Les sentiments ambigus qui existent entre la mère et l’enfant tels que nous les présentent Boudjedra et Kundera, se trouvent à l’origine d’une tension extrême du récit. Rien que le fait de parler de la mère est perçu comme une douleur intense qui met en relief la nécessité et par la même occasion, la fragilité de la prise de parole. C’est le cas pour Rachid qui tente vainement, dans La Répudiation, d’échapper au leitmotiv vicieux et tentateur de Céline. C’est aussi celui de Mehdi qui, dès l’incipit du quatrième chapitre de L’Insolation consacré au viol de Selma, annonce son regret d’avoir brisé le cercle familial de la parole interdite :
‘« Pourquoi lui avoir parlé de ma mère? J’avais certainement raté là une belle occasion de me taire » (p. 75). ’Derrière la boutade ou le clin d’oeil ironique de l’auteur à l’égard de son premier roman, nous pouvons déceler la conscience profonde du piège de la maternité. Conscience également présente chez Kundera dont les personnages, notamment ceux de L’Insoutenable légèreté de l’être trouvent l’explication de leur enlisement sentimental ou idéologique dans leurs rapports avec leurs mères, comme le souligne Guy Scarpetta :
‘« Franz, le plus dépendant de l’univers maternel, est tout à la fois le plus inapte au libertinage et le plus enclin à l’illusion lyrique, y compris sur le plan politique (il garde la nostalgie du “cortège”, de la “grande marche”, de la participation au “sens de l’histoire”); Tomas, qui a rompu de manière délibérée, voire volontariste, avec l’univers des valeurs maternelles (symptomatiquement : dans la foulée de son divorce), semble plutôt embarrassé par la fonction paternelle (ses relations avec son fils sont fondées sur l’équivoque), et n’échappe guère à la position oedipienne classique, celle qui vise à une séparation tranchée entre sexualité et amour-tendresse (Tomas rêve de pouvoir aimer Tereza “sans être importuné par la bêtise agressive de la sensualité”). Côté femmes : Sabrina ne cesse de réitérer symboliquement sa sortie de l’univers maternel, selon un principe de “trahison” littéralement interminable, comme si cette sortie était à reprendre sans fin, jamais définitive; Tereza, enfin, dont le lien à la mère est présenté comme particulièrement traumatique (sa mère incarne le “naturalisme”, l’impudeur, la dénégation du péché, la volonté d’assumer la prétendue innocence du corps jusque dans ses aspects les moins ragoûtants), croit s’en sortir par un contre-investissement de valeurs nobles (la musique, la lecture), par l’amour-passion pour Tomas (“Elle était venue vivre avec lui pour échapper à l’univers maternel où tous les corps étaient égaux”), – mais reste prise au piège du narcissisme (elle ne désire pas vraiment son partenaire, mais plutôt “son propre corps soudain révélé” à travers lui) – c’est-à-dire, au fond, de la prise maternelle : jusque dans son idéalisme, son besoin de dignité, elle continue à n’être que le prolongement inversé du “grand geste de sa mère, autodestructeur et violent” »170.’Guy Scarpetta affirme donc que « la sphère maternelle » est évoquée dans ce roman, soit comme un piège lyrique de part le sentimentalisme qu’elle peut susciter, soit comme moteur du libertinage dans le cas d’une séparation trop brutale qui provoquerait chez l’enfant une dissociation entre le sexe et les sentiments, soit comme un élément de culpabilisation, soit enfin, comme un piège narcissique. Dans tous ces cas, que la séparation de la mère soit complètement ignorée, provoquée, éternellement reconsidérée, ou désespérément désirée, elle reste douloureuse et impossible à réaliser.
