3.2.1 Concepteur / utilisateur d’objets

La plupart des objets sont élaborés par leur concepteur dans l’objectif de remplir une certaine fonction dans un contexte donné. Concepteur et utilisateur peuvent être une seule et même personne. Dans ce cas, l’objet est généralement conçu uniquement pour l’usage recherché par cette personne dans un contexte déterminé. Lorsqu’un bricoleur élabore un placard, c’est en fonction de l’usage qu’il souhaite en faire et des dimensions de la pièce dans laquelle il souhaite le placer. Un paysan peut aussi construire lui-même un enclos qui soit adapté aux caractéristiques de son champ (dimensions, dénivellement, etc.) et de ses bêtes. Mais dans nos sociétés industrielles, nous avons de plus en plus recours à des objets élaborés par d’autres. De ce fait, une distance s’est créée entre la conception et l’utilisation des objets. Dans le monde industriel c’est peut-être encore plus vrai : chaque entreprise se spécialise dans la production d’un certain type d’objets qu’elle vend ensuite. Mais elle est aussi en position d’acheteur et d’utilisateur d’autres artefacts qui lui servent justement à produire.

La relation entre concepteurs et utilisateurs peut être plus ou moins distante comme le montre le schéma ci-dessous (cf. figure 4).  

  • Soit l’objet a été défini par le concepteur sur la base d’informations sur une ou plusieurs catégorie(s) de client(s) type(s) qui utilisent l’objet dans certains contextes types.12 Dans ce cas, un utilisateur concret doit généralement s’adapter à l’objet, adapter celui-ci ou l’environnement dans lequel il sera utilisé.

  • Soit l’utilisateur a la possibilité de spécifier précisément ses besoins au concepteur, directement ou indirectement (par exemple par le biais d’un commercial). C'est le cas par exemple de certaines entreprises qui proposent du "sur mesure" à leurs clients.

Mais il n'est pas rare que l'utilisateur ne puisse avoir un objet conçu entièrement adapté à ses besoins. Certaines propriétés, en raison de toutes sortes de contraintes pesant sur le concepteur ne peuvent être obtenues. L’utilisateur doit alors faire preuve d’adaptation.

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Figure 9 : Rapports d'un objet à son concepteur et son utilisateur

Dans tous les cas, on voit qu’un objet n’est pas conceptuellement neutre (Mauss, 1950 ; Rabardel, 1995) : il contient une conception du monde (celle de son concepteur), qui s'impose peu ou prou à son utilisateur et influence ainsi son activité. Cette conception du monde, dans ses formes les moins élaborées, peut prendre la consistance d'un objet matériel aux propriétés facilitant tel geste plutôt qu'un autre. Mais un objet peut aussi avoir une dimension symbolique, c’est-à-dire avoir des propriétés représentationnelles. L'écriture et les systèmes symboliques ont ainsi cette propriété, et plus encore les nouveaux outils informatiques. Norman (1993) qualifie ces artefacts de cognitifs, en opposition aux artefacts matériels. Les premiers changent la nature de l'activité, alors que les seconds ne font généralement que l'amplifier.13 En effet, du point de vue de l'action, ces artefacts symboliques permettent d'agir, non plus directement sur le monde, mais sur des représentations de celui-ci. Les nouveaux outils informatiques décuplent ces capacités de représentation, de conservation et d'exposition des informations des artefacts symboliques traditionnels. Ils ont, en plus, des capacités autonomes de traitement de ces informations14.

A l’heure actuelle, les artefacts cognitifs ont une place de plus en plus importante dans les entreprises. Le recours à l’écrit comme mode de coordination privilégié entre tous les acteurs de l’entreprise, même les plus opérationnels (opérateurs, agents d’entretien), en témoigne, de même que l’usage de plus en plus fréquent de systèmes informatiques à tous les niveaux de l’entreprise. C’est dire s’ils ont un impact important sur l’activité de ces acteurs.

Notes
12.

Cette image peut être documentée par différents moyens : enquête marketing, enquête auprès d’un échantillon de clients etc.

13.

Pour illustrer ceci, Norman donne l’exemple suivant : "Les artefacts peuvent améliorer la performance, mais en général, ils ne le font pas en améliorant ou en amplifiant les capacités individuelles. Il existe naturellement des artefacts qui satisfont de telles fonctions. Un porte-voix amplifie l'intensité de la voix pour permettre à une personne d'être entendue d'une distance plus grande qu'il serait possible sans porte-voix. Il s'agit dans ce cas d'amplification. La voix reste inchangée dans sa forme et son contenu, mais augmente de volume et plus précisément d'intensité. Par contre, si l'écriture et la mathématique rendent possibles des performances autrement inaccessibles, elles ne le font pas par amplification : c'est en changeant la nature de la tâche exécutée par la personne qu'elles améliorent le niveau de la performance" (Norman 1993, p21).

14.

Par exemple, lorsque l'on clique sur une commande d'un programme (par exemple la repagination d'un document sur un traitement de texte), on déclenche en général une succession d'opérations complexes à l'intérieur de la machine, et on obtient, au final un résultat à l'écran (le texte repaginé), qui est loin de représenter ce qui s'est effectivement passé au sein du micro-ordinateur.