IV/ PAROLES OU PENSEES D’UN PERSONNAGE :

  1. « (Surtout ne me parle pas de cette circoncision, on aurait dû te couper le tout jusqu’aux testicules ! Ça te sert à quoi cette chose-là, sinon à t’alourdir et à te gêner lorsque tu marches vite ?) » p. 11. [Nadia]

  2. « (Comment concilier – disait-elle – le suicide et la révolution politique ? Des mots ! Je n’avais même pas envie de lui répondre. Elle était dérisoire. Quel rapport entre la rupture avec le père et cet orifice rose d’où coulait lentement un sang pivoine ?) » p. 22. [Samia]

  3. « (Nadia m’écoutait palabrer des heures durant. « Allons, allons, disait-elle, veux-tu cesser de raconter des sornettes ! Tu as tout inventé. Tu n’avais pas peur du sang, pour la bonne raison qu’il n’y en a pas eu, comme il n’y a pas eu d’oursins, ni de crabes entre les jambes de cette prétendue élève de philosophie. Non, il n’y a rien eu ! Arrête d’écrire. ») » p. 24. [Nadia]

  4. « (Et oui disait-elle – tu nous agaces avec toutes ces histoires qui ne tiennent pas debout! Avoue que tu sais les inventer tes sales histoires ! Et cette jeune fille de bonne famille qui se donne à toi, passe encore; mais ces enfants qui disent – le jour de ta circoncision – des obscénités au lieu de réciter les psaumes du prophète, et ces coupures et ces raccourcis qu’ils se permettent de faire à travers le livre de Dieu... Quelle engeance ! Allons donc ! Ton histoire de circonciseur qui fréquente les bordels et qui est fragile de la tête, ne tient pas du tout ! C’est du cirque ! C’est du Garagouz !...) » pp. 27-28. [Nadia]

  5. « (Dieu miséricordieux, prends soin de son prépuce et donne-le au barbier afin qu’il le suce ! Dieu miséricordieux, on va lui couper la bite, déjà qu’il l’a petite ! O croyants soyez bons avec vos enfants...) » p. 31. [les enfants]

  6. « (Il n’a qu’à faire comme nous ! Le con de sa mère a tellement englouti de serpents...) » p. 31. [les enfants]

  7. «(Dieu de Dieu de grosse bite ! Sens-tu l’odeur de bonne cuisine ? Qu’on nous donne à manger et qu’on nous laisse partir avant le massacre...) » p. 35. [les enfants]

  8. « (Il a avalé une couleuvre ! Non, une baguette ! Non, la petite bite de la future victime qui n’en a plus ! Donc, plus d’opération. Le barbier se doit de repartir bredouille, chez lui. Bredouille ! Le salaud ! Il en a une mine.) » p. 38. [commérages]

  9. « Les grands n’y comprenaient plus rien. (Allez voir ce qu’ils font. Ils deviennent tristes et vous donnent la chair de poule. Ah ! les sales garnements !) » pp. 43-44. [les grands]

  10. « (Bien fait pour sa gueule ! Ça lui apprendra ! Ça lui apprendra ! hurlait le choeur.) » p. 47. [le choeur]

  11. « (Dieu de grosse bite ! On te lynchera dans les rues de la ville monstrueuse où la légende de la femme sauvage court toujours) » p. 51. [les deux hommes]

  12. « (Cela sert !Cela sert !) » p. 76. [Djoha]

  13. « (ha ! ha!) » p. 101. [Djoha, interjection]

  14. « (hélas ! hélas !) » p. 109. [Djoha]

