La face visible de l'organisation officielle n'est pas suffisante pour rendre compte de l'agencement effectif des réseaux socio-techniques, ceci au moins pour trois raisons.
Cela tient d'abord à l'incomplétude des prescriptions (objectifs ; procédures d'action et d'évaluation des résultats). Les caractéristiques des lieux de travail n'apparaissent que partiellement dans l'organisation officielle. Celle-ci ne décrit pas toutes les contraintes que les acteurs de l'entreprise ont à prendre en compte. Les conditions particulières obligent à compléter les règles officielles, voire à les transgresser si des aléas non prévus surgissent (De Terssac, 1992 ; Dodier, 1995).
Mais même sans aléas ou dysfonctionnements, on constate, chez les acteurs, l'émergence de pratiques implicites, sinon contradictoires, tout du moins en décalage avec l'organisation officielle. Le problème n'est plus ici un manque de précision des prescriptions, mais plutôt l'interprétation qu'en fait un acteur et le style d'action qui lui est propre (Habermas, 1987). Ces caractéristiques très subjectives sont le fruit de ses valeurs, de son expérience et de ses connaissances, qui l'amènent à comprendre et agir de telle manière plutôt que telle autre, à utiliser préférentiellement tel artefact ou solliciter telle autre personne, même si parfois cela amène à transgresser les règles officielles (Crozier et Friedberg, 1977).
Enfin, du point de vue des objets, il ne faut pas oublier, comme le rappelle Simondon (1989) qu'ils ont eux aussi leurs caractéristiques et une vie propre qui échappent pour une part à l'organisation. Ces artefacts peuvent contribuer à déstabiliser les configurations des réseaux socio-techniques (Dodier, 1995). Il peut s'agir, comme nous l'avons vu précédemment (cf. 3.3.2), de problèmes de compatibilité entre artefacts ou de dysfonctionnements dus au vieillissement des objets.
Imprécision et interprétation des prescriptions expliquent l'autonomie relative des acteurs vis à vis de la face officielle de l'organisation de l'entreprise. Loin de n'être qu'une source de déstabilisation des réseaux socio-techniques, cette autonomie est semble-t-il vitale pour que ces réseaux puissent être performants, plus particulièrement lorsque des événements imprévus surgissent (Dodier, 1995).