1.1 Création de la filière de formation par apprentissage

A la naissance de l'ISTP en 1990, les deux filières de l'ISTP n'ont pas démarré simultanément. La formation par apprentissage est née officiellement en 1992, un an après la formation continue, malgré le fait qu'elles aient été conçues conjointement. Les raisons de ce décalage de démarrage sont à rechercher dans des contraintes politiques qu'il serait hors de propos d'exposer ici. Il est plus intéressant de détailler le processus par lequel la filière par apprentissage a été définie, puisqu'elle constitue le contexte de notre étude.

Lorsqu'en 1989, Bernard Decomps rend son rapport au gouvernement, une expérience de formation continue de techniciens supérieurs et de cadres avait été déjà engagée depuis quelques années dans la région de Saint-Etienne. Les initiateurs de cette formation, dirigée principalement vers les PME-PMI, étaient des industriels, des collectivités locales et des institutions de formation publiques et privées. Suite aux conclusions du rapport Decomps, la décision de l'Etat d'initier des Nouvelles Formations d'Ingénieurs en alternance, offrait alors la possibilité de création de formations proches des réalités industrielles, sanctionnées par un diplôme national. Les différents acteurs institutionnels de la région de Saint-Etienne ont alors décidé de présenter auprès de la Commission des Titres d'Ingénieurs (CTI), un projet de création de deux filières de formation d'ingénieurs de production en alternance, en formation continue et formation par apprentissage. Pour cela, ils proposaient de créer, une association du nom d'ISTP, l'Institut Supérieur des Techniques Productiques.

Afin de définir les objectifs de la formation, un groupe de réflexion réunissant des cadres et des ingénieurs de production de différentes entreprises de la région de Saint-Etienne, ainsi que des formateurs appartenant à différentes institutions d'enseignement supérieur, a été constitué, à l'initiative du responsable de l'une d'elles qui allait devenir le directeur de l'ISTP. Les industriels et formateurs présents se sont penchés sur ce que l'on pouvait attendre d'un ingénieur de production en terme de compétences. Leur travail a abouti à une description à la fois des capacités nécessaires à un ingénieur de production, et des "outils" possibles pour que les élèves développent l'ensemble de ces capacités. On trouve le résultat de ce travail dans le tableau 1. Parmi ces "outils", il y a des enseignements classiques (ex : droit et fiscalité ; méthodologies et techniques disponibles dans les trois domaines de la production ; etc.), mais également d'autres types de situations : échanges d'expériences professionnelles entre élèves ; examens pluridisciplinaires de cas concrets en entreprise. Enfin, l'idée-force proposée est de faire conduire aux élèves-ingénieurs, un projet en entreprise qui doit leur permettre de développer toutes les capacités décrites.

