Elargissons maintenant notre perspective, pour s'intéresser à la manière dont S va constituer le réseau socio-technique nécessaire à la réalisation de son Projet. L'étude de son activité montre que, pour cela, il va se rapprocher progressivement du laboratoire Recherche & Développement, du service qualité, et, plus tardivement, de quelques fournisseurs.
L'origine du rapprochement avec le laboratoire Recherche & Développement remonte à la première année, lorsque le tuteur demande à S d'aider un des techniciens du laboratoire à faire des analyses d'impuretés sur les installations de l'unité de production 1 (PA n°33). C'est le point de départ des nombreuses analyses qui vont suivre. S découvre, grâce aux explications du technicien, les ressources existant au sein du laboratoire qui peuvent l'aider à rechercher les causes des problèmes, microscope, analyses physico-chimiques, appareils divers. S apprend, à son contact, comment prélever des impuretés, les préparer pour l'analyse, les classer à l'aide des documents existants, etc. Le technicien lui indique également qu'il peut solliciter un laboratoire externe mieux équipé pour des analyses complémentaires (PA n°58). Progressivement, l'élève va s'investir de plus en plus dans ces analyses (PA n° 57), allant jusqu'à réorganiser un certain nombre de ressources documentaires élaborées par le technicien (PA n° 61) et s'installer définitivement au sein du laboratoire R&D (PA n°56). Il va peu à peu remplacer complètement le technicien dans la recherche des causes des problèmes de non-propreté. Le technicien y trouve un intérêt dans la mesure où il se décharge d'un travail long et fastidieux, constituant seulement une partie de ses objectifs.
Un peu plus tard, l'élève découvre l'intérêt d'utiliser une partie des ressources du service qualité pour ses analyses. Il s'agit des données du réseau informatique qualité, et des informations sur la propreté des papiers contenues dans certains classeurs de documents. Le technicien qualité va l'aider à accéder à ces ressources, en lui expliquant notamment l'organisation du système informatique et en lui donnant sa clé d'accès.
Encore plus tard, à partir de la deuxième année, S commence à solliciter ponctuellement des fournisseurs pour effectuer des inspections vidéos des tuyauteries ou faire des analyses d'impuretés (PA n°6368, 197201)
En résumé, l'élève créé progressivement, à partir de ressources qu'il trouve dans d'autres réseaux existants (laboratoire R&D, service qualité, sociétés externes), un nouveau réseau orienté vers la réalisation de la première étape du Projet (recherche des causes). Mais il a beaucoup de mal à poursuivre l'élaboration de ce réseau pour les deux étapes suivantes (étude de solutions et mise en oeuvre). La version écrite du Projet (cf. 1.1) stipulait pourtant qu'il pourrait s'appuyer sur d'autres services, tels le bureau d'étude, les services maintenance, la direction, et même qu'il pourrait faire appel à entreprises extérieures. Or, pendant longtemps, S n'a pas ou peu de liens avec tous ces types d'interlocuteurs. Ce n'est qu'au cours des six derniers mois de la formation qu'il commence a avoir des liens plus nombreux avec certains fournisseurs.
Une première explication vient du fait que, contrairement à la première étape où l'on a mis à disposition de S les ressources nécessaires à ses analyses, celles qui seraient nécessaires aux deux étapes suivantes sont dispersées dans divers autres services (direction, bureau d'étude, service maintenance) voire même à l'extérieur de l'entreprise. Et cette fois, personne ne joue le rôle de mise en évidence de ces ressources pour l'élève. Les services qui pourraient être utiles restent pour lui relativement étrangers.
Mais ce n'est pas le seul problème. Il y a sans doute également chez l'élève le sentiment d'un manque de légitimité pour accéder à ces ressources. Lors des séances d'évaluation en entreprise, mais aussi au cours des entretiens, l'élève a plusieurs fois exprimé un tel sentiment : on ne le connaîtrait que comme un stagiaire. C'est un problème pour lui car il est persuadé que c'est en grande partie à cause de cela qu'il ne peut pas obtenir plus de ressources.
Ce sont vraisemblablement deux conséquences du positionnement hiérarchique et fonctionnel de l'élève. D'abord, S n'apparaît pas dans l'organigramme officiel de l'entreprise et ce positionnement officieux n'aide pas ses interlocuteurs à situer son rôle. Ensuite le fait d'être rattaché au service production l'éloigne d'autres services plus spécialisés dans le changement et donc des ressources nécessaires à la mise en place du réseau socio-technique nécessaire pour la réalisation des étapes 2 et 3 du Projet.