3.1.2.2 Connaissances sur les impuretés

Mais tous ces dispositifs d'analyse seraient insuffisants sans des connaissances sur les impuretés.

Le repérage de ces impuretés paraît a priori très facile : quoi de plus simple que de compter des points noirs sur une feuille blanche quand on dispose d'une bonne vue. Mais ce n'est pourtant pas aussi simple que ça, comme en témoigne ce passage de l'auto-confrontation avec l'élève :

‘- L : "Eux (les opérateurs) et toi, enfin toi peut-être plus qu'eux, vous ajustez votre comptage en fonction de la qualité du papier ?"
- S : "Ouais, on peut dire ça comme ça, mais grossièrement quoi"
- L : "parce que les seuils sont pas les mêmes ?"
- S : "Ouais, déjà les seuils sont pas les mêmes entre papier, mais ça, ça varie pas tellement. En général, le papier H on fait plus gaffe, parce que c'est un papier à problème [..] Quand c'est pour des clients comme X1 et X2, c'est des imprimeurs [..] c'est marqué, c'est surligné en fluo, attention client X1 ou X2, il faut faire gaffe à tous les contrôles [..] parce que c'est des clients qui hésitent pas à faire une réclamation pour le moindre truc, qui ont leur propre contrôle de matière première, enfin de papier quand il le réceptionne, donc il faut faire un peu plus gaffe. " (Chroniques d'activité niveau local p11-12)’

Il ne s'agit donc pas d'un simple comptage de points noirs sur une feuille. Sa précision est variable en fonction de la valeur du papier et son client. Une autre difficulté est de ne pas prendre en compte certaines traces dues aux manipulations du papier pendant la prise d'échantillon :

‘- L :"Y a des choses qui vous permettent de les différencier ?"
- S :" Bein ouais, c'est des traces de doigts, bon c'est aussi quand ils découpent sur la table, puisqu'ils ont une table pour découper et la table y a toujours de la poussière dessus, les feuilles ils appuient dessus, donc il y a toujours des traces." (chroniques d'activité, niveau local p12)’

En résumé, ce qui apparaît au premier abord comme une opération triviale, demande en fait des connaissances variées, qui vont d'habilités perceptives, en passant par des savoirs sur les habitudes des opérateurs et les exigences de clients.

Le système classificatoire que s'est peu à peu constitué l'élève est lui aussi relativement élaboré. Il est le fruit des analyses répétées qui lui ont permis d'aboutir à des catégories empiriques, qui lui servent de principe de distinction des impuretés lors de ses analyses.

‘- L : " : ces catégories, tu les as construites petit à petit ?
- S : "Ouais, par rapport à ce qu'on voyait. Il n'existait rien dans les classeurs, ce sont mes catégories" (chroniques d'activité niveau local p15)’

Ce système classificatoire est intimement lié aux connaissances de S sur l'organisation des lignes de production dans les ateliers. En effet, l'objectif pour l'élève n'est pas d'aboutir à une classification satisfaisant des critères théoriques, mais de construire des catégories qui permettent une détermination rapide des sources des impuretés dans les ateliers. C'est pourquoi ces catégories peuvent être qualifiées d'empiriques dans la mesure où les critères utilisés ne sont pas fondés sur des concepts savants, mais sur des noms de substances ou d'opérations du process qui sont autant d'indices menant à des zones privilégiées d'un atelier.

Plus précisément, le système de classement repose sur une première distinction entre les impuretés en masse (M), et en surface (S). Une fois qu'il a décidé si l'impureté appartient à l'une de ces deux catégories, S élimine immédiatement une moitié de l'unité de production : soit la machine à papier si l'impureté est en masse, soit ce qui se situe en amont (raffinage et qualité des matières premières) si l'impureté est en surface. Ensuite, pour chaque catégorie, S a défini des sous-catégories qui lui permettent de préciser la zone de la ligne de fabrication concernée :

Les connaissances de l'élève sur les catégories d'impuretés ne sont pas statiques mais évoluent au fur et à mesure que des analyses plus nombreuses permettent leur enrichissement. Certaines impuretés, dont l'origine reste indéterminée (exemples M4 et S4 au moment de notre observation), sont d'abord regroupées selon leur apparence, souvent en raison d'une couleur ou d'une texture commune. Puis, quand des recherches complémentaires aboutissent, S crée une nouvelle catégorie, ou bascule certaines impuretés dans une catégorie existante. Ainsi, quand nous lui faisons commenter notre reconstitution de son activité, S indique qu'il a fait évoluer son classement car il sait maintenant d'où viennent certaines impuretés dont l'origine exacte était encore floue au moment de l'observation :

‘- S : " Les tâches jaunes, c'est de la poix, maintenant je le sais. Quand tu vois une tâche orange-jaune, tu te dis, il est fait avec quoi ce papier, avec de la bûche ? Un papier, je trouvais des petites tâches jaunes caractéristiques d'une pâte. Je fais à l'opérateur : vous mettez de la bûche non ? Je sais pas, je vais appeler le raffineur : ouais ouais on met de la bûche. A force, on sait" (chroniques d'activité niveau local, p15)’

L'évolution du classement se traduit souvent par une réorganisation plus ou moins importante de la bibliothèque de défauts qu'il s'est peu à peu constituée. Cette bibliothèque se présente en fait sous la forme de classeurs où sont rangés des échantillons types. Pour chaque échantillon, on a une description de leurs caractéristiques (souvent une photo avec un commentaire), les méthodes pour les mettre en évidence, et leur origine probable dans les installations. Ces classeurs sont importants car ils constituent une véritable mémoire de l'état des connaissances de S en matière d'identification des impuretés.