2.2 Le paradigme cognitiviste

Des évolutions ultérieures, avec le développement du travail tertiaire dans les années cinquante, puis le développement rapide de l'informatique dans les années 80, vont conduire la psychologie du travail vers de nouveaux types de tâches. Celles-ci sont caractérisées par le fait que les opérateurs interviennent beaucoup moins directement sur les objets à transformer. Ils agissent par l'intermédiaire de dispositifs qui médiatisent les informations recueillies et les actions réalisées. Ces tâches requièrent une activité cognitive de plus en plus importante, en particulier pour les postes équipés de machines fortement automatisées ou dans le cas d'utilisation de micro-ordinateur.

Ces nouvelles tâches, jointes au développement de la psychologie cognitive, vont conduire à des analyses mettant de plus en plus en avant les composantes cognitives du travail. ‘"L'analyse psychologique du travail devient une analyse cognitive du travail ou une analyse du travail cognitif" qui conduit "à considérer les agents humains comme des systèmes cognitifs" (Leplat, 1993).’

On est donc passé à un deuxième type de réduction, totalement opposée à celle du behaviorisme, puisque seule l'activité mentale de l'individu est considérée. Dans ce paradigme, toute action d'un acteur sur le monde n'est possible que grâce à des représentations. Celles-ci ne sont pas des reconstructions complètes du monde, mais toujours des représentations intentionnelles de quelque chose, de quelqu'un ou de situations données (Duval, 1995). Elles permettent en particulier de focaliser sur certains traits pertinents d'une situation de travail en regard de la tâche à accomplir (Ochanine, 1978), de définir un espace du problème à résoudre (Newell et Simon, 1972) ou un espace de la tâche considérée et une planification de la résolution du problème (Hoc, 1987). L'environnement du sujet est considéré comme le contexte de mise en oeuvre des actions représentées, qui s'avère souvent porteur de difficultés qu'il faudra surmonter. Dans ce cadre, les connaissances sont stockées chez les sujets en mémoire à long terme. Elles sont déterminantes car elles orientent et documentent la construction des représentations circonstancielles, élaborées en mémoire à court terme pour faire face aux exigences de la tâche en cours. Ce sont elles qui feront la différence entre un expert d'un domaine et un novice : le premier possède des connaissances lui permettant de bien définir un problème et de déterminer les étapes de la résolution, tandis que le deuxième définit mal le problème et procède par essais erreurs pour trouver une solution.

Les recherches réalisées dans le cadre de ce paradigme cognitiviste appliqué au travail sont très nombreuses et notre ambition n'est pas de rendre compte ici de leur diversité. Nous en donnerons seulement un exemple intéressant, car il privilégie une réduction aux dimensions fonctionnelles de l'activité mentale, pertinentes du point de vue de la tâche considérée. Il s'agit du modèle proposé par Hoc :

‘" Au cours de la formation, par la résolution de problèmes et l'exécution de procédures dans un domaine, se constitue un système de représentation et de traitement (SRT), propre au domaine, dont les caractéristiques sont en partie déterminées par le dispositif associé au domaine. Devant une tâche particulière, le sujet accède aux connaissances qu'il mettra en oeuvre par l'évocation du SRT le plus proche" (Hoc, 1990). ’

Le souci de Hoc a été de développer un modèle de l'activité cognitive pertinent du point de vue du domaine de tâches étudié. Dans un même modèle, il considère des connaissances orientées vers la compréhension et des connaissances orientées vers l'action sur le monde. Un SRT est un ensemble cohérent, qui ne sépare pas ces deux types de connaissances car ils sont tous les deux indispensables à la compréhension et la réalisation d'une tâche ou d'une série de tâches prescrites.

‘" Cette opposition entre représentation et traitement ne doit pas masquer les liaisons très fortes qui existent entre les deux types de connaissances. La nature des représentations utilisées par le sujet est très dépendante de celles des traitements qu'il est susceptible de mettre en oeuvre sur ces représentations et inversement" (Hoc, 1987).’

La logique de réduction n'est donc pas structurale, comme dans beaucoup d'études en psychologie cognitive expérimentale (qui distingue justement des connaissances procédurales et des connaissances déclaratives) mais fonctionnelle : on s'intéresse aux processus mentaux nécessaires à l'exécution d'une tâche. Hoc fait remarquer qu'il est nécessaire de recourir à une telle approche fonctionnelle pour pouvoir rendre compte de la réalisation de tâches dans le monde du travail. A chaque domaine de tâches correspond un SRT différent que le chercheur devra reconstruire à partir de l'analyse de l'activité du sujet observé. C'est là une des caractéristiques importantes de l'ensemble des modèles de la psychologie du travail et de l'ergonomie qui n'ont pas prétention à validité universelle, mais se veulent pertinents dans un domaine d'activité restreint.