Dans les pages précédentes, nous avons pu constater les conditions dans lesquelles ont pris forme les premières oeuvres de Boudjedra et Kundera, provoquant ainsi la violence intérieure de ces textes. Par leur passion de la littérature, de l’alchimie du verbe, nos auteurs inscrivent leurs romans dans une optique nécessairement corollaire de la notion d’échange qui, elle-même, suppose l’existence d’un deuxième pôle. Face à l’auteur apparaît le public et face au désir d’écrire, s’impose le désir d’être lu car « l’artiste crée pour être aimé »76. Mais par qui ? Il fut un temps où l’écriture ne se souciait que de l’identique. Depuis la généralisation de la traduction, la « démocratisation » de l’instruction et la mondialisation de l’information, elle s’est confrontée aux dangers de l’altérité. Si La Chanson de Roland a été écrite pour un public bien déterminé (du point de vue social, religieux et géographique), on ne peut pas dire la même chose des pièces de Molière et encore moins des romans de science-fiction. Et pourtant, ce sont toutes des oeuvres populaires, bien qu’appartenant à des registres différents. L’abolition symbolique des frontières, grâce au progrès technologique, est-elle en train d’orienter les écrivains vers une voie plus universelle de la production littéraire ? Les auteurs que nous étudions se détachent-ils de leurs publics nationaux, pour s’adresser à l’homme en général ?
Il faudrait tout d’abord définir la notion de public. Nous ne parlons pas ici des lecteurs effectifs de Boudjedra et Kundera, ceux qui achètent leurs livres, mais plutôt du type de lecteurs susceptibles de lire et d’entrer dans leurs univers ludiques. Michel Picard paraît très sévère dans sa définition du lecteur :
‘« Il faut le dire brutalement, au risque d’effaroucher ou de blesser les belles âmes de tout bord dans leur rêve ingénument démagogique d’apporter la culture au peuple, instinctivement réceptif : l’effet littéraire n’est concevable que pour le joueur expérimenté, l’“amateur” averti. On peut, on doit déplorer le caractère élitiste et sélectif de la chose – non le nier sottement »77.’Il nous semble au contraire qu’il s’agit là de la définition idéale du lecteur de Boudjedra et Kundera. Leurs oeuvres sont-elles condamnées à n’échouer qu’entre les mains d’une poignée d’irréductibles aventuriers prêts à prendre tous les risques ? Les auteurs, contrairement aux critères établis par les théoriciens de la littérature qui ne veulent croire que ce qu’ils voient, ont bien saisi cette alternative puisqu’ils n’hésitent pas à malmener le lecteur jusqu’à l’intolérable. Nous verrons plus tard en quoi consistent ces rapports entre écriture et lecture. Nous disons donc que les critiques n’ont pas abordé de manière profonde la problématique de la lecture qui reste jusqu’à aujourd’hui encore à l’état embryonnaire, malgré les travaux remarquables des précurseurs (Jauss, Riffaterre...). Nous rejoignons par là les propositions d’Alain Viala qui souligne que « les études sur la lecture ont en effet pris pour objet, le plus souvent, le texte lui-même (...) on connaît assez bien le lecteur supposé par le texte », mais « pas la situation du lecteur réel»78. En effet, entre lecteur supposé et lecteur réel, si le critique fait l’amalgame, du point de vue de l’écrivain, il convient de dire qu’il faut nuancer les affirmations. Que doit-on croire ? L’auteur pense-t-il réellement au lecteur ou projette-t-il ses propres désirs et sa propre attente sur ce dernier ? Quel lecteur choisit-il de visualiser lors de l’écriture ?
Continuant sa définition du lecteur, Alain Viala pose les principes de lecture comme équivalant aux principes d’écriture. Face à la rhétorique classique, il oppose la « rhétorique du lecteur » :
‘« Comme la rhétorique distingue quatre opérations dans l’élaboration du discours, la rhétorique du lecteur observe quatre opérations principales dans la lecture » :« Homologue à l’inventio rhétorique où l’on choisit ce que l’on va dire » : « Choisir ce que l’on va lire ».