  15. « ...il avait été torturé (et ma mère avait eu beaucoup d’admiration pour le courage de son frère. A sa sortie de prison, il était venu la voir par surprise et avait surgi derrière elle, poussant un petit cri et la tenant par la taille, l’empêchant de se retourner et de deviner... Au début, elle n’avait pas cru à une farce. Elle s’était rappelé le jour où l’autre, l’ignoble, l’avait violée, juste à la même place, peut-être au même moment de la journée, avec la même flaque de soleil d’hiver qui cernait le puits. Il l’avait surprise par derrière... Comment avait-elle fait pour ne pas l’entendre venir... L’herbe devait être mouillée. Il avait plu la veille. Pourtant elle se tenait sur ses gardes. Depuis vingt ans qu’elle se tenait sur ses gardes ! Le viol... Elle était devenue méfiante chaque fois qu’elle voyait un puits et une bande d’herbe autour. Son frère avait voulu la surprendre. Elle le croyait toujours en prison. « A tirer de l’eau comme ça toute la journée, tu dois être fatiguée... » Elle l’avait reconnu à la voix. Heureusement ! Elle était prête à se jeter dans le puits. Elle n’allait quand même pas se laisser violer une deuxième fois. Il était venu lui annoncer sa sortie de prison et sa décision de quitter le village, la compagnie des chemins de fer et de prendre le maquis. Un secret ! A ce moment elle avait remarqué que le nez de son frère n’était plus à sa place ordinaire, un peu dévié de sa trajectoire. Il disait qu’il ne voulait plus recevoir des coups sans les rendre. Qu’il allait les faire tous baver. Il n’était même pas en colère. Un secret à ne pas divulguer, insistait-il. Elle aussi, elle était sur le point de lui raconter...)... » pp. 89-90. [Selma et son frère]

  16. « (Que fabrique-t-il? Que fabrique-t-il?) » p. 128. [Nadia]

  17. « (Ils sont irrémédiablement contre toute tentative de contraception. Que Dieu nous en garde !) » pp. 136-137. [les M.S.C. et les bureaucrates de l’hôpital]

  18. « ...puits mémorable (où l’autre avait été... Puis, à quoi bon, elle n’avait pas aujourd’hui le coeur à ressasser de vieux souvenirs pénibles. Elle chantait même...) » p. 140. [Selma]

  19. « (la huitième plaie, avait dit l’aïeul). » p. 142. [l’aïeul] [rappel p. 139.

  20. « Elle hurlait, et à nouveau, elle mêlait le sang au sang (celui du viol coulant de son propre sexe et celui du coq avec çà et là des plumes et des poils doux et gélatineux, souillés de sang dont le contact infernal allait la poursuivre des siestes et des nuits durant, à travers l’insomnie qui l’anéantissait, toujours sur le point de vomir, toujours sur le point de chuter dans le gouffre sans fond de sa démence...) » p. 158. [Selma]

  21. « (Mais, dirait mon ami parti boire, c’est une autre histoire et tu nous casses les pieds avec ces digressions qui n’ont ni queue ni tête !) » p. 171. [ami de Mehdi]

