2.7 Finalités, Objectifs, Buts

2.7.1 Définitions

Nous avons défini une action comme une séquence d'événements subjectifs orientés vers une même intention d'un acteur (cf. 2.4 et 2.5) et que, pour réaliser cette action, l'acteur peut s'appuyer sur quatre modalités de contrôle et de coordination, d'importance variable selon les cas. Reste une interrogation : comment l'acteur en parvient-il à se définir des intentions d'action ? En est-il l'auteur unique et isolé, ou bien a-t-il des sources d'inspiration explicites ou implicites dans son environnement proche ou lointain ? Nous penchons plutôt vers l'existence de telles sources d'inspiration et afin de pouvoir les prendre en compte, nous utiliserons trois termes différents : finalité, objectif et but.

  • Nous considérons que dans un cadre professionnel, le type d'intention poursuivi par un acteur a toujours un arrière-plan conventionnel. Ceci signifie qu'une intention dépend plus ou moins des finalités du métier. Finalité renvoie ici à ce que doit faire (résultats à atteindre et moyens utilisés pour y parvenir) un ingénieur de production et qui fait l’objet d’un consensus social largement reconnu entre différentes institutions. C'est ce qui permet d’expliquer qu'un ingénieur ne fasse que très rarement ou jamais le travail d'un opérateur ou d'un technicien. Les référentiels métiers sont un exemple de productions écrites institutionnalisées qui décrivent justement ces finalités du métier.

  • Cependant, ce cadre général ne suffit pas : les finalités d’un métier se traduisent différemment selon les entreprises, en fonction de leurs besoins et spécificités propres. Pour cette raison, nous prendrons en compte les objectifs (résultats à atteindre et contraintes à respecter) prescrits à un ingénieur par son entreprise. Ces objectifs peuvent être plus ou moins précisés et durables. Les objectifs fixés dans le profil de poste d’un ingénieur sont généralement beaucoup moins formalisés que ceux que l'on prescrit à un opérateur. En plus des objectifs permanents décrits dans un profil de poste, un ingénieur peut avoir des objectifs plus ponctuels, comme par exemple lorsqu’il conduit un projet. Enfin, l'ingénieur peut participer à la définition de ces objectifs, en lien avec d’autres acteurs, comme par exemple ses supérieurs hiérarchiques.

  • Finalement, le but est l'intention que se fixe un acteur pour agir, qui dépend en partie des finalités de son métier et des objectifs qui lui sont fixés dans son entreprise, sans que objectifs et finalités suffisent pour en déduire les buts effectifs d'un acteur. D'abord, parce que les conditions concrètes de réalisation des actions ne peuvent être totalement anticipées lors de la définition des objectifs. Ensuite, parce que pour une même situation, les individus peuvent interpréter les prescriptions de manière très différente comme en attestent les recherches sur les décalages entre tâches prescrites et tâches effectives (Leplat et Hoc, 1983). Précisons que dans notre étude, le terme de but ne doit pas être pris au sens qui lui est donné au sein du courant cognitiviste, à savoir une spécification précise d'un état à atteindre vers lequel l'acteur tenterait logiquement et imperturbablement de se rapprocher. Pour nous, un but peut être évolutif. En nous inspirant de Searle (cf 2.5) nous distinguerons d'ailleurs but préalable, but dans l'action et but après l'action ou but a posteriori. Le but préalable est ce qui peut être défini avant de s'engager dans une action. C'est par exemple le cas lorsqu'un acteur planifie plusieurs buts qu'il lui faudra réaliser dans les jours prochains. Le but dans l'action est l'intention que se définit l'acteur en situation d'action concrète. Il est souvent différent du but préalable, si ce dernier existe, dans la mesure où des contraintes de la situation conduisent à des compromis et des écarts qui n'avaient pas été prévus. Il peut être également évolutif au fur et à mesure de l'avancement de l'action, compte tenu des évolutions éventuelles de la situation. Enfin, le but a posteriori réfère à ce que dit un acteur du but qu'il poursuivait dans une action passée. Il peut diverger du but préalable et du but dans l'action, étant donné que les individus ont tendance à reconstruire un but qui va dans le sens d'une plus grande cohérence avec leurs intérêts du moment.

En résumé, finalités, objectifs et environnements de travail doivent être conjointement pris en compte pour tenter de s'approcher des buts effectivement poursuivis par un acteur10.

Notes
10.

Ici, une nuance mérite cependant d'être apportée, dans la mesure où ce que l'on vient de dire laisserait croire que les acteurs dans une entreprise sont en permanence rationnels et orientés vers la réalisation des objectifs qui leur sont fixés. Ce n'est bien évidemment pas toujours le cas, comme de nombreuses recherches sur les lieux de travail l'ont montré. Il se joue beaucoup d'autres choses sur les lieux de travail, comme des luttes de pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977), des émotions (Dejours, 1993), des engagements au nom de certaines valeurs (Boltanski et Thévenot, 1991), etc. Nous en sommes bien conscient et nous ne doutons pas que l'apprentissage peut aussi être étudié du point de vue de ces dimensions. Nous avons simplement fait le choix de ne pas mettre l'accent sur celles-ci dans notre recherche.