Rachid hésite dans La Répudiation entre le silence et la parole. Il tombe lui aussi dans le piège maternel :
‘« Pourquoi ma mère me préférait-elle à mes autres frères? En fait, nos rapports étaient plus heurtés, plus violents. Impossible de donner une réponse » (p. 49).’La parole se heurte au blocage : sitôt donnée, elle est reprise. Le piège se referme complètement lorsque le narrateur avoue à la suite du décès de Zahir :
‘« Ma allait certainement m’adorer et renforcer son amour pour moi » (p. 168). ’Il n’en sera rien car la mère sombre dans la maladie, puis meurt. Trahison ? Là commence la remise en question, alimentée par le paradoxe de l’attitude de la mère qui le pousse vers l’abîme :
‘« Mais les valeurs nécessitaient des sacrifices et tout le monde était d’accord pour les assumer jusqu’au bout : les femmes – elles n’étaient pas les dernières ni les moins enthousiastes –, les hommes, les cadis et les gros commerçants. Ma reprenait alors sa place parmi les traditions envahissantes et réintégrait les dimensions de l’ordre. Aussi la société reprenait-elle son souffle et psalmodiait-elle d’une voix triomphante. Le peuple, lui, battait des mains et se réservait des lendemains de fêtes » (p. 38).’Le narrateur n’arrête pas là sa tentative suicidaire de dévalorisation de la mère :
‘« Ce qui me rendait le plus malheureux, c’était l’attitude équivoque et caqueteuse de ma mère, prise dans sa contradiction abondante, ne sachant à quelle haine se vouer et, pour ne pas perdre pied, décidant tout à coup de jouer le jeu, de se soumettre totalement aux avunculaires déchaînés » (p. 47).’Rachid trouve cette attitude révoltante car il n’est pas plus misérable que le spectacle de la flagellation. Cette image de la mère qui se fait la garante de sa propre perte est décidément intolérable pour notre protagoniste. Pour en faire une figure littéraire, Boudjedra a dû puiser son inspiration dans son vécu. Nous prenons connaissance dans une thèse consacrée à la « critique de la société dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra » d’un détail assez significatif :
‘« Le père détient tous les droits mais c’est la mère, subordonnée à son pouvoir exclusif qui perpétue paradoxalement les traditions. Même si celles-ci l’asservissent à tous les niveaux dans la société ancienne, c’est elle qui est gardienne des lois ancestrales ponctuées par des rites quotidiens »171.’L’aversion éprouvée par Rachid et Mehdi à l’égard d’une mère soumise, qui n’a d’autre alternative que celle de putréfier son corps pour échapper à la fatalité de son rôle d’objet sexuel, trouve son répondant dans L’Insoutenable légèreté de l’être. Il y est question du dégoût de Tereza à l’égard d’une mère impudique, montrant son corps dans toute sa laideur pour se venger de son échec à en faire un objet sexuel :
‘« Dans l’univers de sa mère, tous les corps étaient les mêmes et marchaient au pas l’un derrière l’autre. Depuis l’enfance, la nudité était pour Tereza le signe de l’uniformité obligatoire du camps de concentration; le signe de l’humiliation » (p. 88).’A l’origine de l’enfermement de la mère dans les pays du Maghreb, il y a un phénomène universel, à savoir sa condition de femme. En décrivant le devenir des algériennes vu à travers les romans de Boudjedra, Giuliana Toso Rodinis oublie sans doute qu’il en a été de même dans les autres sociétés :
‘« Ce que Boudjedra met en évidence dans ses romans du cycle algérien, c’est le lourd fardeau de la soumission de la femme contrainte aux exigences érotiques du mâle et à la dissolution de son corps devenu un poids mort, vieilli, fatigué par les nombreux accouchements »172.’Elle souligne en outre que la répudiation de la mère en tant qu’élément autobiographique représente bien un catalyseur de récit pour le premier roman de Boudjedra :
‘« On reconnaît dans ce roman, comme dans les autres à venir, que cet acte a déclenché dans l’âme de l’écrivain la prise de conscience d’une injustice que sa mère et lui ont dû subir à cause du père. D’où la « subversion littéraire », la violence qui caractérise son écriture, et ces formules lapidaires pour souligner la gravité de l’événement.(...) Ce qui l’agace au point de devenir un topos, c’est cette passivité physique et morale, cette acceptation morne qui l’humilie en profondeur, ce sens de la fatalité à laquelle la femme ne peut guère s’opposer »173.’Bien plus que « la prise de conscience d’une injustice », le sentiment d’une impuissance à dire (que nous avons développée dans les pages précédentes) nous semble représenter le ferment littéraire dont il est question dans cet extrait.