« Homologue de la dispositio rhétorique » : « l’orientation de la lecture », en d’autres termes, l’objectif de lecture.
« Transposition » : « qui correspond à l’élocutio, » c’est-à-dire « percevoir les codes du texte » et « les transcrire, plus ou moins bien, pour tout ou partie, etc., dans les codes propres du lecteur ».
« L’action de lire est comme l’actio du discours, Elle engage des pratiques matérielles en partie observables (situation, vitesse et rythme de lecture, manipulation du livre, etc.), mais aussi d’autres qui sont difficiles à analyser (la mémorisation, la production d’images, par exemple) »79.
Ces correspondances entre la pratique de l’écriture et celle de la lecture nous servirons tout au long de notre étude puisqu’elle rapproche le travail de l’écriture de celui du lecteur tout en suggérant que chacune des deux parties devine ce que l’autre fait. Ainsi la lecture est-elle inscrite en filigrane dans l’écriture, et vice versa. Boudjedra dépeint souvent son écriture – notamment dans l’entretien qu’il a eu avec Hafid Gafaïti80, ou encore dans son article Pour un nouveau roman maghrébin de la modernité – comme révélatrice de ses propres fantasmes, ses propres obsessions. Mais nous décelons quand même une ouverture dans son oeuvre sur l’extérieur, qui révèle par moments le type de public qu’elle vise. Dans son article L’Erotique du texte, la différence et l’étrangeté 81, Charles Bonn décrit pleinement ce jeu de l’extérieur//intérieur auquel s’adonne l’écriture de Boudjedra. Délaissant la thématique de la différence qui a trop souvent jalonné les études sur la littérature maghrébine, il laisse la part belle à « l’ambigu », au « mixte » dans toute sa complexité.
Ce qui nous intéresse dans l’immédiat, ce sont les rapports de l’écriture à la lecture. En effet, « Un récit s’adresse toujours à un lecteur, ou à un auditeur, que cet allocutaire soit ou non désigné explicitement par le texte »82, ou encore « Toute littérature s’écrit nécessairement en dialogue désirant avec son lecteur »83. Ces deux pratiques intimement liées, trouvent chacune, la raison même de son existence dans l’autre. A ce stade des recherches sur la littérature, on ne peut la concevoir en dehors de ce qui représente désormais le gage et le fondement de sa fonction. Sans entrer dans le cercle vicieux de la polémique de l’oeuf et de la poule car tel n’est pas notre propos, nous remarquons d’emblée, que la question du choix du public s’impose pour nos auteurs, comme pour tout écrivain d’ailleurs. Il n’est pas d’autre alternative que d’accepter un public. Il leur reste cependant le loisir de faire une espèce de sélection, leur permettant d’en brosser les principaux traits. Mais comment procèdent-ils ?
