a) L’aliénation de la paternité :

La problématique de la paternité est certes abordée dans les romans de Boudjedra et Kundera de manière équivoque, mais est-il pour autant possible d’y déceler une quelconque altération du statut parental ? Pourquoi avons nous recours au substantif « aliénation » pour désigner le traitement qui lui est infligé? Nous commencerons par chercher la réponse dans le sens même du mot. Le dictionnaire Latin/Français Gaffiot228 nous apprend qu’alienatio, l’origine latine du mot aliénation, signifie :

  1. « Transmission d’une propriété à un autre. »

  2. « Eloignement, désaffection, rupture. »

Alienatio dérive lui-même d’alieno qui présente cinq sens :

  1. « aliéner, transporter à d’autres son droit de propriété. »

  2. « Eloigner (détacher), rendre étranger (ennemi). »

  3. « Aliéner l’esprit, ôter la raison. »

  4. « Etranger à toute sensation. »

  5. « [En médecine, en parlant du corps humain] alienari, perdre tout sentiment, être en léthargie, être paralysé. »

Alieno nous renvoie à son tour à alienus qui présente deux orientations sémantiques : la première comprenant l’idée d’autrui et la seconde celle de séparation, d’éloignement. Enfin, alienus nous conduit à alius, qui veut dire « autre ».

A la lumière de ces informations, peut-on dire de l’aliénation que c’est un passage d’un état à un autre ? Il nous suffit de consulter l’étymologie du terme pour établir une corrélation très étroite entre le deuxième sens du mot alienatio, à savoir les opérations d’éloignement, de désaffection ou de rupture, et leur résultat, c’est-à-dire la notion de transformation. Nous saisissons alors d’autant mieux le cheminement du sens, ce qui nous amène à adopter cette démarche pour notre analyse textuelle. Comment reconnaît-on l’aliénation de la paternité dans les romans qui nous intéressent ? Comment s’y opère le basculement qui impose le recours au terme d’aliénation ? Deux romans sont particulièrement significatifs sur ce plan : La Valse aux adieux et L’Insolation. Ils nous offrent deux orientations essentielles à l’étude du détournement du rôle paternel, qui sont autant de mise-en-scène tendant à dévier les relations entre certains personnages de leurs points de départ.

L’exemple type illustrant la première catégorie d’aliénation de la paternité s’offre à nous sous les traits de Jakub dans La Valse aux adieux. Il fini par répondre aux avances d’une orpheline sous sa protection depuis la mort de son père alors qu’elle n’avait que « sept ans » (p. 101). Il ne s’agit donc pas d’inceste à proprement parler, mais comme nous chercherons à le démontrer, de relations à caractère incestueux. La deuxième catégorie s’appuie sur les descriptions du Dr Skreta dans La Valse aux adieux et de Djoha dans L’Insolation. Elle met en évidence l’art dont font preuve nos écrivain dans le maniement de la caricature en tant qu’instrument de destruction de la figure paternelle.

Notes
228.

- GAFFIOT, Félix. Dictionnaire Latin/Français, Paris, Hachette, 1934; 44e édition, 1990, 1719 pages.