LA REPUDIATION

I/ DISCUSSIONS AVEC LE NARRATAIRE

a) Confidences:

  1. « ...nous avions donc cessé nos algarades (lui dirai-je que c’est un mot arabe et qu’il est navrant qu’elle ne le sache même pas ? Peut-être vaudrait-il mieux ne pas réveiller la chatte agressive et tumultueuse qui dort en elle...)... » p. 9.

  2. « Je rêvais de la cloîtrer, non pour la garder pour moi ... (non, je ne pouvais pas être jaloux dans l’état d’extrême confusion où je végétais depuis, ou bien avant, ma séquestration par les Membres Secrets dans une villa bien connue du peuple; non ce n’était pas du tout là mon but)... » p. 12. [dialogue]

  3. « ...douceur du bois blanc (le seul meuble, dans la chambre, qui faisait rêver)... » pp. 16-17. [appréciation]

  4. « Elle prenait toujours cette attitude lorsqu’elle écoutait quelqu’un parler (disposition à la communion). » p. 19.

  5. « ...Musique. Tintamarre. Nains voltigeurs. (Nous nous méfiions des sorciers)... » p. 21. [dans ce passage, la parenthèse qui est sur le plan syntaxique la phrase la plus élaborée, est paradoxalement, moins percutante que les autres]

  6. « Il racontait qu’il avait pris le train (il était réellement coutumier du fait). » p. 27. [confirmation à l’adresse du lecteur]

  7. « Son mari ne dit mot car se curer les dents est un art, plus qu’un plaisir ! (Dans la ville, les hommes déambulent. Ils crachent dans le vagin des putains, pour les rafraîchir. Chaleur... Les hommes ont tous les droits, entre autres celui de répudier leurs femmes. Les mouches continuent d’escalader les verres embués et de s’y noyer. Aucune ivresse ! Ma mère ne sait ni lire ni écrire. Raideur. Sinuosités dans la tête. Elle reste seule face à la conspiration du mal allié aux mouches et à Dieu.) » p. 34. [délire]

  8. « Elle s’accrochait, disait qu’elle m’aimait (enfantillages...). » p. 51. [jugement]

  9. « ...j’aboutissais chaque fois à cette odieuse impasse où me catapultait l’innocence amère (je ne savais pas comment me venger du sadisme du clan vis-à-vis de Ma). » p. 51.

  10. « ...je farfouillais dans le reste attiédi de ma conscience ... (mais rien !). p. 51.

  11. « Mouvance lentement freinée jusqu’au bercement au rythme duquel s’endormait la ville arabe, épuisée par son troc et sa position instable entre la mer et les collines. (Regarder s’amenuiser les silhouettes dans les ruelles tenait du cauchemar !)... » p. 61.

  12. « J’en profitais pour haïr ma mère et, par une sorte de dérision, avilir toutes les femmes qui me passaient entre les mains. (Lâcheté !) » p. 65. [jugement]

  13. « Il ne perdait donc pas le nord, continuait à manger beaucoup de miel et des amandes grillées (toujours l’obsession génésique !)... » p. 70.

  14. « Un voile blanc (simple suggestion !) » p. 74.

  15. « Ablution féminine (toujours la même suggestion). p. 74.

  16. « ...quand il a le cafard (et il l’a continuellement). » p. 82.

  17. « ...les saucisse grillées au feu de charbon, celles que l’on fait, selon les tantes, avec des boyaux de chats (gamin, j’en mangeais exprès pour avoir l’âme d’un chat et ne pas mourir, puisque ma mère répétait tout le temps que les chats ont sept âmes). » p. 94.

  18. « Le vieillard traîne au milieu du cercle que nous formons et en est très content (le milieu c’est le pouvoir !). » p. 96.

  19. « Le maître risque de se réveiller ... Au moment où la chasse devient le plus passionnant, nous prenons des risques, nions toute autorité qui nous séparerait des mouches (qu’il se réveille et nous le catapulterons, nous le découperons en morceaux...)... » p. 96.

  20. « Une fois lassés de notre jeu, nous les donnons à un enfant noir (racisme latent !) » p.96. [jugement]

  21. « La chaise prend un air tranquille, dans la tension qui se développe (elle nous a assez supportés comme cela !). p. 99.

  22. « Pauvre mère, elle doit l’astiquer, mais il porte quand même son idiotie comme un aveugle sa canne blanche ... (Ne jamais oublier que ma mère est goitreuse et que j’aurais pu naître idiot.) » p. 109. [le narrateur se parle à lui même, oui, mais cela n’empêche pas que ces propos sont avant tout destinés au lecteur]

  23. « ...parler du cou de la femme est d’un érotisme qui peut mener au pire (Ah ! Zoubida... Impacts) » p. 110.

  24. « J’ai encore un orgasme à tirer (penser à Zoubida en train d’enfiler un bas, mais c’était peut-être au cinéma, cette image ?) » p. 111. [ses propres pensées]

  25. « ...je découvre mes propres mains. (Ça alors ! étonnantes !) » p. 112.

  26.  Il n’attend pas ma réponse d’ailleurs. Lit (belle voix). » p. 112. [aparté]

  27. « Le gamin est assis en face du téléphone et le contemple avec des yeux de chien. (Tu peux y compter !) » p. 113. [aparté]

  28. « Les réprimandes du père me laissent froid (ne pas envenimer les choses !) » p. 115. [aparté]

  29. « ...la culotte de la marâtre ... (couleur bonbon, quel mauvais, goût !) » p. 120. [aparté]

  30. « ...elles avaient souvent un enfant à allaiter (toujours la prophétie du lait !)... » p. 123. [aparté]

  31. « ...je lui racontais ma vie comme on moud du café (au fond, elle s’ennuyait). » p. 132. [il nous dit ce qui nous est caché]

  32. « Engelures (les femmes-corbeaux des cimetières de Constantine se transforment en mouettes blanches et préparent du couscous dans les maisons bourgeoises et chez les promus sociaux de la Coopération technique). » p. 132.