La machination ourdie contre la mère emporte dans sa course folle les enfants. Dans La Répudiation, Rachid associe en effet sa mère à sa propre impuissance :
‘«Toute cette tension nouée au niveau de ma gorge, et que je n’arrivais pas à faire exploser dans un quelconque acte de violence, me fatiguait beaucoup. Insomnie. Ma mère, à mes côtés, ne dormait pas non plus. Soupirs » (p. 49).’Ou, plus loin, à l’échec de ses amours secrètes et illicites avec sa cousine qui, après un refus catégorique, consent à se laisser caresser avant de devenir littéralement pantelante de désir. L’image de ce désir grotesque, amplifiée par le dégoût que lui inspire cet acte que seule son ombre semble « revendiquer », suscite sa pitié envers lui-même :
‘« Commisération à l’égard de mon propre malheur, car je revendiquais à l’instant même ma mère meurtrie, trompée; mais les idées étaient rétives et j’aboutissais chaque fois à cette odieuse impasse où me catapultait l’innocence amère (je ne savais pas comment me venger du sadisme du clan vis-à-vis de Ma) » (p. 51).’Le passage de « l’innocence amère » à l’innocence de la mère dont le roman se fait l’écho, rendu possible par un simple jeu de mots, nous semble très suggestif. En même temps cause et conséquence du malheur, « l’innocence » à mère verra le saccage se prolonger dans L’Insolation à travers « la rupture » à mère « avec le père » (p. 246). Le motif du miroir nous « catapulte » d’un roman à l’autre.
Le miroir est en effet présent dans deux des romans que nous étudions : L’Insolation et L’Insoutenable légèreté de l’être. Dans le premier, nous voyons grâce à la voix de Mehdi et à travers le regard de Malika, le spectacle orgiaque des états incestueux de Siomar et Selma qui se reflètent dans le miroir de la grande armoire. Le miroir est en même temps le lieu où l’image de la mère se brise dans L’Insolation, et celui où elle s’érige en puissance castratrice dans L’Insoutenable légèreté de l’être. Tereza redoute le regard de sa mère et cherche par tous les moyens de s’en détacher :
‘« Elle s’y contemplait longuement, et ce qui la contrariait parfois c’était de retrouver sur son visage les traits de sa mère. Alors, elle n’en mettait que plus d’obstination à se regarder et tendait sa volonté pour s’abstraire de la physionomie maternelle, en faire table rase et ne laisser subsister sur son visage que ce qui était elle-même. Y parvenait-elle, c’était une minute enivrante : l’âme remontait à la surface du corps, pareille à l’équipage qui s’élance du ventre du navire, envahit le pont, agite les bras vers le ciel et chante » (p. 66).’L’image de la mère se reflète dans le miroir, écrasant de tout son poids l’image de la fille. Se détacher de cette image représente une véritable libération pour Tereza. La façon dont elle se raccroche au miroir pour exorciser les attributs maternels qu’elle y voit, la rend plus pathétique que jamais et nous renvoie fatalement à celle, plus pathétique encore, avec laquelle Mehdi décrit son désir de voir tanguer la porte de l’armoire où se reflète la scène traumatique de la sexualité maternelle. Tereza veut faire abstraction de son corps dont la dimension érotique est gommée par le regard castrateur de la mère qui s’en trouve elle-même asexuée; Mehdi veut effacer l’image d’une mère-corps, réduite à sa seule fonction d’objet sexuel dont il est lui-même le fruit et, du coup, c’est son image à lui qui sera happée. Echec et mat. Car le miroir révèle ce que l’entendement récuse ou tente d’occulter. Dans le roman de Kundera, « non seulement (Tereza) ressemblait à sa mère, mais (...) sa vie n’a été qu’un prolongement de la vie de sa mère » (p. 67). Et, pour sa part, le narrateur de L’Insolation ne peut éviter d’apprendre le secret de sa naissance et des relations intimes de sa mère (pp. 90-91) à travers non pas un miroir, mais quatre : le regard de sa tante, lui-même plongé dans le miroir réel de la grande armoire qui garde encore les traces du « va-et-vient » (p. 91) coïtal lorsqu’il reflète virtuellement le scène du meurtre du père. Cette mise en abîme qui n’en finit pas, est portée à son paroxysme par le mouvement entêté de la porte qui s’ouvre et se ferme sans cesse. Lorsque Mehdi imagine vers la fin de L’Insolation, le « va-et-vient du couteau» (p. 217) dans la gorge de Siomar, projeté sur l’écran-miroir de la porte de l’armoire « qui continuerait à grincer et à battre follement » (p. 218), est-il tenté, lui aussi, à l’image de Tereza, par le vertige, la chute, l’appel de la pesanteur ? Bref, le retour à la mère ? Ou bien le cordon doit-il être définitivement coupé ?
