L’INSOLATION

I/ DISCUSSIONS AVEC LE NARRATAIRE

a) Confidences:

  1. « Elle ... prenait son air des mauvais jour pour me houspiller (moi je mordais mon oreiller sous l’effet de l’humiliation; comment en étais-je arrivé à ce point ? Devenu l’esclave de cette infirmière, de vingt ans mon aînée, je ne savais plus comment faire pour sortir de ses griffes. Elle, pavoisait à me voir pleurer et sa poitrine opulente se gonflait sous sa blouse blanche amidonnée. Elle aurait pu être ma mère mais elle ne faisait pas son âge et restait terriblement désirable). » p. 9. [confidence]

  2. « ...elle ne voulait pas que je la lui raconte (ne parlons pas du médecin qui ne prenait pas les choses au tragique et qui avait des mains de boucher et des lunettes de donzelle) » p. 9.

  3. « L’âcre odeur de la semence lui donnait l’impression d’un plaisir fou (en réalité, elle demeurait frigide !) » p. 10.

  4. « ...cette couleur de tes yeux (gris ? verts ?)... » p. 15.

  5. « Ma petite idée de derrière la tête (utiliser Samia comme un appât)... » p. 17. [aparté]

  6. « ...elle savait que je voulais gagner du temps avant la défloration, la mise à mort ou la mise à vie ? (Que marmonnait-elle au juste ? Dans le brouillard de ma pauvre mémoire, les mots étaient le plus difficile à retenir.) » p. 21. [soliloque]

  7. « ...ma mémoire de malade amaigri et barbu, maugréant du haut de son lit, mais pas trop (la camisole de force !) » p. 23.

  8. « (Sacré nom de Dieu le Divin...) » p. 40.

  9. « Je vous le donne en mille... (Vite, avant que le petit garnement de droite avec la calotte blanche sur la tête ne mange le gland du fez de son camarade qui se balance juste devant lui, dans une oscillation tentante, tentante...) » p. 41. [soliloque]

  10. « ...un officier de l’armée française (qu’est-ce que ça pouvait faire s’il ne portait pas l’uniforme et les galons, cela ne changeait rien à l’affaire, sauf peut-être qu’il aurait paru plus mince si sa femme l’avait sanglé dans son habit de parade) » p. 45. [aparté]

  11. « Samia m’avait écrit une longue lettre (à moins que ce ne fût une ruse de la part du médecin pour me convaincre qu’elle ne s’était pas noyée, mais que j’avais attrapé une insolation) » p. 72. [soliloque]

  12. « Elle disait à plusieurs reprises (cette manie des répétitions !) » p. 72. [commentaire]

  13. « ...ma tante. (Je la consolais tant que je pouvais et essayais de l’habituer à l’idée qu’elle risquait fort de ne plus me voir.) » pp. 73-74. [confidence]

  14. « ...j’allais avoir à supporter la douleur de sa mort (impression hallucinante d’abattoir avec le grabuge des bêtes et les flots de sang chaud et épais déversés à torrents dans les caniveaux complexes dont la structure quasi abstraite m’effrayait plus que le reste; avec l’abominable gargouillis du liquide rouge faisant écho aux bruits de l’agonie dans les gorges des bêtes alignées, a l’infini, dans un ordre impeccable, lorsque le sang a inondé la bouche, les yeux et les narines. Qui m’avait emmené dans cet endroit affreux ? Peut-être mon prétendu oncle qui était mon père, l’austère et probe Siomar, riche propriétaire terrien qui avait accompli son troisième voyage à la Mecque et qui n’allait pas s’arrêter là... Le bouillonnement fascinant de l’urine rosie et coulant piteusement du pauvre gland, écrabouillé par le couteau de la brute hirsute, transformait mon angoisse larvée en un désir fou de japper et de caracoler. Nous étions venus livrer quelques veaux et quelques moutons dont les bêlements tristes me laissaient désemparé, face à la suractivité – tout à fait vaine et factice – du riche cultivateur. La tonitruance du sang était insoutenable au moment où le liquide abondant et vermillon giclait à l’assaut du visage monstrueux du boucher penché sur sa victime et dégoulinant de sueur...) » pp. 84-85. [confidence]

  15. « Elle avait dit (ou bien l’aurais-je tout simplement imaginé, après cette maudite insolation qui avait écrasé dans ma tête mille structures floues et mille mots vagues et peu précis; à tel point que j’avais cru à la noyade de Samia, la gamine de dix-sept ans qui disait qu’elle m’aimait mais qui m’avait échappé à Constantine où j’étais venu la rejoindre)... » p.92. [confidence]

  16. « Lorsque Djoha venait me voir, je lui demandais si c’était vrai, toute cette industrialisation massive. Il disait que je le savais très bien, ... que je l’avais même vue, ... qu’il y avait ... des complexes industriels très beaux (il m’agaçait avec son sens très aigu de l’esthétique). » p. 122. [confidence]