  33. « Eau troublée (je n’osait plus me laver, de peur de tout éteindre). » p. 136.

  34. « ...ma voix rendue chevrotante par l’insomnie (cigarettes encore...). » p. 137.

  35. « Pourquoi ricanait-elle ? (elle était exaspérante.) » p. 146. [jugement]

  36. « ...nous ne pouvions à la fin que nous réconcilier, Heimatlos et moi, en attendant le retour du cadavre (cependant, il ne fallait surtout pas qu’il touchât au corps ramolli de mon frère sur lequel le chef du clan déverserait des flots de versets coraniques hargneux). » p.156. [aparté]

  37. « Comme pour la circoncision (encore une invention barbare des adultes !). » p. 204. [aparté]

  38. « En définitive, il fallait s’attaquer aux palefreniers, aux femmes et aux oncles ... Mais cela fait beaucoup de monde (ne pas oublier l’amant de l’institutrice française). » pp. 204-205.

  39. « La troupe de tout à l’heure est à ma poursuite. Musulman ! Musulman ! (Merde ! Merde ! Zébi !)... » p. 206. [panique]

  40. « ...il faut que je m’en aille (prétexter une course urgente, peut-être, dire que ma mère est très malade et qu’il faut que j’aille vérifier si elle n’est pas morte...)... » p. 210. [pensée pour lui-même]

  41. « ...un homme du clan, non pas celui qui paraissait être le chef, mais un autre, vivant dans son ombre et attendant son heure pour prendre le pouvoir (il venait certainement de gagner la partie comme le prouvaient ces journaux réquisitionnés dans les imprimeries et cette musique, entrecoupée de temps à autre par la voix du nouveau leader bredouillant quelques phrases rendues inaudibles par la faute de mon vieux transistor quelque peu enroué et qui émettait par saccades brusques suivies de silences, ce qui donnait au discours, certainement cinglant et dur, une apparence cocasse, comme une sorte de déglutition difficile). » p. 218. [aparté]

  42. « ...les yeux abrités derrière des lunettes très noires (une coquetterie héritée du Devin!)... » p. 220. [aparté]

  43. « ...questions sans queue ni tête au sujet de mes rideaux, de ma carpette (je n’en ai jamais eue !)... » p. 230.

  44. « J’épiais le moindre bruit dans le couloir (il n’y en avait jamais !)... » pp. 230-231.

  45. « ...la moindre vibration de l’air (il n’y en avait jamais!)... » p. 231.

  46. « ...bourreau qui m’achèverait sans rien me dire, sans même hocher la tête devant ma peur lamentable et mes supplications vaines (puisqu’il ne ferait qu’exécuter un ordre)... » p. 231. [argumentation]

  47. « ...(peut-être même agirait-il avec douceur...)... » p. 231. [supposition]

  48. « ...mes yeux qui devenaient progressivement mous et sirupeux ... (on ne me permettait pas de me laver)... » p. 231. [il se plaint au lecteur]

  49. « ...au niveau de l’hôpital (ou du bagne, quelle importance, puisque je pouvais être aussi bien dans la villa aménagée depuis l’occupation étrangère en centre de torture). » p. 240.

  50. « ...le teint avachi par l’insomnie (disait-elle !)... » p. 240.

  51. « ...elle refusait de satisfaire ma curiosité sous prétexte qu’elle eût ainsi gâché la thérapeutique volontariste de mes médecins (ils auraient pu, bien sûr, être des responsables de l’administration pénitencière, portés sur la socio-psychologie des masses concentrationnaires !). » p. 240.

  52. « Elle n’aimait pas chez moi cette façon d’évoquer ses attitudes intimes (elle voulait dire: ses vices !)... » p. 241.

  53. « ...il fallait rejeter toute idéologie maléfique pour les intérêts des gros commerçants ... afin de mieux exploiter les classes pauvres et de les avoir à portée de la main (que ferait mon père sans les petites mendiantes qui venaient chaque matin lui demander l’aumône et qui, en échange, le laissaient caresser leur sexe, glacées d’effroi ? Elles se laissaient faire par craint de perdre la piécette que le père tenait dans l’autre main en guise d’appât; puis elles s’y habituaient et finissaient par venir dans le magasin pour satisfaire des vices que Si Zoubir avait su développer en elles. Combien de fois l’avais-je surpris en flagrant délit de viol sur les fillettes en guenilles ? Il savait alors reprendre contenance, mimer quelque jeu puéril, s’attendrir sur les loques de la gamine affamée, prendre tout à coup sa voix de stentor en mal de prêche, aller farfouiller dans son maudit coffre-fort à la recherche du livre saint, l’ouvrir juste à la page nécessaire, et sans perdre sa virulence me rappeler sévèrement à l’ordre de la charité préconisée par Dieu et par son prophète, renverser ainsi la vapeur, me coincer entre ma berlue irritante et le désir dérisoire de tuer l’immonde père échappé à ma filiation; il ne restait alors en moi qu’une sensation de soleil, abrupte et tenace, qui ne laissait dans mon invective qu’une désespérance d’ombre fraîche, de froid – en dépit de la chaleur – et de porte étroite bleuie par la chaux et le silence; puis resurgi tout à coup de l’innommable songe je déferlais dans la rue et tapais dans tous les chats et chattes du quartier, que je soupçonnais d’être en chaleur, jusqu’à en avoir mal aux testicules). » pp. 242-243. [argumentation]

  54. « Moi, je suis toujours au secret (cela dure depuis des années...)... » p. 252. [aparté]