et leurs esclaves, notamment celui d’Old Hanna, la “mamma” noire interrogée dans les années 1880. Nous verrons cependant que l’attitude de Jackson face aux esclaves fugitifs ou aux récalcitrants trahissait une violence commune aux maîtres sudistes.

Les deux positions sont compatibles. Tant que les esclaves remplissaient ce pour quoi ils les avait achetés, Jackson était le parangon du propriétaire paternaliste et bienveillant que les idéologues sudistes louaient à longueur de textes 582. Mais, dès lors qu’ils s’affirmaient comme individus autonomes ou qu’ils refusaient la sujétion à leur condition, il devenait un maître impitoyable et cruel, comme le montre une lettre à son régisseur d’Alabama : ‘“subordination must be obtained first, and then good treatment”’ (James, 1938 : 349). À cette condition seulement le rôle paternaliste pouvait entrer en jeu, mais le fondement du système était d’abord la soumission.

Notes
582.

Voir à ce propos l’excellente compilation de Drew Faust, The Ideology of Slavery: Proslavery Thought in the Antebellum South (Baton Rouge: Louisiana State University, 1981).