Ils choisissent d’abord un genre : il ne s’agit ni du théâtre, ni de la poésie, mais des ouvrages en prose, assimilés (peut-on faire autrement ?) au roman. Le roman permettant toutes sortes de libertés et constituant un modèle d’ouverture sur l’extérieur sans équivalent en littérature, mais en même temps si restreint et si clos, inscrit nos deux auteurs dans la lignée d’une tradition occidentale séculaire. Ce premier choix implique un second : celui d’un public qui affectionne ce genre. Ensuite, ils choisissent une langue. Boudjedra choisit celle de l’Autre, Kundera commence par utiliser la sienne pour s’en détourner petit à petit. Les circonstances ne sont pas les mêmes pour chacun des deux, mais les causes peuvent s’apparenter. Ils ont effectivement assez souffert, de manières différentes, de la censure du « même » pour se tourner vers l’«autre ». Boudjedra reconnaît le côté pratique de l’écriture dans la langue de l’Autre:
‘« (...) J’ai moi-même, commencé comme écrivain francophone pour des raisons tout à fait tactiques. Je n’ai pas été obligé de le faire; j’ai préféré écrire La Répudiation en français pour fuir le censure, parce que La Répudiation est un livre iconoclaste, un livre subversif, érotique, violent et irrévérencieux »84.’A-t-il réellement choisi la facilité comme il le prétend ? Son roman n’était-il pas destiné à un public francophone pour des raisons plus sournoises ? Kundera parait plus sincère lorsqu’à la question de son interviewer : « Ne souffrez-vous pas, tout de même, d’être coupé de votre public naturel, des lecteurs qui ont partagé depuis l’enfance les mêmes expériences que vous ? », il répond :
‘ « Bien entendu... Mais Goethe a dit un jour à Eckermann qu’ils assistaient à la fin des littératures nationales et à la naissance de la littérature mondiale. Je suis convaincu que, depuis Goethe, une littérature qui s’adresse à son seul public national est anachronique et qu’elle ne remplit pas sa fonction essentielle. Présenter les situations humaines d’une manière qui ne permet pas de les comprendre au-delà des frontières d’un seul pays, c’est rendre un mauvais service à ses lecteurs. C’est enchaîner ceux-ci à leur clocher, les condamner aux stéréotypes locaux. En faire des muets.En ce sens, au lieu de chercher à justifier son choix de la langue française au risque de se confondre en excuses indignes de son talent d’écrivain, Boudjedra devrait reconnaître le rôle décisif joué par les maisons d’édition françaises dans la tournure internationale qu’a pris sa carrière. La perte d’une partie du public national est largement compensée par la notoriété à une plus grande échelle. Les arabophones et les tchèques sont privés de ces lectures, mais l’oeuvre continue à exister. Cet instinct de survie reflète une volonté farouche de vaincre le silence par tous les moyens. Ceux qui sont mis en oeuvre en l’occurrence peuvent être discutables mais n’entraînent nullement la dépréciation des ouvrages littéraires ou de leurs auteurs. Ce sont des choix certes douloureux mais nécessaires, puisqu’ils permettent l’existence d’un autre public, un public qui ne serait certainement pas le même si les circonstances étaient différentes. D’ailleurs, dans les romans mêmes, nul public n’est privilégié par rapport à un autre. Kundera donne à voir dans L’Insoutenable légèreté de l’être la désagrégation des valeurs en Tchécoslovaquie et l’absurdité de la logique paranoïaque du système communiste, à travers le « recyclage » d’un docteur en médecine en laveur de carreaux. Mais à propos de la « légèreté » et de la « pesanteur » dans son esthétique romanesque, il nous dit : « unir l’extrême gravité de la question et l’extrême légèreté de la forme, c’est mon ambition depuis toujours »86. Ce qui nous amène à nous poser des questions quant à la réalité du contexte tchèque du drame vécu par Tomas. N’a-t-il pas refusé d’abord l’occasion de se racheter auprès des autorités de son pays, ensuite, celle qui lui était offerte de continuer à exercer son métier en Suisse ? La suite de variations sur le thème de la légèreté et de la pesanteur exposée dans ce roman est l’illustration même du souhait exprimé par l’auteur. Il oriente son écriture vers ce système manichéen de légèreté et de pesanteur, tout en inversant les valeurs car, dit-il, « l’union d’une forme frivole et d’un sujet grave dévoile nos drames (ceux qui se passent dans nos lits ainsi que ceux que nous jouons sur la grande scène de l’Histoire) dans leur terrible insignifiance »87.