  22. « ...il ... se remettait à broder autour de l’histoire d’Amar Bô ... (Il avait tout fait dans la vie, Amar Bô ! Il avait aussi tout raté ! Il était rouquin, râblé et tranquille. On ne l’avait jamais entendu élever la voix. Pacifique ! Il ne buvait pas. Il ne fumait pas. Il chiquait seulement. Avec modération. Il avait tout essayé et il avait tout raté. Il voulait être boxeur mais comme il n’était pas suffisamment hargneux, il se faisait copieusement conspuer par le public qui le soupçonnait de se faire acheter par des adversaires beaucoup plus nantis que lui. Le peuple n’avait pas besoin d’une marionnette que n’importe qui pouvait manipuler à sa guise. Il exigeait plutôt un grand champion pouvant servir la cause du nationalisme et aller dans la métropole donner des leçons aux boxeurs européens que la mythologie populaire décrivait comme des pantins couards et sans aucune consistance. Il faut dire qu’à l’époque la boxe était en crise dans le pays habitué à voir ses enfants partis, outre-Méditerranée, glaner les titres sous le nez de l’autorité coloniale haïe. Mais Amar Bô n’avait aucun talent et se faisait battre par tous les malabars des douars avoisinants. Il n’avait aucune chance de réussir dans le noble art, malgré les encouragements des militants nationalistes qui avaient cru à sa valeur pendant quelque temps. Lorsqu’il ne put faire durer plus longtemps la mystification, il changea de village et de profession. Il devint acteur dans une troupe d’amateurs qui, en contrepartie de ses services, lui permettait de dormir dans son local. La troupe de la « Réussite », comme elle se nommait superstitieusement, manquait cruellement de femmes, à tel point que les rôles féminins étaient tenus par de jeunes travestis. Lorsque Amar Bô en eut assez de jouer les dulcinées éplorées, il eut l’idée d’utiliser son ancienne gloire locale, son nez cassé et ses cheveux couleur de feu, et de faire le tour des bordels en vue de recruter des filles pour la troupe. Son idée eut quelque succès et il revint, un jour, dans le local, flanqué de deux ou trois femmes effarouchées et voilées qui jetèrent l’émoi dans la paisible communauté théâtrale. Mais Amar Bô, devenu la gloire de ses compagnons, eut beaucoup d’autorité et devint le directeur de la troupe qu’on venait admirer de très loin pour voir s’exhiber les deux ou trois filles qu’elle possédait. Le succès fut immense jusqu’au jour où celles-ci, au lieu de mourir de misère dans la troupe d’Amar Bô, furent séduites une à une par de riches paysans qui les installèrent dans de belles maisons et les entretinrent de façon très généreuse. Là encore la chance tourna et la troupe, en perdant ses femmes, perdit tout son prestige, périclita et finit par disparaître totalement quelques années avant le début de la guerre de sept ans. Cette fois-ci Amar Bô ne quitta pas le village. Il s’y installa comme marchand de charbon dans une petite boutique donnant sur la grand-rue. Précédé d’une réputation d’artiste, de boxeur et de philosophe, il attira dans son local toute la jeunesse inoccupée et se transforma en maître écouté et respecté, malgré son extrême misère, son génie prolifique désastreux (il se trouvait à trente-cinq ans à la tête d’une famille composée de dix enfants affamés et d’une épouse acariâtre qui ne cessait de lui reprocher son passé de boxeur et d’acteur amateur) [parenthèse explicative dans la parenthèse principale] et sa confusion politique d’autodidacte agaçant. Il vendait peu de charbon, mais colportait les nouvelles, diffusait les journaux de la capitale et tournait – amèrement – tout en dérision. Ses trois échecs (la boxe, le théâtre et le mariage) [parenthèse explicative dans la parenthèse] ne l’avaient pourtant pas trop aigri. Il demeurait fidèle à sa théorie philosophique de la passivité et de la non action, réalisée concrètement dans l’attente de quelque événement dont il ne parlait jamais mais qui l’éclairait mystiquement de l’intérieur. Il avait mauvaise réputation dans le village, Amar Bô ! Personne n’entrait acheter du charbon dans sa boutique obscure et encombrée par les corps de ceux qui venaient y passer – gratuitement – la nuit, car même les bains maures étaient trop chers pour leurs bourses quasi inexistantes. Mais le charbonnier était ami avec tout le monde : il recevait les militants à leur sortie de prison, les hébergeait et leur déconseillait la voie qu’ils avaient décidé de prendre. Il répétait qu’il n’aimait pas la violence et avait paradoxalement gardé de son ancienne activité de boxeur un pacifisme incroyable ! Il recevait aussi les gendarmes et les mouchards et les appelait à plus de mansuétude vis-à-vis des militants qu’ils chassaient ou dénonçaient. Un bon coeur, Amar !) » pp. 186-187-188. [histoire de Amar Bô dite par le conteur]

