2.3.1 Constituer une référence des actions de l'ingénieur de production

Pour tenter de répondre à cette question, tournons nous vers les référentiels métier utilisés à l'ISTP. En toute logique, on devrait pouvoir y trouver une description détaillée des compétences les plus caractéristiques des ingénieurs de production, ce qui serait fort utile pour préciser notre objet de recherche.

Mais une lecture attentive des trois référentiels disponibles à l'ISTP montre qu'ils ne décrivent pas tant des compétences que des informations plus globales sur le métier d’ingénieur de production. Plus précisément, on y trouve des descriptions des missions, actions et contextes professionnels types d'un ingénieur de production.

Par exemple, la structure du deuxième référentiel illustre les liens entre les caractéristiques du monde de la production (domaines d'application et nature des résultats attendus), les missions qui doivent entraîner des actions, et les capacités (que nous comprenons ici comme des compétences) de l'ingénieur de production qui rendent ces actions possibles. Pour illustrer notre propos, prenons l'exemple de la mission qui s'intitule "amélioration, développement et innovation du système de production."

  • Une des actions relatives à cette mission : "identifier les divers systèmes, méthodes, techniques et réglementations. Pour l'ingénieur, analyser veut dire identifier et visualiser les systèmes de fonctionnement de l'entreprise et de l'atelier, et les systèmes relationnels dans lesquels l'entreprise est insérée." (p.31)

  • Les domaines d'application pour cette action: " [l'analyse] portera sur la dynamique des flux : des systèmes scientifiques (savoirs) ; des contraintes économiques (biens et services) ; des systèmes technologiques (installations) ; des systèmes humains (approches sociologiques) ; des systèmes écologiques (entreprise et environnement). " (p.32)

  • Quelques capacités requises pour cette action : "la quête demandera la capacité de rechercher et sélectionner les informations pertinentes au vu d'une finalité, la maîtrise des techniques de recherche documentaire dans les sources de données techniques et les textes réglementaires de toute nature, que les réglementations soient nationales ou internationales" (p.31)

  • Cet exemple montre que la distinction entre compétence (ou capacité) et action est loin d'être évidente dans ces documents. On retrouve un manque de clarté du sens de ces termes dans d'autres référentiels (Darré, 1994). La plupart des documents de ce type, et ceux de l'ISTP ne font pas exception, décrivent moins des compétences (ou des capacités) que des activités ou actions caractéristiques du métier considéré. En conséquence, il est hasardeux de tenter d'extraire des référentiels une liste de compétences de l'ingénieur de production.

  • Par contre, ces documents peuvent permettre de préciser des catégories d'actions caractéristiques du métier, en fonction de leur finalité,5 catégories servant à analyser l'activité d'élèves-ingénieurs en situations professionnelles. Dans un deuxième temps, il est possible de s'interroger sur les compétences nécessaires à la réalisation de ces types d'actions dans un contexte précis.6 C'est de cette manière que nous avons choisi d'utiliser les référentiels de l'ISTP.

  • Cependant, une difficulté demeure : lors de l'élaboration d'un référentiel, les discussions au sein de la noosphère entre acteurs représentants différentes institutions conduisent à une négociation sur les traits les plus importants du métier. Le résultat de cette négociation est très lié aux intérêts institutionnels des acteurs présents. Si, pour la recherche, on se base sur un référentiel élaboré seulement par une seule catégorie de représentants, le risque est grand de mettre en avant des actions très spécifiques à certains contextes professionnels, que l'on peut ne pas retrouver dans les entreprises des élèves étudiés.

Pour diminuer le risque d'être enfermé dans une description trop restrictive du métier, nous avons utilisé les trois référentiels de l'ISTP, dans la mesure où les types d'acteurs qui ont participé à leur négociation étaient différents.

  • Pour le premier référentiel, les acteurs de la discussion étaient essentiellement des ingénieurs de production et/ou dirigeants de PME-PMI de la région, ce groupe de professionnels étant animé par des formateurs. Ces derniers ont, de l'avis même de l'un d'entre eux, "peu pesé sur le contenu de la discussion". Ce groupe de travail avait pour enjeu de décrire le métier d'ingénieur de production, dans l'objectif de créer les filières de l'ISTP.

  • Dans le cas du deuxième référentiel, il y avait autour de la table, essentiellement des représentants de grands groupes industriels nationaux (ex : EDF, Pechiney, Renault, Rhône-Poulenc, etc.). L'un d'entre eux, aidé par un cabinet conseil, animait la discussion. Comme on l'a dit précédemment, l'ISTP n'a pas participé à ce travail, mais a simplement pu utiliser son résultat quelques temps après. L'enjeu de la discussion entre ces différents acteurs était également de définir le profil de l'ingénieur de production, mais cette fois pour constituer une référence à un niveau national, notamment pour les grandes entreprises.

  • Enfin, le dernier référentiel a été réalisé par une commission composée d'une dizaine d'ingénieurs de production bénévoles, salariés de PME-PMI de la région stéphanoise. Certains étaient d'ailleurs déjà présents lors de la discussion sur le premier référentiel. Cette commission n'est pas parti de rien, mais a modifié le précédent référentiel (le deuxième) jugé trop rigide en regard des réalités fluctuantes des PME-PMI.

Reste que la lecture croisée des trois référentiels ne garantit encore pas la construction de catégories d'actions pertinentes pour l'analyse de l'activité concrète d'un élève-ingénieur dans l'entreprise où il est en stage : il est encore tout à fait possible de passer à coté d'actions très spécifiques et non moins importantes dans son contexte professionnel. Pour tenter d'éviter cela, deux sources d'informations ont été confrontées aux référentiels.

  • Des échanges avec quelques formateurs de l'ISTP, ingénieurs de production, actuellement ou anciennement en activité, ont permis de nuancer ou au contraire de renforcer la pertinence de certaines descriptions des référentiels en fonction des spécificités des secteurs de production.

  • Mais surtout, les types d'actions auxquelles nous avons finalement abouties sont le fruit d'une confrontation entre les deux sources précédemment décrites (référentiels et échanges avec les acteurs de l'ISTP) et les données recueillies pour les deux études de cas réalisées dans cette étude (cf. chapitres suivants). Le processus de construction de ces catégories a été relativement long. Il a été de paire avec une déconstruction de l'organisation des référentiels, aboutissant à la définition de certains termes qui n'existent pas dans ces documents, mais qui renvoient à des informations puisées aux trois sources utilisées.

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Figure 4 : Sources d'informations utilisées pour la construction des catégories d'action

Notes
5.

Nous définissons le terme de finalité dans le deuxième chapitre de la thèse.

6.

On reviendra longuement sur cette démarche dans le deuxième chapitre, en la justifiant théoriquement et méthodologiquement.