L’image maternelle constitue ainsi un abîme où viendrait se briser celle du personnage qui ose s’y mirer. Le lien est-il définitivement coupé ? N’y aurait-il pas ne serait-ce qu’une once de nostalgie ou de regret d’un paradis perdu ? Rachid nous parle en effet dans La Répudiation, du « désespoir du lien coupé qui (lui) donnait des rages de testicules » (p. 44), avant de déclarer sa haine pour sa mère (« Ridicule, ma mère! Je la haïssais... » (p. 53)). Il n’hésite pas d’ailleurs à répéter cette affirmation, comme s’il voulait s’en convaincre lui-même (« Lamentable, ma mère ! Je ne lui adressais plus la parole et la haïssais » (p. 64)). Mehdi laisse également paraître dans L’Insolation certains signes de son désir de rupture. Il est « écoeuré par l’odeur du lait épais et crémeux que (s)a mère versait dans (s)a soucoupe » (p. 206) et avoue sincèrement : « Je m’étais demandé si j’aimais réellement ma mère! » (p. 226).
Dans La Valse aux adieux, Kamila éprouve pour sa part, du « repentir » à travers la souffrance que lui cause la mort de sa mère. Le narrateur se hâte d’expliquer ce sentiment, au détriment des autres (« tristesse », « nostalgie », « émotion »). Il nous dit effectivement :
‘« (Kamila avait-elle suffisamment pris soin de sa mère? Ne l’avait-elle pas négligée?) » (p. 160).’Mises entre parenthèses, ces questions plutôt rhétoriques endossent l’habit de la confidence visant la compréhension et l’indulgence du lecteur. Le questionnement sur l’authenticité de l’amour vis-à-vis de la mère continue dans L’Insoutenable légèreté de l’être avec le « regret » éprouvé par Tereza :
‘« Si sa mère avait été une des femmes inconnues du village, sa joviale grossièreté lui eût peut-être été sympathique! Depuis l’enfance Tereza a toujours eu honte que sa mère occupe les traits de son visage et lui ait confisqué son moi » (p. 433).’Cette remise en question est le résultat d’un constat d’échec de l’image maternelle. Les personnages sont profondément blessés par la déception que leur causent leurs mères.
Le premier, Rachid, est halluciné de voir « Ma se dérob(er) »174 pour ne pas déranger la nuit de noce, puis « se calfeutr(er) »175après avoir participé à l’hystérie collective du remariage de son mari, sans doute pour sauver la face, gommer l’humiliation qu’elle vient d’essuyer (« Tout le monde louait son courage et cela la consolait beaucoup! »176, enfin, « cess(er) de s’occuper de Zahir »177 comme si elle se raccrochait à son devoir de mère pour pouvoir supporter la fête. Dès lors, l’espace utérin vu à travers la menace d’«engloutissement »178 qu’il représente, est fuit. La mère est associée à la maison où Rachid « ne voulai(t) pas rentrer »179, de peur qu’elle ne le « dévor(e) »180. La prison de la mère menace d’être celle des enfants et le comble, c’est qu’« il n’y avait plus d’issue »181possible, « à moins que »182.
Quand au narrateur de L’Insolation, il ne peut supporter le dépérissement de sa mère qui sera pourtant le dernier souvenir qu’il aura d’elle, puisqu’il n’assiste même pas à ses funérailles. C’est Djoha qui lui fait à l’hôpital le récit de l’enterrement. Il l’accuse même « d’avoir simulé cette maladie pour échapper à la corvée de l’enterrement » (p. 225). Mehdi oscille ici aussi d’une prison à l’autre, conscient qu’«il n’y avait plus d’issue ». L’évocation de l’agonie de la mère au chapitre 10, correspond au « dernier séjour » de Mehdi « dans la maison maternelle avant l’insolation » (p. 219). La fin du calvaire de la mère annonce le début de celui du fils. La rupture est tantôt désirée, tantôt rejetée, tout comme le mot mère que le narrateur emploie dans le récit en alternance avec le prénom Selma, hésitant sur la nature du statut à lui accorder :
‘« Ma mère que j’avais toujours appelée Selma parce qu’elle ne m’avait jamais semblé assez vieille pour mériter le nom de mère » (p. 211).’Tereza, troisième personnage à être déçu par l’image maternelle, ressent au plus profond de sa chair la douleur causée par l’insistance de sa génitrice à vouloir lui faire accepter la banalité et l’inutilité de son corps. L’image de la mère est aussi bien altérée par le silence et la pudeur de Selma qui veut, dans L’Insolation, oublier son corps en s’entourant d’animaux qui rappellent l’univers de la pureté virginale des contes de fées, que par l’impudeur de la mère de Tereza qui, dans sa lutte contre la déchéance de son propre corps, étale ses tares. Montrer ou cacher le corps de la mère sont pour Mehdi et Tereza deux attitudes traumatiques, porteuses du même résultat : Mehdi déchire les photos de sa mère pour exorciser une nudité agressive parce que cachée; Tereza déchire aussi l’image de son propre corps devant le miroir, à la recherche de « l’équipage de son âme ». Effacer le corps de la mère, le faire disparaître, tels sont les objectifs de ces deux personnages. Les tentatives réitérée de couper le cordon ombilical se soldent pourtant par un échec, puisque même la mort réelle de la mère ne permettra pas aux personnages de se libérer.
