1.5 Choix et définition du Projet

A la suite de l'interprétation précédente, on peut se demander si les deux tuteurs ont réfléchi aux étapes du Projet, du point de vue de leur complexité pour l'élève, compte tenu des connaissances et des moyens dont disposaient ce dernier. Une réflexion de ce type aurait peut-être permis d'anticiper certaines des difficultés soulevées précédemment et d'aménager le Projet en conséquence.

D'après les entretiens avec les tuteurs et l'élève, il n'y a pas eu véritablement de discussion sur ce point.

‘- L : " Vous dites que vous aviez en réserve un certain nombre d'études potentielles, c'était quoi ces études ?"
- TE : " Ben par exemple ce qu'il a aujourd'hui, tout ce qui est associé à la propreté des machines à papier et puis d'autres choses qui tournent autour du traitement de l'eau, des stations d'épuration. Des trucs assez techniques quand même. Pourquoi finalement on choisit ce Projet là pour lui ? C'est parce que il a eu, à notre avis, un petit côté un peu plus organisationnel, plus en contact avec les opérateurs qu'un Projet purement technique, ce qui n'aurait pas été l'objet du tout de la formation s'il n'y avait eu que des aspects purement techniques, enfin je considère comme ça [..] parce que un mec qui a déjà un BTS, il en sait assez au niveau technique [..] Je crois que j'ai dû lui dire : voilà, j'ai ce Projet-là, j'ai dû lui demander 3 minutes, ça vous plaît, est-ce que vous avez quelque chose à dire là dessus ? Il n'a pas réagi tout de suite et c'est parti quoi, on n'a pas tergiversé. Je ne suis pas persuadé qu'il ait eu son mot à dire" (entretien tuteur p1-2) ’

Le seul critère de choix cité par le tuteur est que le Projet "propreté des papiers" avait un côté plus organisationnel que celui portant sur la station d'épuration. Il n'y a pas eu véritablement discussion avec l'élève, ni même avec le tuteur ISTP. Ce dernier s'est simplement assuré, par le biais des séances de suivi de Projet à l'ISTP, que le Projet proposé était d'une ampleur suffisante pour un élève-ingénieur.

‘- TI : " Premier point, c'est : est-ce que le Projet est un Projet d'envergure suffisante ? Est-ce qu'il a des objectifs suffisamment ambitieux ? [..] Il y a un principe de base, on s'inscrit dans la logique économique de l'entreprise : il faut qu'au moins l'élève-ingénieur ait pu rembourser les sommes faramineuses qu'a versé l'entreprise à titre de salaire [..] Autre point c'est savoir la part de l'élève-ingénieur dans l'ensemble du Projet via le schéma organisationnel."
- L : " Justement par rapport à S, comment tu le jugerais par rapport à ce que tu viens de me dire, sur le plan de son Projet ?"
- TI : "C'est un Projet important" (entretien tuteur ISTP, p9)’

L'examen plus attentif des versions écrites successives du Projet montre d'ailleurs une relative efficacité de l'organisation mise en place par l'ISTP pour pousser l'entreprise à confier un Projet d'envergure à l'élève. Les deux premières fiches avant-projet rédigées par S prévoient comme objectif : ‘"la mise en place d'un système de contrôle du papier en continu ou off-line afin d'avoir une meilleure réactivité pour la détection des problèmes de propreté" (deuxième fiche avant-projet)’ . Puis les versions suivantes décrivent des objectifs plus diversifiés : ‘"Sensibilisation du personnel ; procédures de lavage ; tableaux de bord ; changer le mode de contrôle de propreté ; mise en place d'un système de contrôle du papier en continu ou off-line" (Questionnement ; troisième fiche avant-projet). ’

Ce changement s'est certainement opéré en partie sous l'influence de l'ISTP. En effet, lors des séances de suivi de Projet, le tuteur ISTP insiste à plusieurs reprises, auprès de l'élève, sur la nécessité d'un Projet d'envergure, comprenant tout à la fois des dimensions techniques, humaines et économiques. De plus, les études et documents prescrits par l'ISTP lui font prendre conscience qu'il faut demander au tuteur entreprise d'élargir les objectifs et les moyens du Projet84 (cf. PA n° 37 , 53). S a trouvé en face de lui un tuteur entreprise réceptif aux arguments de l'ISTP, réceptivité d'autant plus forte que ce tuteur est convaincu de l'objectif principal de la formation de S : apprendre à manager.

‘- TE : " je vais vous dire tout le baratin que je viens de vous faire sur le management, sur les relation humaines j’en étais convaincu dès le départ et j’étais bien certain que c’était là qu’il fallait qu’il agisse et qu’on agisse" (p14)’

Le tuteur ne fait donc pas de difficultés pour donner une envergure plus forte au Projet, afin que celui-ci mette l'élève en situation de management.

Le jury d'agrément des thèmes, qui s'est tient en fin de première année, est le point d'aboutissement de ce processus de définition officielle du Projet. Les industriels et les formateurs présents jugent que l'envergure du Projet, la perception de ses enjeux par l'élève, et les "acquisitions formatives" qu'il devrait entraîner, sont satisfaisantes. Selon les termes utilisés par le jury, il s'agit d'un "projet au coeur de la stratégie de l'entreprise" (feuille de délibération du jury d'agrément des thèmes de Projet). Le jugement sur le côté satisfaisant des acquisitions formatives n'est pas surprenant, si l'on se rappelle qu'un examen du Projet écrit aboutit à la conclusion qu'il doit permettre une grande variété d'actions (cf. 1.1). Seule une étude attentive des caractéristiques des réseaux socio-techniques et du positionnement de l'élève au sein de ces derniers peut permettre de comprendre qu'il est loin d'avoir des milieux favorables à la réalisation de tous les actions prévues.

En résumé, les tuteurs n'anticipent pas les situations successives que le Projet choisi va générer pour l'élève. Le contrôle de l'ISTP se fait sur la base des caractéristiques du Projet, sans prise en compte des conditions concrètes dans lesquelles il va s'appliquer. Tout se passe comme si l'envergure du Projet était une condition suffisante pour garantir la réalisation de toutes les actions caractéristiques d'un ingénieur de production, et par là même, pour assurer le développement des compétences liées à ces actions.

Notes
84.

Non sans difficultés pour certains documents tel le questionnement, au vocabulaire quelque peu aride : "Au début, j'avais rien compris : on était tous là, à quoi ça va servir, comment on va faire pour y remplir, est-ce que vous avez réussi, on se téléphonait : c'est le bordel, je comprends rien. C'était vraiment trop complexe, trop touffu, [..] Par exemple, tu regardes l'explication, c'est 1-3-2 [il lit le questionnement] : la crainte de la concurrence ou l'appréhension devant les fluctuations brutales des marchés rendent prudents les responsables d'entreprise. Mais si l'expression de ces perspectives subit un censure bien naturelle, il n'en demeure pas moins qu'un ensemble d'hypothèses peut être avancé afin de positionner le Projet d'Espérance de Progrès (PEP) face à des éventualités envisageables, soit en relation avec les perspectives affichées soit en fonction d'un faisceau d'hypothèses imaginées. Le PEP doit être positionné par rapport à des politiques et à des scénarios d'évolution à long terme de l'entreprise. Quand tu lis ça au début tu te dis qu'est-ce qu'il me parle de quoi là, j'y comprend rien. Alors tu passes" (entretien 1er élève p 20)