  23. «Il prenait la voix des troubadours annonçant le titre d’un conte qu’ils vont dire, pour prévenir les badauds partis ailleurs, au moment de la pause, et revenus avec une rapidité étonnante. (Il recevait tout le monde et offrait toujours du thé à ceux qui venaient dans sa boutique. Il n’empêchait rien. Il donnait des conseils que l’on était libre de suivre ou de ne pas suivre. Il laissait les militants venir comploter et rédiger les exordes au peuple qui n’avait jamais cessé d’attendre le mot d’ordre du déclenchement de l’insurrection; de même qu’il laissait venir les gendarmes et les mouchards espionner et faire leur sale travail. Il répétait tout le temps qu’il était l’ami de tout le monde mais les nationalistes se méfiaient de lui et se tenaient prêts à le liquider. Peu à peu, la réputation du charbonnier dépassa les sphères dans lesquelles gravitaient les chômeurs et parvint jusqu’à la jeunesse dorée qui alla s’encanailler auprès des misérables du village et faire alliance avec eux, contre les membres de l’autorité qui au fur et à mesure que le déclenchement de la guerre approchait, devenaient susceptibles et ombrageux. Quelques-uns, très rares, rallièrent les militants et prirent le maquis dans la boutique du charbonnier où personne n’osait venir les arrêter pour ne pas nuire au travail des mouchards, à l’aise parmi les futurs maquisards et les futurs terroristes. En attendant, la famille de l’ancien boxeur continuait à végéter et à vivre dans la misère. Ce dernier se plaignait du marasme et harcelait les autorités afin qu’elles lui payasse une mensualité pour le gîte qu’il donnait à leurs indicateurs. Mais en vain, car en haut lieu, on soupçonnait le charbonnier d’être le chef d’une cellule politico-militaire, camouflé sous une bonhomie de parade. Il n’en était rien et Amar Bô était vexé par tant d’ingratitude. Pendant longtemps, il hésita et fut terriblement tenté d’aller proposer ses services aux militants. Mais devant le scepticisme et les sarcasmes de ces derniers, il observa un statu-quo prudent et continua à nager entre deux eaux. En fait personne ne le prenait au sérieux, et il agaçait la plupart des personnes qui assiégeaient sa boutique. On venait lire les journaux à l’oeil, et les analphabètes se faisaient écrire leurs lettres d’amour par des jeunes gens renvoyés du lycée ou bien en rupture de ban. Une agitation extraordinaire régnait jour et nuit dans la boutique dont la célébrité allait dépasser les frontières étroites du village pour se répandre dans les autres villages entre Sétif et Souk Ahras...) » pp. 192-193. [suite de l’histoire de Amar Bô].

  24. « Non, personne n’était capable de venir perturber le vieillard, car l’histoire était trop passionnante. (...) (Pendant la fameuse guerre de sept ans, Amar Bô s’arrangeait pour avoir des laissez-passer des deux côtés. Les maquisards savaient qu’ils pouvaient le tolérer et l’armée coloniale croyait tenir en lui un interlocuteur valable. Lui, bernait tout le monde et gardait sa neutralité. Il avait fini par faire des affaires et gagner de l’argent. Pas trop, juste ce qu’il fallait. Il tenait beaucoup trop à sa tranquillité d’esprit et à son indolence pour aller se mettre à la tête d’une grosse fortune. L’aisance ne lui tourna pas la tête, mais sa femme devint de plus en plus prétentieuse à tel point qu’elle eut deux fois des jumeaux en l’espace de trois ans. Elle disait à ses voisins venus la plaindre : « Amar Bô est riche maintenant ! Il faut en faire profiter tout le monde... » Pourvu qu’elle ne hurlât point, son époux fermait l’oeil sur sa prodigieuse fécondité. Dieu soit loué ! La Contée avait besoin de tous ses enfants, à l’heure du massacre et de la cruauté des armées venues ratisser les montagnes et les forêts, à la recherche des anciens amis d’Amar Bô, ceux qu’il n’avait jamais pris au sérieux, devenus des partisans aguerris et des commissaires politiques solides. Mais l’ancien marchand de charbon, père maintenant de quatorze enfants, n’osait pas trop exprimer ses craintes. Sa femme l’encourageait à s’enrichir et à jouer sur les deux bords, et malgré sa répugnance naturelle pour l’agitation et l’excès de travail, il avait fini par changer peu à peu et par racheter des fermes aux gros propriétaires partis s’abriter en Tunisie.) » pp. 196-197. [suite de l’histoire de Amar Bô].

  25. « (chut, il ne faut pas le répéter. Top secret ! qu’ils me disaient et avec l’accent déformé par le chewing-gum !) » p. 232. [les M.S.C.]

  26. « (rallonge tant que tu peux, me disaient-ils, nous te faisons confiance, raconte n’importe quoi pourvu que ça les impressionne) » p. 233. [les malades]

  27. « (faut pas le dire... chut !) » p. 234. [Nadia]

  28. « (Alors-cette-insolation-ça-va-mieux-le-pouls-est-bon-la-température...) » p. 252. [Nadia]