Dans L’Insoutenable légèreté de l’être, dont ‘« l’un des sous-titres possibles (...) pourrait être : tentative d’évasion hors de la sphère maternelle »’ 183, les protagonistes luttent vainement contre leur attachement à la mère. Soit consciemment comme Tereza devant son miroir, ou Sabina à travers son obsession de la trahison (pour elle, la trahison est le seul salut, l’unique façon de ne pas se faire d’attaches) sans cesse répétée, donc toujours remise en question, jamais aboutie; soit inconsciemment comme Tomas qui croit s’être débarrassé de toute pesanteur en coupant « volontairement » le cordon, mais qui, grâce à Tereza, retombe dans le piège de l’idylle, ou comme Franz qui ne se pose même pas la question, se fond dans la masse et n’aspire qu’au bonheur, d’où son profond désaccord avec Sabina, traduit par le « petit lexique de mots incompris »184.
Doit-on se poser la question de l’origine de rapports aussi malsains avec la mère, à l’image de Freud s’appuyant sur l’étiologie en psychanalyse ? La recherche des causes du mal, en priorité dans la petite enfance, contribuerait peut-être à connaître les raisons qui ont amené nos auteurs à insister sur la problématique de la mère. Octave Manonni affirme :
‘« (...) La croyance à la présence du phallus chez la mère est la première croyance répudiée, et le modèle de toutes les autres répudiations »185.’Dans les romans de Boudjedra nous ne pouvons pas dire que les choses se passent aussi facilement. Le constat de l’impuissance de la mère provoque un trauma impossible à dépasser, un prétexte pour une complaisance dans la révolte sans cesse avortée. Il reste alors une autre voie :
‘« Tuer symboliquement la mère comme le père par le récit, c’est se mettre soi-même à l’origine de la vie, c’est être la matrice »186.’C’est en principe ce qui devrait se produire. Mais, encore une fois, nous sommes en droit de nous poser la question : La mort effective de la mère ainsi que l’enfermement dont elle est victime de son vivant auront-ils raison des narrateurs ? A quelle « naissance » ont-ils droit ? Celle de la folie. « A l’origine » de quelle « vie » ? Celle du délire. Quelle « matrice » ? Celle du récit. Mais le cercle vicieux suit son cours puisque la mort de la mère engendre la mort du récit.
- SCARPETTA, Guy. L’Impureté, op. cit., pp. 276-277.
- GORALCZYK, Bozena. Critique de la société dans l’oeuvre romanesque de Rachid Boudjedra, thèse de troisième cycle, sous la dir. de LAUNAY, Michel, Université de Nice, U.E.R des Lettres et Sciences Humaines, 1982; p. 17.
- TOSO RODINIS, Giuliana. Fêtes et défaites d’Eros dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra, op. cit., p. 16.
- Ibid., p.39.
- La Répudiation, p. 69.
- Ibid., p. 73.
- Ibid., p. 64.
- Ibid., p. 72.
- Ibid., p. 61.
- Id.
- Ibid., p. 78.
- Id.
- L’Insolation, p. 253.
- SCARPETTA, Guy. L’Impureté, op. cit., p. 276.
- L’Insoutenable légèreté de l’être, troisième partie, chapitres 3, 5 et 7.
- MANNONI, Octave, Clefs pour l’imaginaire ou l’autre scène, Paris, Seuil, 1969, coll. Le Champ Freudien, 318 pages; p. 17.
- BONN, Charles. Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 276.