1. Premier élève

1.1 Un Projet d'envergure

Pour étudier le Projet, nous nous sommes référé à la version écrite à la fin de la première année de formation, dans la mesure où c'est cette version qui a été soumise au jury d'agrément des thèmes de l'ISTP (cf. chapitre 1). Rappelons que ce jury, composé d'ingénieurs en activité et de formateurs, est chargé de vérifier si le Projet est profitable pour l'entreprise et permet à l'élève d'acquérir toutes les compétences d'un ingénieur de production.

Le Projet du premier élève a pour objectif d'améliorer la propreté des papiers fabriqués sur les trois lignes de production de l'entreprise E1. D'après le document écrit par l'élève, il doit se diviser en trois grandes parties.

" Recherche des causes de non-propreté. [lorsqu'il y aura des problèmes de propreté] je devrai, à l'aide du service R&D, déterminer au plus vite les causes de ces problèmes et mettre en place des actions pour y remédier. Ces recherches permettront de constituer une bibliothèque de défauts assez complète" La durée prévue pour cette étape est de quinze mois.

" Recherche des solutions. Cette deuxième partie va être consacrée à la recherche des solutions techniques, humaines et autres les plus adaptées pour la résolution de tous les problèmes de propreté des 3 machines". La durée prévue pour cette étape est de huit mois.

" Réalisation et bilan : une fois les solutions trouvées, il faudra les mettre en place et effectuer des bilans pour suivre l'évolution du Projet. La durée prévue pour cette étape est de quatorze mois".

Si on interprète ces étapes du Projet à l'aide des finalités d'action, on retrouve à priori, toutes les catégories.

L'étape de recherche des causes nécessite clairement des actions d'analyse. "A chaque fiche de non conformité [des papiers] je dois en être averti, et à l'aide d'échantillons, je suis chargé de trouver les causes ayant entraîné ces défauts". (Projet S, p13)

S écrit plus loin dans le rapport que cette même étape de recherche des causes doit conduire à informer le personnel des résultats d'analyse, : " Sensibilisation du personnel opérant et autre afin de montrer que la propreté est l'affaire de tous" ; " Mettre en place des tableaux de bord concernant la propreté afin d'impliquer le personnel" (Projet S, p13)

Les deuxième et troisième étapes sont clairement orientées vers des actions de changement. S décrit déjà dans le Projet, certains changements envisagés " : " Changer le mode de contrôle de la propreté des papiers". "Mettre en place des modes opératoires pour le lavage de la machine" ; " Mettre en place un système de contrôle du papier en continu ou off-line afin d'avoir une meilleure réactivité pour la détection des problèmes de propreté" (Projet S, p13). D'après ces quelques passages, il semble qu'il y ait un équilibre entre les modifications techniques et les changements humains.

Les trois étapes nécessitent des sollicitations d'acteurs variés, de l'entreprise ou d'autres sociétés : " Lors de mon Projet, je devrai travailler avec les personnes suivantes : [..] le service recherche et développement : c'est avec l'aide des employés de ce service que je vais effectuer les recherches pour la détermination des causes de non-propreté. La direction de l'entreprise : lors de la prévision du budget, il faudra montrer que l'investissement réservé à l'amélioration de la propreté permettra un bon retour sur investissement ainsi que des gains sensibles en qualité, productivité. Les responsables opérationnels des machines 1, 2 et 3 : lors de la mise en place des modes opératoires j'aurai besoin de leurs conseils et de leurs accords. Le bureau d'étude : si la mise en place d'un système de contrôle se concrétise, le bureau d'étude sera maître d'oeuvre pour la réalisation et la mise en place. Des entreprises extérieures : dans le cas de la mise en place d'un système "on-line", une entreprise extérieure spécialisée dans la détection de tâches se verra confier la réalisation et la mise en place de tels systèmes". (projet S, p13-14)

Un tel Projet, compte tenu de la variété des acteurs impliqués et de l'ampleur des installations concernées (les 3 sites de production), ne peut se faire sans coordination des actions des uns et des autres. S l'écrit d'ailleurs directement ("effectuer des bilans pour suivre l'évolution du Projet", Projet S, p14) ou plus indirectement ("responsabilité accordée : pilote de toutes les actions propreté du service production", ibid). Le terme pilote n'indique pas que S conduit toutes les actions "propreté" lui-même, mais qu'il en est le coordinateur.

Enfin, des moments d'auto-organisation semblent aussi indispensables. S n'y fait pas allusion, mais un Projet de cette ampleur ne peut être mené à bien sans des phases d'auto-organisation régulières.

En résumé, il s'agit d'un Projet d'amélioration de la propreté des papiers en trois étapes, portant sur trois sites de production, et devant, a priori, conduire à réaliser l'ensemble des actions types d'un ingénieur de production.

Pourtant, notre étude a montré que l'activité de l'élève est loin de suivre de manière fidèle les objectifs du Projet.

La première année est consacrée, comme prévu, à la première étape du Projet, à savoir la recherche des causes des problèmes de non-propreté. Elle se traduit par la répétition de plusieurs cycles analyse-information, ces actions ayant une forte modalité routinière (cf. chapitre 4). Au cours des deux années suivantes, S en reste, le plus souvent, à cette première étape. Il s'aventure parfois jusqu'à étudier et proposer certains changement (deuxième étape), mais passe assez rarement à la phase de mise en oeuvre (troisième étape) qui semble plus difficile pour lui.

Pour un Projet qui devait nécessiter des sollicitations de nombreux autres acteurs, l'activité de S est assez pauvre de ce point de vue, même si une tendance à la hausse se dessine en fin de formation en direction de quelques fournisseurs. S agit souvent seul, ce qui explique que les actions de coordination soient elles aussi peu fréquentes.

Enfin, S privilégie fortement un des trois sites de production (site n°1) au détriment des trois autres.

Pourquoi un tel décalage entre le Projet écrit et l'activité de S ? On va voir que les caractéristiques des réseaux socio-techniques de production, et le positionnement de l'élève au sein de l'entreprise expliquent, pour une part, la restriction prolongée à certains types d'actions et l'importance de la modalité routinière au détriment des autres types de modalités.