Mais tous ces dispositifs d'analyse seraient insuffisants sans des connaissances sur les impuretés.
Le repérage de ces impuretés paraît a priori très facile : quoi de plus simple que de compter des points noirs sur une feuille blanche quand on dispose d'une bonne vue. Mais ce n'est pourtant pas aussi simple que ça, comme en témoigne ce passage de l'auto-confrontation avec l'élève :
‘- L : "Eux (les opérateurs) et toi, enfin toi peut-être plus qu'eux, vous ajustez votre comptage en fonction de la qualité du papier ?"Il ne s'agit donc pas d'un simple comptage de points noirs sur une feuille. Sa précision est variable en fonction de la valeur du papier et son client. Une autre difficulté est de ne pas prendre en compte certaines traces dues aux manipulations du papier pendant la prise d'échantillon :
‘- L :"Y a des choses qui vous permettent de les différencier ?"En résumé, ce qui apparaît au premier abord comme une opération triviale, demande en fait des connaissances variées, qui vont d'habilités perceptives, en passant par des savoirs sur les habitudes des opérateurs et les exigences de clients.
Le système classificatoire que s'est peu à peu constitué l'élève est lui aussi relativement élaboré. Il est le fruit des analyses répétées qui lui ont permis d'aboutir à des catégories empiriques, qui lui servent de principe de distinction des impuretés lors de ses analyses.
‘- L : " : ces catégories, tu les as construites petit à petit ?Ce système classificatoire est intimement lié aux connaissances de S sur l'organisation des lignes de production dans les ateliers. En effet, l'objectif pour l'élève n'est pas d'aboutir à une classification satisfaisant des critères théoriques, mais de construire des catégories qui permettent une détermination rapide des sources des impuretés dans les ateliers. C'est pourquoi ces catégories peuvent être qualifiées d'empiriques dans la mesure où les critères utilisés ne sont pas fondés sur des concepts savants, mais sur des noms de substances ou d'opérations du process qui sont autant d'indices menant à des zones privilégiées d'un atelier.
Plus précisément, le système de classement repose sur une première distinction entre les impuretés en masse (M), et en surface (S). Une fois qu'il a décidé si l'impureté appartient à l'une de ces deux catégories, S élimine immédiatement une moitié de l'unité de production : soit la machine à papier si l'impureté est en masse, soit ce qui se situe en amont (raffinage et qualité des matières premières) si l'impureté est en surface. Ensuite, pour chaque catégorie, S a défini des sous-catégories qui lui permettent de préciser la zone de la ligne de fabrication concernée :
M1 poix impureté venant des matières premières
M2 reisten impureté venant des épurateurs reisten
M3 sable impureté venant des filtres à sable
M4 autre toutes les impuretés en masse que S ne sait pas classer
S1 colle de size-press impureté venant de la size-press
S2 rouille venant des cylindres sécheurs
S3 polyester catégorie d'impureté fournie par un laboratoire d'analyse, mais dont S n'a pu déterminer l'origine dans le procédé
S4 autre toutes les impuretés en surface que S ne sait pas classer.
Les connaissances de l'élève sur les catégories d'impuretés ne sont pas statiques mais évoluent au fur et à mesure que des analyses plus nombreuses permettent leur enrichissement. Certaines impuretés, dont l'origine reste indéterminée (exemples M4 et S4 au moment de notre observation), sont d'abord regroupées selon leur apparence, souvent en raison d'une couleur ou d'une texture commune. Puis, quand des recherches complémentaires aboutissent, S crée une nouvelle catégorie, ou bascule certaines impuretés dans une catégorie existante. Ainsi, quand nous lui faisons commenter notre reconstitution de son activité, S indique qu'il a fait évoluer son classement car il sait maintenant d'où viennent certaines impuretés dont l'origine exacte était encore floue au moment de l'observation :
‘- S : " Les tâches jaunes, c'est de la poix, maintenant je le sais. Quand tu vois une tâche orange-jaune, tu te dis, il est fait avec quoi ce papier, avec de la bûche ? Un papier, je trouvais des petites tâches jaunes caractéristiques d'une pâte. Je fais à l'opérateur : vous mettez de la bûche non ? Je sais pas, je vais appeler le raffineur : ouais ouais on met de la bûche. A force, on sait" (chroniques d'activité niveau local, p15)’L'évolution du classement se traduit souvent par une réorganisation plus ou moins importante de la bibliothèque de défauts qu'il s'est peu à peu constituée. Cette bibliothèque se présente en fait sous la forme de classeurs où sont rangés des échantillons types. Pour chaque échantillon, on a une description de leurs caractéristiques (souvent une photo avec un commentaire), les méthodes pour les mettre en évidence, et leur origine probable dans les installations. Ces classeurs sont importants car ils constituent une véritable mémoire de l'état des connaissances de S en matière d'identification des impuretés.