Tableau 1 : Premier référentiel de l'ingénieur ISTP
Capacités Outils
Comprendre un système de production dans tous ses aspects :
- techniques,
- économiques,
- humains,
- organisationnels
- Prendre du recul par rapport aux contraintes quotidiennes de la production - Echanges des expériences professionnelles diverses des futurs ingénieurs
- Faire l'analyse fonctionnelle d'une production
- Quantifier les flux
- Inventorier les dysfonctionnements et leurs causes
- Décrire le système d'information qui accompagne la production
- Méthode de diagnostic quantitatif et qualitatif de la production et de son organisation depuis la conception jusqu'à la livraison du produit
- Examens pluridisciplinaires de cas concrets en entreprise
- Comprendre les mécanismes économiques de l'entreprise - Analyse des documents comptables
- Doit et fiscalité
- Gestion des ressources humaines
Concevoir un projet d'amélioration du système de production - Prendre en compte la stratégie technologique de l'entreprise - Compréhension et explication de la stratégie d'une entreprise
- Elaborer un projet cohérent d'évolution du système de production - Méthodologies et techniques disponibles dans les trois domaines de la production (étude, gestion de production, méthodes de fabrication) et dans la démarche d'intégration.
En particulier : DAO – CAO – CFAO ; MRP – ordonnancement – Kanban – GPAO – Simulation ; MOCN – Ilots flexibles – ateliers flexibles ; Automates – contrôle commande ; Réseaux locaux – Interfaces – Base de données – Supervision – Intégration informatique – Outils de simulation et d'aide à la décision -
- Mettre au point le cahier des charges de réalisation - Dans le cadre d'un projet en entreprise : élaboration de cahiers des charges sur des cas concrets
- Proposer une méthode d'évaluation et de suivi des performances économiques du système de production
- Assurer la veille technologique
- Les méthodes classiques de prix de revient et les approches nouvelles dans le domaine de la productique
Mettre en oeuvre les solutions proposées et en assurer la gestion - Définir les étapes de la réalisation - Gestion des projets productiques et de plans de formation liés à l'introduction de nouvelles techniques
- Gérer une production où sont mises en oeuvre les techniques de la productique en intégrant l'ensemble des contraintes techniques, humaines et logistiques dans une politique de qualité totale - Logistique
- Management
- Organisation et gestion de la maintenance (GMAO)
- Gestion de la qualité et de la sécurité
- Fiabilité
[Note: (source : première demande d'habilitation des formations continues et par apprentissage, 1990)]

La phase suivante, pour les formateurs, a consisté à définir l'organisation et le contenu du dispositif d'alternance des deux filières (apprentissage et formation continue). Les deux schémas proposés pour chacune d'elles étaient sensiblement différents, les formateurs voulant tenir compte des spécificités de chaque type d'élève (techniciens expérimentés ou fraîchement diplômés). Au niveau de la formation par apprentissage, il avait été envisagé un temps de recruter deux types d'élèves : bacheliers, ou titulaire d'un diplôme de niveau bac+2 à caractère industriel (principalement BTS ou DUT). Les premiers auraient suivi une formation académique de deux ans, proche des formations BTS et DUT, et auraient été rejoints à la fin de ces deux ans par les élèves déjà diplômés comme techniciens supérieurs. Mais, suite à différentes discussions entre initiateurs du projet, la possibilité de recrutement d'élèves sortant du bac a été abandonnée, la formation ne concernant plus alors que des élèves déjà titulaires d'un diplôme de niveau bac+2 à caractère industriel. Pour cette formation restante, l'organisation finalement retenue est schématisée par la figure 1.

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Figure 1 : Schéma de la formation ISTP
[Note: (source : première demande d'habilitation CTI) ]

Ses principales caractéristiques, dont une bonne partie sont encore valables au moment de nos observations, sont les suivantes :

·011Les élèves, qui viennent essentiellement de BTS et DUT différents, suivent un module d'intégration à l'ISTP destiné à harmoniser leurs connaissances académiques. C'est seulement ensuite qu'ils démarrent le processus par alternance proprement dit, en alternant des phases de présence à l'ISTP et dans leur entreprise d'accueil.

·011Les enseignements académiques se répartissent en 4 modules : formation générale et culture d'entreprise (langues vivantes, expression-communication, gestion des ressources humaines, etc.) ; enseignements scientifiques (mathématiques, informatique, physique, etc.) ; enseignements techniques (dessin industriel, robotique, DAO, etc. ) ; maîtrise de la production (organisation et gestion de la production, maintenance, etc.).

·011Tout au long de la formation, les élèves ont régulièrement des séances de travail à l'ISTP sans enseignant (autonomie de groupe). Au cours de ces travaux de groupe, ils peuvent s'entraider pour combler leurs lacunes dans certaines disciplines, en profitant du meilleur niveau d'un certain nombre d'élèves. Outre l'objectif de combler des manques, ces séances ont pour objectif de développer les liens entre élèves et leur capacité d'animation de groupe.

·011Les durées de chaque période sont variables (de deux à six semaines environ), avec globalement une plus forte présence à l'ISTP au début du cursus (moitié du temps la première année) la tendance allant vers des périodes d'entreprise plus longues en fin de formation.