Boudjedra, lui, fait un pied de nez aux deux publics les plus susceptibles de se sentir agressés par son écriture :
‘« Le même texte sera lu différemment par un lecteur maghrébin ou par un lecteur français, et l’on pourra se demander auquel ce texte s’adresse. Mais on s’apercevra vite que ce texte ne s’adresse jamais uniquement à l’un, ou uniquement à l’autre »88. ’Par ailleurs, l’imbrication de différents registres dans L’Insolation, inspire à Charles Bonn89cette réflexion sur un passage où les vers d’Omar chantés par Oum Kalthoum, avoisinent le conte populaire d’Amar Bô : il y a là une mise en exergue de la « contradiction » de la poésie arabe dont se réclame les intégristes qui, tout en oeuvrant pour le retour à « l’âge d’or », occultent le côté érotique et quelques fois licencieux de cette littérature. En même temps, le lecteur français est provoqué par le texte en arabe, présenté comme s’il était évident (cf. pp. 151-152). Est-ce que le lecteur arabophone aurait relevé la subtilité ? Cette écriture se veut donc un échange continu entre différentes sortes de publics, chacun la lisant à travers son propre prisme, ouverte à toutes les possibilités, mais jamais totalement offerte :
‘« Pour faire exister l’identité, il faut des discours la proclamant. Non pas tant des discours à usage interne, même s’ils sont indispensables, que des discours susceptibles de se déployer dans les espaces mêmes où l’identité maghrébine est contestée»90.’Ce vent de panique qui s’abat sur le public nous amène à prendre en considération un autre choix, celui de l’orientation de l’écriture. Pour Boudjedra, le fait qu’il soit désigné comme « l’enfant terrible » de la littérature algérienne, celui qui démonte les mécanismes « sclérosés » d’une société embourbée dans ses traditions, est très significatif :
‘« Cette littérature des années 70 s’affirme dans l’opposition aux régimes en place. Quelques écrivains, quelques textes en deviennent vite le symbole. Ainsi, La Répudiation (...) publié en 1969, a marqué pour beaucoup de lecteurs un courant de contestation violente qui n’a fait que s’amplifier durant les années 70. Car ce roman frappait là où se nouent toutes les contradictions : en exhibant, dans une démesure qui choqua, mais fit office de colossal défoulement, toutes les inhibitions sexuelles d’une société »91.’Ames sensibles et consciences puritaines s’abstenir : une mise en garde qui aurait pu introduire les textes de Boudjedra. Mais ces types de lecteurs dont les certitudes sont susceptibles d’être ébranlées et qui figent la pensée par leur conformisme sont justement ceux que l’auteur recherche en priorité. L’analyse de la société plonge l’écrivain dans une perpétuelle oscillation entre l’intime conviction de devoir dénoncer ce qui doit l’être (mission, somme toute, journalistique) et un total dévouement à l’art :
‘« Au coeur de l’activité littéraire maghrébine des années 70 (comme aussi de la littérature européenne de la même époque), il y a donc ce débat de l’écrivain, partagé entre la “sommation de dire” imposée par le groupe et la volonté de rester fidèle à la vrai nature du travail d’écriture »92.’L’évolution entre les deux instances dénoncer-questionner est ici valable pour nos deux écrivains. De plus, cette démarche est non seulement provoquée par la conscience qu’ils ont de ce qui les entoure, mais aussi par une véritable demande de la part du public; demande qui apparaît du coup tout à fait contradictoire, puisqu’elle implique également le choc produit par le texte sur le lecteur. Un tel paradoxe, probablement né de la violence qui semble sourdre des romans (notamment ceux de Boudjedra et Kundera), peut se traduire par : lire ou ne pas lire, telle est la question.