  17. « (n’est-ce pas cette image que l’autre, le scribe, avait transposée, à l’hôpital, à raconter et à écrire sa vie comme si cela avait un intérêt quelconque, puis à dire qu’il avait séduit une jeune élève qu’un nègre avait aspergée du sang d’une chèvre noire, avant de la laisser se noyer dans la mer ? N’est-ce pas cette image de la mère inondée par le sang du coq noir pendant le rite auquel il avait assisté alors qu’il était enfant et qu’il avait transformé, grâce à une fabulation maladive, en sang de chèvre, avec toute cette histoire compliquée de mausolée bâti au milieu de la plage, coupant toute perspective, gênant la ligne de la mer constamment surchargée d’oursins noirs, avec cette histoire de folle – la femme du nègre – qui serait morte il y a longtemps, toujours selon ses dires ? avec aussi cette défloration à l’intérieur du mausolée obscur où brillait la flamme d’une chandelle rabougrie et surchargée en même temps de cire coagulée autour de la surface ronde et plate ? avec aussi, toujours selon le scribe, ce nègre qui regardait à travers la lucarne, la jeune fille mourir de plaisir et se vider de son sang, etc ? Certainement que la clé de cette affaire se trouvait là... Sinon, la coïncidence aurait été un peu trop belle, un peu trop tirée par les cheveux pour qu’on pût y croire, ne serait-ce qu’un seul instant, berné que l’on était par la logorrhée de ce simulateur si bavard...)... » p. 157. [soliloque]

  18. « ...découvrant peu à peu cette atmosphère que j’avais traînée pendant des années, durant mon exil (surtout qu’il faut se méfier de la nostalgie. La pire des choses ! J’en avais bavé plus d’une fois de cette horrible poisse, à traîner des après-midi de cafard dans les villes étrangères... Horrible, cette nostalgie ! « De la frime – disait Céline – tu veux me quitter, tu veux partir, alors tu racontes que tu as le mal du pays... Tu en as assez de me voir, voilà tout ! » Elle était toujours accoutrée d’une drôle de façon. Au début, je n’osais pas la présenter à mes copains. « Pu...tain...de...bon...Dieu... de poitrine – avait dit le Bègue – d’où tu...la...sors ? » Du coup, il finissait par ne plus bégayer. L’émotion. « Elle n’aurait pas une soeur, une cousine, une tante, à la rigueur ? Tu sais, les mamelles, c’est de famille! » Il m’avait vexé. J’aurais voulu le frapper, mais nous étions du même village, dans une ville étrangère, à collecter de l’argent pour les maquis de l’intérieur. La nostalgie me rendait pacifique. Impossible d’en venir aux mains avec le Bègue. J’étais prêt à m’en aller et à lui laisser Céline. Pourvu qu’il sût la baratiner. Je n’étais plus ce minotaure. Génésiquement épuisé, mon frère ! Mais elle était coriace, Céline. Amoureuse ! Pourvu qu’il sût l’embobiner. Epuiser, mon frère. Je donnerais tout pour retourner à la ville où j’avais passé toute mon enfance et toute mon adolescence. Je ne faisais plus que traîner... Le Bègue avait fini par séduire Céline...) » pp. 178-179. [confidence]

  19. « ...la porte de l’armoire (où je cachais, autrefois, de grosses boîtes de concentré de tomate, vidées de leur contenu et remplies de grosses bestioles bien rangées que j’avais vainement essayé d’apprivoiser, en hiver; tandis qu’au printemps, je mettais dans l’armoire d’autres grosses boîtes dans les couvercles desquelles je faisais des dizaines de petits trous et que je remplissais de vers à soie que j’aimais regarder dévorer les feuilles de mûrier et grossir, puis tisser patiemment leurs cocons et s’y enfermer...), ouverte par inadvertance... » pp. 217-218.

  20. « ...le mur blanc et glabre du parc (que je confondais avec un autre mur blanc et glabre et lisse et chauffé par le soleil de juillet; un mur comme il n’en reste que dans la mémoire des gens qui n’ont jamais su bien grandir; avec par-dessus un lézard courant sur les rainures fendillées de la couche de chaux écaillée par la chaleur et – peut-être – par la stridence des cigales, parmi les mouches musiciennes (Bzzz...) venues d’une aile chuintante se faire happer furtivement par l’immobile saurien dont la queue frétille et dont les yeux se rétrécissent de jouissance malsaine; avec, aussi, son corps qui s’étale, se détend, se meut en vagues concentriques d’une régularité éprouvante, puis s’arrête brusquement dans une attente douloureuse; tandis que derrière le rideau de toile, l’aïeul dort, les bras en croix et la bouche ouverte) dont la magnifique flore... » p. 221.

  21. « Il était sûrement le complice de ma tante (dont les confidences chuchotées dans la pénombre d’une chambre ouverte sur le crépuscule alors que l’humidité de la dernière averse me transperçait les os, car on avait laissé une fenêtre ouverte derrière mon dos, sur le jardin trempé et rongé par la mousse, m’avaient consterné)... » p. 245.

  22. « ...le père non pas génésique (celui-là, je le gomme et je le nie)... » p. 246.