·011Afin de bien connaître leur entreprise, les élèves doivent, au cours de la première année, séjourner dans deux services de l'entreprise liés à la production et analyser leur organisation.

·011Pendant deux ans et demi, l'activité des élèves en entreprise est consacrée à un projet industriel important. Ce projet doit présenter les caractéristiques générales suivantes : "constituer un saut qualitatif (niveau de synthèse, niveau de complexité, étendue des responsabilités [..]) ; constituer un apport technique utile à l'entreprise ; concerner le système de production de l'entreprise pris au sens large (maintenance, fabrication, logistique, etc.) ; concerner le moyen terme ; être formalisé par écrit dans les premiers mois de la formation" (première demande d'habilitation CTI, 1990, p16)

·011Afin de les aider à définir puis à conduire ce projet, les élèves sont encadrés individuellement par deux tuteurs issus de l'entreprise et de l'école. Ils participent également à des séances de suivi de projet, regroupant une dizaine d'élèves et qui sont animées par un tuteur de l'école. Le projet, une fois défini à la fin de la première année, fait l'objet d'une validation par un jury d'industriels, censé garantir que ce projet présente les caractéristiques nécessaires à la formation d'un ingénieur de production. Enfin, les élèves doivent planifier préalablement leurs actions à venir et faire un bilan de celles réalisées tous les semestres avec leurs tuteurs.

·011L'évaluation de la formation est triple : une évaluation continue des enseignements académiques ; une évaluation semestrielle, par les deux tuteurs, de l'activité en entreprise ; une évaluation finale d'un mémoire écrit et d'une soutenance orale synthétisant la réalisation du projet.

·011Du point de vue des tuteurs entreprises, quelques réunions sont organisées tout au long du cursus, d'une part pour les informer de l'organisation et du contenu de la formation, d'autre part pour répondre à leurs questions sur leur rôle de tuteur.

Ce projet de formation n'a pas été uniquement inspiré par la réflexion stéphanoise, mais a dû tenir compte d'un cadre général défini pas la Commission des Titres d'Ingénieurs (CTI). Créée en 1934, la CTI est une commission bipartite, comprenant d'une part des représentants d'établissements d'enseignement supérieur et des experts choisis pour leurs compétences scientifiques et techniques, d'autre part des représentants des différentes composantes du monde professionnel : patronat, organisations syndicales, associations d'ingénieurs représentatives des ingénieurs. Elle a pour mission :

‘" d'étudier toute question relative aux formations d'ingénieur, quel qu'en soit le domaine ; d'examiner les demandes d'habilitation de formations d'ingénieurs diplômés ; d'intervenir, si nécessaire pour sauvegarder la qualité des formations d'ingénieurs diplômés et de procéder à toute enquête dans les établissements d'enseignement supérieur et auprès de professions" (texte de présentation de la CTI, 1995) ’

Suite à la décision de créer les Nouvelles Formations d'Ingénieurs (NFI), c'est à la CTI qu'est revenue la charge, à partir du rapport Decomps, de définir les exigences pour ces filières et d'examiner les projets déposés par les différentes institutions pour les habiliter ou non à les conduire. Les concepteurs de la formation par apprentissage de l'ISTP ont donc dû respecter ces critères afin de constituer leur projet. Ils ont présenté le dossier de formation par apprentissage devant la CTI en 1991, ce projet étant accepté peu de temps après.

A partir de ce dossier, il restait à mettre plus concrètement en place la formation, en particulier du point de vue du planning opératoire et des enseignements. Pour réaliser ces derniers, ce sont des enseignants d'institutions partenaires (Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne ; Ecole Nationale Supérieure d'Ingénieurs de Saint-Etienne ; l'IUT de Saint-Etienne, entre autres) et des industriels expérimentés qui ont été sollicités et qui ont réalisé ces enseignements.