1.2.2 Des acteurs à convaincre de l'importance de la propreté des papiers

Les difficultés pour l'élève ne viennent pas seulement de la complexité des analyses. Elles ont aussi pour origine le fait que les acteurs des réseaux socio-techniques de production sont traditionnellement peu sensibles aux problèmes de propreté des papiers. S se heurte à des réticences importantes de certains acteurs de ces réseaux, quand il informe des résultats des analyses et propose de faire des changements au sein des unités de fabrication en matière de propreté.

Parmi les personnels de production, S va informer, pendant très longtemps et de manière privilégiée, le chef de fabrication et les responsables opérationnels de l'unité de production n°1. Ce n'est pas un hasard, car ce sont les acteurs les plus intéressés par les résultats des analyses de S. Un des éléments permettant de le comprendre, est que, au moment de notre étude, se pose la question de fermer le site de production n°1, pour raison de rentabilité. Le chef de fabrication de cette unité et ses responsables opérationnels cherchent des solutions pour continuer malgré tout. La décision de fabriquer, sur ce site, un nouveau papier à haute valeur ajoutée va leur donner de nouvelles perspectives. Mais ce papier est très exigeant du point de vue de la propreté. On comprend alors tout l'intérêt que ces hommes peuvent avoir à mieux connaître les origines des problèmes de propreté. S leur donne des informations qu'ils n'auraient pas le temps de trouver eux-mêmes, compte tenu du temps et de l'expertise nécessaires aux analyses.

A contrario, S a beaucoup plus de difficultés avec les chefs de fabrication et les responsables opérationnels des deux autres machines (ex PA n°145, 233). Ceux-ci ont du mal à voir l'intérêt des analyses réalisées par l'élève. L'unité à laquelle ils appartiennent n'a pas la pression d'une fermeture éventuelle et ne fabrique pas des papiers aussi sensibles du point de vue de leur propreté que ceux de l'unité n°1. Plus précisément, les clients qui achètent ces papiers ne sont pas aussi exigeants sur la propreté. Pour justifier son refus, le responsable de fabrication de l'unité 3 finit d'ailleurs par l'expliquer à S que faire des analyses plus poussées sur le site de production 3 (PA n°233) conduirait à faire de la "sur-qualité", et donc à mobiliser inutilement du temps et des moyens83.

Avec les opérateurs, S a aussi beaucoup de difficultés, même si elles sont quelque peu différentes. Les objectifs de l'élève à leur encontre ne se limitent pas à de strictes restitutions des résultats d'analyse. D'après le Projet, il doit leur expliquer que ‘"la propreté est l'affaire de tous" et "mettre en place des tableaux de bord concernant la propreté afin d'impliquer le personnel."’ Car un des objectifs majeurs du Projet est d'améliorer la prise en charge des problèmes de propreté par les opérateurs eux-mêmes. Or plusieurs passages des chroniques d'activité, tant au global que local, montrent des difficultés sur ce point (cf. chapitre 4, parties 2.1.6.2 et 2.2.3).

  • Premier exemple, lorsque S va afficher les indicateurs d'évolution de la propreté dans la salle de pilotage de la machine, le tuteur lui reproche de ne pas aller plus loin que l'affichage silencieux de ces documents, sans attirer l'attention des personnels et leur expliquer les évolutions des performances de l'unité en matière de propreté (cf. PA n°145).

  • Deuxième exemple, quand S s'aventure à évoquer ce sujet avec les opérateurs, il se heurte à des réticences fortes de leur part (cf. actes n° 50515060). Les équipes de production voient en effet d'un mauvais oeil des tâches supplémentaires (contrôles de la propreté des feuilles ; puis ensuite, utilisation du dispositif de contrôle par caméra) à réaliser et vivent mal les bouleversements des habitudes de fabrication.

Sans doute la difficulté de l'élève à mener et justifier les changements est accentuée par son positionnement au sein des équipes de production pendant presque deux mois au début de la formation. De ce fait, il a été membre actif des réseaux socio-techniques de production et a pu expérimenter de manière concrète les contraintes que font peser le fonctionnement de ces réseaux sur un opérateur à un poste de travail. Cela explique sans doute partiellement le fait qu'il soit sensible aux arguments des membres des équipes de production.

Plus généralement, l'élève va mettre du temps pour trouver des moyens lui permettant de diffuser le plus largement possible ses résultats d'analyse au sein des réseaux socio-techniques de production et tenter de proposer quelques changements. Pendant longtemps, il se limite aux responsables de la machine 1. Ce seulement au bout d'un année que, sur la pression du tuteur, il met en place les indicateurs visuels d'évolution de la propreté au sein des ateliers, avec les difficultés que l'on sait pour convaincre certains acteurs. Ce sont peut-être ces difficultés qui l'incitent à trouver très tardivement (dernière année) d'autres moyens plus efficaces, comme par exemple le fait de participer aux réunions mensuelles de chaque unité de production. Les participants à ces réunions sont traditionnellement les deux responsables opérationnels, le chef de fabrication et le responsable de production. Il s'agit pour S d'une assurance qu'il aura un temps de parole garanti par la présence du responsable de production, pour évoquer les problèmes de propreté.

Notes
83.

Il faudrait ajouter à cette première différence entre les unité de production, les caractéristiques plus directement attachées à l'histoire des trois chefs de fabrication. D'après le responsable de production, il y a des écarts de culture importants entre le chef de l'unité 1, plus jeune, et les deux autres, d'une tradition papetière plus ancienne. Ceci contribuerait à expliquer la moindre réceptivité au problème de propreté, caractéristique traditionnellement moins prise en compte dans la fabrication du papier.