Dans le cas de Boudjedra, cet état paradoxal est décrit dans l’extrait suivant :
‘« La Répudiation manifestait à point nommé, (...) la réponse à une attente face au texte littéraire de langue française : lui voir dénoncer la situation de la femme et l’enfermement de la vie quotidienne de la jeune génération algérienne victime du poids sclérosant des pères. Attente bien complexe, puisqu’elle craint en même temps d’être comblée. Car y répondre constitue, à proprement parler, le scandale majeur : la mise en lumière de ce qui par essence doit rester caché. C’est violer cette décence, cette “hichma” en partie fondatrice de l’identité musulmane, et qui interdit de se dénuder moralement, de montrer en particulier cet envers de l’univers féminin et l’intimité qu’elle contient (...) Cette attente contradictoire se portera donc de préférence vers les textes écrits dans la langue de l’Autre, et que leur différence, de ce fait, met en situation de marginalité. Marginalité depuis laquelle est possible la parole, pourtant nécessaire, qui dit ce qui ne peut être dit dans le cercle de l’identité »93.’Du point de vue de Kundera, les choses changent quelque peu, mais pas le principe : « l’attente » est tout aussi « contradictoire » puisque le public occidental (public majoritaire en ce qui concerne les oeuvres de ce romancier) est féru de détails sur les « scandales anthropologiques », à conditions qu’ils soient situés en Tchécoslovaquie. Pierre Mertens attire notre attention sur l’absurdité et le ridicule d’une telle attente :
‘« Pour dire la perte ou l’asservissement d’une nation, on trouve (...) deux sortes de poètes : les chantres, d’Hugo à Neruda, de Solomos à Kanafani, et les cliniciens, de Hašek à Kundera, qui renoncent à ce que Jankélévitch a, un jour, appelé « un pathos d’exil ».Veuve noire magnifiée, l’écriture tant désirée dévore le lecteur au moment même où il était sûr de lui échapper. L’ambiguïté de la fonction de l’écriture continue son chemin paradoxal par le choix d’une autre orientation, celle qui exclue mais en même temps appelle des publics archétypes : la critique acerbe par la dérision. Ainsi, ce qu’on a fini par appeler la lutte de Boudjedra pour la condition de la femme en Algérie95, pourrait en même temps interpeller les lecteurs que ce discours dérangerait, au même titre que ceux qui en manifestent l’attente.
Parallèlement, un autre paradoxe s’élabore. Le public qui refuse l’émancipation de la femme serait à même de donner aux textes de Boudjedra une ampleur qu’ils ne revendiquent peut-être pas au départ. Et le public qui la revendique, ne pourrait peut-être pas en mesurer le danger, puisqu’il l’aborderait en tant que norme à suivre. Quoi qu’il en soit, parler de la femme comme l’a fait Boudjedra et au moment où il l’a fait, consiste en une véritable déclaration de guerre à l’intention de tous ceux que l’on appelle non sans une pointe de malice, les obscurantistes ou les nostalgiques de l’âge d’or arabo-musulman. Cet auteur a pris la parole au moment où elle s’offrait à lui :
‘« La Répudiation est un récit qui procède d’une fureur de dire l’interdit, la zone d’ombre où se noue la contradiction fondamentale d’une société. C’est pourquoi, dire la situation de la femme, dans un texte de fureur, est également dire l’enfermement de tout un pays »96.’Les discours se superposent et s’imbriquent. Un mouvement d’avalanche se produit. Une chose en amenant une autre, une revendication en supposant une autre, le texte de Boudjedra devient « virulente critique des régimes en place »97, et La Valse aux adieux est interdite de publication en Tchécoslovaquie « non point que Kundera fût un ennemi du régime socialiste, mais sa manière de penser et d’écrire y est jugée hautement subversive»98.
Dans certaines situations, la nationalité, la religion ou la culture importent peu. Tout comme Boudjedra, Kundera a bien connu les inconvénients de la censure :
‘« Kundera vit (...) dans une société qui ne permet pas à l’artiste de peindre ce qu’il veut et comme il veut. Cela ne signifie pas nécessairement que l’artiste soit un ennemi des idéaux que poursuit cette société. Ce n’est pas l’écrivain qui tourne le dos à son pays. Mais c’est son pays qui met l’écrivain hors-la-loi, l’oblige à la clandestinité et le pousse au martyre »99.’Le malentendu à l’origine de cette situation de l’artiste qui, bon gré malgré, doit faire face à toutes sortes d’hermétismes, poussent l’écrivain dans ses derniers retranchements. Il ne fait plus de concessions et donne toute sa valeur à la parole arrachée, gagnant par là même son titre de combattant du kitsch généralisé :
‘« Le mot kitsch désigne l’attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre. Pour plaire, il faut confirmer ce que tout le monde veut entendre, être au service des idées reçues. Le kitsch, c’est la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion »100.’Pour clore cette partie, nous reprendrons ces mots de Kundera qui semblent à eux seuls justifier le choix fait par nos deux auteurs :
‘« A notre époque, une oeuvre qui n’est pas en mesure de devenir partie de la littérature mondiale peut être regardée comme nulle et non avenue »101.’L’ambiguïté de l’espace dans lequel et à partir duquel est prise la parole donne toute leur force de frappe à ses oeuvres tantôt inscrits dans le Même, tantôt dans l’Autre :
‘« La reconnaissance par l’Autre n’échappe à la récupération (donc, à la suppression) qu’a déjà subi l’écriture descriptive qu’en se constituant comme insaisissable »102.’Mais à force d’être « insaisissable », cette écriture n’est-elle pas en train de se couper de son public légitime ? Chaque roman ne semble-t-il pas s’élever vers le ciel pour consolider le mur de la discorde et du malentendu ?
