Il fallut l’après-guerre et la période d’intense spéculation dans les territoires acquis des Indiens pour que Jackson investisse dans une plantation en tant que propriétaire absent. Il chercha d’abord en Louisiane, puis y renonça en juillet 1816 (Moser, IV : 436) 610. Ce n’est que le 22 novembre que Jackson et Hutchings acquirent Melton’s Bluff de Nancy Melton, ainsi que deux esclaves, Jenny et Jame (Moser, IV : 451). La plantation était située dans le comté de Lawrence 611, sur la rivière Tennessee (Moser, IV : 267 ; carte des comtés dans Abernethy, 1990 : 40). Jackson l’avait achetée après avoir signé des traités avec les Cherokee le 20 septembre (Moser, IV : 64n1).
La plantation avait une histoire puisqu’elle avait été établie par John Melton, un pirate de la rivière qui s’était enrichi en pillant les bateaux de commerce. Marié à une femme Cherokee, il avait dû vendre ses avoirs après les menaces reçues des Creek qui lui reprochaient sa présence sur leurs terres. D’ailleurs, la vente se fit au nom de son épouse. Melton était connu pour son mode de vie extravagant et la cruauté qu’il montrait envers ses esclaves (James, 1938 : 834-35). Anne Royall, la première femme journaliste de Washington, entreprit un voyage dans le Sud en 1818. Elle ne tarit pas d’éloges sur les splendeurs de la plantation :
‘No language can convey an idea of the beauties of Melton’s Bluff. I can sit in my room and see the whole plantation; the boats gliding down the river (...) I took a walk with some of the ladies over the plantation (...) We approached the mansion, by a broad street, running up the river bank east of the town. The street seems suspended between heaven and earth, as the whole premises for two miles, all in sight, appears to be elevated above the horizon (...) The mansion was large, built with logs, shingled roof (...) All the trade of east Tennessee passes by the Bluff, and halt here to take in their pilots (citée dans James, 1938 : 835). ’Jackson avait acheté la plantation avec John Hutchings, les deux hommes ayant été associés depuis le début du siècle dans toutes sortes d’opérations commerciales, spéculatives et financières. Un an après l’achat, Hutchings dirigeait la plantation et Jackson, dans une lettre à Rachel du 17 mai 1817, paraissait enchanté :
‘I was at the Bluff Two days & nights, Major Hutchings deserves a meddle—he has the finest Prospect of a crop I ever saw, his cotton far excells any crop I have seen, & I think we may calculate, on, from Eighty, to Ninety Bales (Moser, IV : 118). ’On ne sait pas très bien comment la plantation avait été organisée, mais une lettre de Jackson mentionne les noms de trois esclaves malades victimes des difficiles conditions climatiques : ‘“we reached on the evening of the 26th. when I found three more of my hands taken down in my absence—George, Aron, and Squire I have them up again & all appear on the recovery’ (Moser, IV : 138). Cet épisode rappelle que le climat lourd et les nombreuses maladies qu’il engendrait firent de la colonisation du Sud-Ouest une entreprise particulièrement éprouvante, surtout pour les esclaves 612 (Cashin, 1991 : 64-69). Mais, le facteur le plus grave pour ces derniers était le travail acharné que nécessitait l’établissement d’une nouvelle plantation. Cashin décrit la condition des esclaves émigrés avec leurs maîtres des États côtiers :
‘They lived in dingy cabins, ate irregularly, worked long hours clearing land, plowing, planting, hoeing, and picking crops, and through it all they mourned for their relatives and friends in the seaboard. Slaves were at the mercy of their owners, depending on their responsibility, good sense, and advanced planning to provide for them, and masters were not always reliable (1991 : 72). ’Les esclaves de Jackson dépêchés vers ce nouveau pays et ces nouvelles conditions furent ainsi arrachés à la vie organisée de l’Hermitage, à leurs familles, à leurs amis, plongés dans des rythmes de travail et un climat auxquels leur vie précédente ne les avait pas du tout préparés 613. En 1822, il y en avait une soixantaine à Melton’s Bluff (James, 1938 : 349).
