3.1.1 Intégrer des changements au sein des réseaux socio-techniques de production

Les connaissances de l'élève sur les réseaux socio-techniques de production sont limitées à certaines zones de ce réseau. Cela provient de la nature des projets qu'il doit conduire. Tout d'abord, ils ne concernent qu'un seul atelier à la fois :

  • l'atelier de production des plaques d'identification des bactéries la première année,

  • l'atelier ampoule les deux dernières années.

Ensuite, sur cinq des six projets auxquels il prend part, J ne s'intéresse qu'à des postes de travail isolés dans ces deux ateliers. Il ne considère pas toute l'organisation de la ligne de production, mais seulement l'agencement d'un poste de travail. Seul le dernier projet fait appel à un raisonnement de type systémique, moins soucieux des détails des postes de travail que de l'organisation globale de la ligne de production.

Les connaissances sur les postes de travail ne sont pas non plus exhaustives. On a pu le constater à plusieurs occasions lors de nos observations locales. Par, lorsqu'un fournisseur le questionne sur une caractéristique d'un poste de conditionnement, J répond qu'il ne connaît pas bien cette machine. Il préfère ne pas y toucher et demander à un technicien du service maintenance de répondre à sa place (cf. actes n° 4111, 4117, 4121, 41234129). J montre aussi particulièrement les limites de ses connaissances sur les postes de travail en ce qui concerne le produit. On le voit notamment lors de l'essai de mise en production du dispositif de séchage (cf. actes n° 51425146), ou encore lors des demandes d'essais industrialisation (cf. actes n° 10281031, 1068). Il avoue d'ailleurs très clairement ce manque de connaissances dans l'entretien que nous avons eu avec lui :

‘- L : "Est-ce que toi le fait de pas en savoir plus sur le produit au niveau biologique, ça te gêne pas dans certains cas"
- J : 'Non, parce que si je savais tout sur tout... T’apprends sur le tas rapidement par petits bouts en étant sur différents projets. Ca peut pas faire de mal de savoir exactement ce qu’on fait, les différentes compositions, mais nous c’est faire la partie technique et vu que l’idée c’est de travailler chacun dans son domaine [..] Plus t’en connais, plus tu peux avancer vite et t’as moins besoin de l’avis des autres, mais autrement ça pose pas trop de problèmes". (entretiens élève p1)’

Ne pas en savoir plus sur le produit n'est donc pas problématique dans la mesure où des spécialistes de l'entreprise sont là pour cela. Nous reviendrons sur ce point dans la partie suivante (cf. 3.3).

En fait, les connaissances de J portent moins sur les détails techniques des dispositifs et leurs effets sur les produits (qui, on vient de le voir, sont laissés à des spécialistes internes ou externes à l'entreprise), que sur les paramètres à prendre en compte pour que leur mise en place ou leur réorganisation au sein du réseau socio-technique de production se passe sans difficultés.

Le travail de l'élève est particulièrement sensible sur le plan humain. Il veille à ce que les nouveaux dispositifs (voire plus rarement la nouvelle organisation) soient bien acceptés par les personnels de production (responsable du service, agent de maîtrise, opérateurs). J est très attentif à leurs remarques. Ainsi, lorsqu'il rédige le cahier des charges du dispositif de remplissage, plutôt que de privilégier l'observation silencieuse de l'ancien dispositif, il pose de nombreuses questions aux opérateurs qui travaillent sur ce poste (cf. actes n° 30363039, 30483054). L'avis des personnels de production est aussi sollicité au moment de l'étape de réception de la machine. Le plus souvent, J leur demande d'étudier le nouveau matériel et de faire part de leurs remarques dans le cahier des réserves de la machine (cf. PA n° 94, 125, 154, 171, 193, 207, 246, 275, 277, 287, 295, 299, 304). Enfin, au moment de l'installation et de la mise au point des nouveaux dispositifs, on a vu combien J était à l'écoute des remarques des opérateurs, notamment pour aménager les postes de travail (cf. cinquième jour d'observation, le 17/04).

Il y a, parallèlement à ce travail relationnel, un travail d'ajustement des changements avec l'environnement technique existant. Ce travail commence dès le début des projets, par l'étude des principales caractéristiques des postes à prendre en compte dans la conception. Il se poursuit par la résolution des dysfonctionnements lors de la réception puis la mise en place des matériels au sein du réseau socio-technique de production. Ce travail est bien visible en ce qui concerne le dispositif de séchage :

  • par exemple, lorsqu'il change une tempo dans le programme de pilotage de l'automate (cf. actes n °1143, 11451150, 11521153, 11561159,11621163),

  • ou bien la veille de l'essai de mise en production, lorsqu'il vérifie le bon fonctionnement du matériel, une fois celui-ci en place dans l'atelier et relié aux autres dispositifs (pompe et alimentation de pression) (cf. actes n° 42804283, 4285),

  • ou encore le lendemain, quand il résout quelques petits dysfonctionnements (centrage de l'aiguille, desserrage d'une visse sur le convoyeur, etc.) (cf. actes n° 50195020, 50225023, 50435046).

Selon les projets, l'intégration des changements techniques ou organisationnels au sein des réseaux socio-techniques de production peut être plus ou moins difficile. Le retard pris sur le projet "dispositif de séchage" le montre bien, de même que l'abandon du projet "dispositif de contrôle de niveau des ampoules", avant qu'il ne soit opérationnel. Dans les deux cas, J se heurte à des difficultés techniques et des réticences humaines.

  • Difficultés techniques : premier projet, cristallisation du produit (cf. actes n° 51425146) ; deuxième projet, incertitude sur la mesure(cf. PA n° 110).

  • Réticences humaines : premier projet, réticences du responsable maintenance (cf. actes n° 31313132) ; deuxième projet, réserves du responsable de production (cf. PA n° 147).

Ces deux types de difficultés sont d'ailleurs souvent liées. Une réticence d'un acteur vient souvent d'une caractéristique technique qui ne lui convient pas. L'expertise acquise au bout des 3 ans de formation s'appuie justement sur des connaissances relatives à ces deux sources de difficultés potentielles et aux liens qui existent entre elles. J devient peu à peu capable de mieux prévoir les attentes techniques des différents acteurs liés au service production, en fonction de leurs enjeux et de leurs habitudes propres.