4.2 L'évolution des compétences vers une certaine expertise

Le terme de système veut également rendre compte de l'aspect évolutif et dynamique des connaissances. L'hypothèse que nous formulons est que les élèves-ingénieurs vont acquérir une certaine expertise liée à la fois aux actions réalisées et aux environnements de travail fréquentés. Expertise renvoie ici à l'existence, chez un acteur professionnel, de compétences ou systèmes de connaissances lui permettant d'atteindre, de manière efficace et autonome, des objectifs prescrits dans un domaine donné (Visser et Falzon, 1992 ; Prince, 1991) :

Ajoutons que l'expertise suppose de pouvoir justifier auprès de ses responsables ou de ses collègues les actions réalisées pour atteindre ces objectifs, du point de vue de leur efficacité.

Intéressons-nous maintenant à la manière dont peuvent potentiellement évoluer les compétences pour aller vers une certaine expertise.

  1. On peut, en premier lieu, constater chez l'élève une évolution du point de vue de la variété des types d'actions réalisées. Cela peut se traduire, dans le cadre de notre modèle de l'activité, par une extension des finalités d'action (production ; analyse ; changement ; information ; sollicitation ; coordination ; auto-organisation), et de manière plus précise, pour chaque catégorie d'actions, par des buts plus variés (ex : dans une finalité d'analyse du système de production, l'élève fera plusieurs analyses : étudier globalement les flux; étudier les temps de changement de série ; analyser la qualité des lots, etc.). Cette évolution va entraîner le développement de nouveaux systèmes de connaissances, ou bien contribuer à réorganiser ceux qui existent déjà.

  2. Les compétences peuvent également faire évoluer les modalités de contrôle de l'activité. La répétition d'actions similaires au sein des mêmes environnements de travail favorise le développement de la modalité routinière et automatique, diminuant ainsi le contrôle intentionnel de l'activité nécessaire au départ. A l'inverse, l'émergence de problèmes nouveaux, d'innovations potentielles et de contextes non encore connus peut mettre en échec les routines et automatismes forgés par répétition. Le recours à un contrôle plus téléologique et/ou conventionnel, mobilisateur de connaissances plus conceptuelles (concepts scientifiques, techniques, juridiques, etc.) ou de règles organisationnelles de l'entreprise peut s'avérer nécessaire.

  3. L'évolution peut aussi être envisagée du point de vue de l'accroissement des connaissances sur les configurations des réseaux socio-techniques, qui vont permettre une augmentation de la capacité d'action dans l'entreprise :
    1. Les connaissances peuvent devenir très précises sur des parties locales de réseaux si les objectifs d'action fixés portent sur des ensembles restreints d'objets et/ou des personnes. Ce peut être le cas lorsqu'une machine est intégrée et mise au point sur un poste de travail isolé, ou bien lorsqu'il faut former quelques personnes à un matériel ou une méthode. Ces connaissances portent non seulement sur les caractéristiques des objets et des personnes, mais aussi sur les lieux où ils se trouvent habituellement, et les liens qu'ils entretiennent localement entre eux.

    2. Les connaissances peuvent aussi aller dans le sens d'une plus grande compréhension du fonctionnement d'ensemble d'un ou plusieurs réseaux, voire de l'entreprise toute entière. C'est le cas lorsque l'on s'intéresse à l'organisation et aux performances globales d'une ligne de fabrication (rentabilité, nombre d'arrêts de la ligne, nombre d'accidents, etc.).

Ces deux types d'évolution des connaissances ne sont pas exclusifs. Au contraire, les référentiels étudiés (cf. chapitre 1) indiquent qu'il est souvent nécessaire de pouvoir combiner des connaissances sur les caractéristiques locales des réseaux avec des connaissances sur leur fonctionnement d'ensemble. Par exemple, la connaissance de la défaillance locale d'une machine ou du manque de compétence d'un acteur peut être cruciale dans l'interprétation des performances d'ensemble d'un réseau. A l'inverse sans une maîtrise globale d'un réseau, l'action sur des parties locales de celui-ci peut être hasardeuse, compte tenu que certains agencements locaux ne peuvent trouver leur signification que lorsqu'ils sont replacés dans l'ensemble du fonctionnement du réseau26.

Notes
26.

Par exemple, la disposition d'un poste de travail à coté d'un autre, alors que ni les mêmes opérations, ni des opérations immédiatement consécutives ne sont réalisées sur ces deux postes, ne peut se comprendre que parce qu'il est avantageux qu'ils soient mitoyens pour des raisons d'implantation des circuits d'alimentation en électricité ou pression.