La particularité de la situation à Melton Bluff était l’absence d’un titre de propriété clairement établi. Nous avons dit que Melton avait été délogé par les Creeks pour usurpation, et le titre de Jackson n’avait pas de valeur légale. Cependant, il suggéra à Coffee (arpenteur officiel) le choix du site de la ville à construire sur la Tennessee. La ville de Marathon fit monter les prix de la terre et Jackson en profita sans doute pour tenter de vendre la plantation au prix fort et acheter trois lots dans le périmètre (Moser, IV : 176 et 248n1). La mort d’Hutchings le 20 novembre 1817 provoqua des changements de stratégie. La ferme continua à fonctionner normalement 614, sous la direction d’un régisseur, Richard Massey.
Le 12 février 1818, James Jackson, partenaire commercial et ami 615, annonça à Jackson qu’un acheteur se présentait pour reprendre Melton’s Bluff : ‘“Colonel Hynes this day applyed to me about your farm & would I think purchase it payable on what he calls Government terms”’ (Moser, IV : 178). L’acheteur ici fait sans doute référence aux lois de 1800, 1803 et 1804 instituant le système de la grille et définissant les termes de la vente publique. Le domaine national arpenté en lots était vendu aux enchères à un prix minimum de deux dollars l’acre. Un quart du prix était versé à l’achat et le reste en trois annuités. Ce système de crédit favorisait les acheteurs, mais aussi une spéculation frénétique à laquelle mit fin la dépression de 1819, ruinant plus d’un acquéreur sans le sou (Abernethy, 1990 : 64-66).
Des factures concernant Jackson et Hutchings — l’entreprise de Melton’s Bluff — prouvent que la plantation ne fut pas vendue. À cette époque, Jackson était plongé dans la guerre contre les Séminoles et seuls James Jackson et John Coffee pouvaient traiter ses affaires, dans les limites que leurs imposaient leurs propres activités 616. La tourmente spéculative enfiévrait tout le monde et c’est à cette époque (1817) que Coffee acheta 1280 acres de terres et co-fonda la ville de Florence en organisant la Cypress Land Company avec, entre autres, James Madison, James et Andrew Jackson. Les membres de la compagnie groupèrent les terres qu’ils possédaient près du site choisi, les partagèrent en lots et les vendirent avec grand succès, espérant faire de la nouvelle ville la “New York du Sud” (Chappell, 1942 : 140-141). Coffee construisit sa plantation, Hickory Hill, jusqu’en 1819, et déménagea en Alabama, vendant sa propriété du Tennessee (Chappell, 1942 : 142). La présence de Coffee dans la région devait apporter un soutien précieux à Jackson dans les années à venir, tant pour veiller sur sa plantation que pour gérer celle de leur pupille Andrew Jackson Hutchings, fils de feu John.
Deux titres de propriété témoignent du caractère spéculatif de ses activités à cette période (Moser, IV : 442).
Marquis James (1938 : 348) place Melton’s Bluff dans le comté de Franklin, mais confond avec Big Spring en citant Coffee dans le Nashville Whig du 1er mai 1822.
Les femmes esclaves travaillaient souvent aux travaux de défrichage et peu étaient employées dans la maison, une caractéristique de la région de l’Alabama. La somme de travail à accomplir était plus importante, de sorte que les planteurs eux-mêmes devaient travailler avec leurs esclaves dans les champs (Cashin, 1991 : 63-68).
D’ailleurs, quatre d’entre eux au moins s’échappèrent, dont deux furent repris et jetés aux fers (James, 1938 : 348-349).
Une facture du 21 novembre témoigne de la construction d’une égreneuse à coton (Moser, IV : 477).
Voir le détail de leurs affaires dans Bassett (II : 412-14), cité par Moser (IV : 481).
Dans l’accord passé le 2 mars 1818 entre plusieurs spéculateurs du Tennessee dont Coffee, J. Jackson et John Donelson, Jr. afin d’acheter des terres dans le Territoire d’Alabama pour des marchands de Philadelphie, Coffee signa par procuration pour Jackson (Moser, IV : 488).