- GAFAÏTI, Hafid. Boudjedra ou la passion de la modernité, op. cit., p.125.
- PICARD, Michel. La lecture comme jeu, Paris, Minuit, 1986, coll. Critique, 319 pages; p.242.
- VIALA, Alain. L’Enjeu en jeu : Rhétorique du lecteur et lecture littéraire, in- La Lecture littéraire - Colloque de Reims (du 14 au 16 / 06 / 1984), sous la dir. de PICARD, Michel, Paris, Clancier-Guénaud, 1987, 328 pages, pp. 15-31; pp. 18-19.
- Ibid. pp. 19-20.
GAFAÏTI, Hafid. Boudjedra ou la passion de la modernité, op. cit.
- BONN, Charles. L’érotique du texte, la différence et l’étrangeté, in.- Imaginaire de l’espace, espaces imaginaire, sous la direction de BASFAD, Kacem; Casabalanca, EPRI, Faculté des Lettres et Sciences Humaines I, 1988; pp. 137-142.
- Ibid., p. 141.
- Ibid., p. 137.
- BOUDJEDRA, Rachid. Pour un nouveau roman maghrébin de la modernité, op. cit. p. 45.
- KARVELIS, Ugné. L’écrivain envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.
- KUNDERA, Milan. L’Art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p. 121.
- Id.
- BONN, Charles. L’érotique du texte, la différence et l’étrangeté, op. cit. p. 141.
- BONN, Charles. Espace scriptural et production d’Espace dans L’Insolation de Rachid Boudjedra, in. Annuaire de l’Afrique du Nord, n° XXII, 1983; Paris, Ed. Du Centre National de la Recherche Scientifique, 1985.
- BONN, Charles. Emigration-immigration et littérature maghrébine de langue française, op. cit., p. 28.
- BONN, Charles. KHADDA, Naget. MDARHRI-ALAOUI, Abdallah (sous la direction de). Littérature maghrébine d’expression française, op. cit., p. 12.
- Ibid., p. 14.
- BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, Paris, l’Harmattan, 1985, 351 pages; pp. 237-238.
- MERTENS, Pierre. L’agent double : Sur Duras, Gracq, Kundera, etc., , pp. 299-300.
- « (...) s’il est impropre de qualifier la littérature de Boudjedra de “féministe”, il n’est peut-être pas erroné de suggérer qu’elle s’inscrit de plus en plus d’un point de vue où la femme prend une dimension fondamentale ».
- GAFAÏTI, Hafid, L’affirmation de la parole féminine dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra, in. Littératures maghrébines, vol. II, l’Harmattan, Paris, 1990, coll. Jacqueline Arnauld, 191 pages.
- BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 240.
- BONN, Charles, Littératures maghrébines et espaces identitaires de lecture, in. Présence francophone, n° 30, 1987; p. 12.
- LIVITNOFF, Boris. Milan Kundera : La dérision et la pitié, op. cit., p. 49.
- Ibid., p. 58.
- KUNDERA, Milan. L’Art du roman, op. cit., p. 200.
- KARVELIS, Ugné. Le romancier envie toujours le boxeur ou le révolutionnaire, op. cit.
- BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 279.