2.6 Une cohérence du rôle des deux tuteurs pendant la réalisation du Projet

La dévolution de l'ensemble des projets envisagés va globalement très bien fonctionner. Dans un premier temps, le tuteur entreprise est très présent auprès de son élève afin de lui expliquer l'état d'avancement des projets qu'il avait lui même commencés et l'aider à les prendre en charge (cf. PA n°70, 71, 82). Puis il s'efface pour laisser une autonomie très importante à J, qui assume la responsabilité globale des projets sans difficultés particulières.

Le contrôle du tuteur sur l'activité de l'élève n'est pas nul pour autant. Il s'inquiète régulièrement de ce que fait J, en particulier lors des étapes les plus sensibles des projets : vérification du cahier des charges, de la commande, etc. Il lui donne assez fréquemment des petits conseils (cf., par exemple, PA n° 83, 97, 121), le plus souvent de manière informelle. Il a d'autant plus de facilités à le faire que son bureau est situé à côté de celui de l'élève et que les membres du service ont souvent des temps de pause en commun (café, repas, etc.). De son côté, J n'hésite pas à venir le consulter lorsqu'il se pose des questions quelconques (cf., par exemple, PA n° 77, 96, 117). Par exemple, il n'hésite pas à lui présenter la planification envisagée pour l'installation des différentes parties du dispositif de contrôle de niveau (actes n° 42134220, 42234226, 42324238).

Cet exemple et quelques autres (cf., par exemple, actes n° 51645165) montrent qu'il n'est pas toujours facile pour le tuteur entreprise de convaincre son élève de l'intérêt de certaines façons de procéder. P a d'ailleurs évoqué ce problème au cours de l'entretien.

- TE : " Des fois j’ai un peu de mal [..] je sais pas encore quelle est la bonne méthode [..] j’essaie d’y aller assez progressivement [..] puis au bout d’un moment quand il se braque, j’essaie de parler un peu plus directif. Et puis en général j’arrête là. Et puis je reviens un jour ou deux après, il a changé d’optique [..] Mais ça, je connais ce type de personnages [..] il y a plein de gens comme ça qui réagissent de la même façon : qui se braquent parce qu’on va à l’encontre de leur idée et puis, du coup, qui, au bout de deux jours, ont largement réfléchi et puis sont convaincus [..] Non mais je pense que J a une forte personnalité effectivement et qu’il cherche aussi un petit peu à s’imposer parce qu’il se sent bien, parce qu’il sent qu’il est à peu près motivé par son projet, c’est son projet et il a envie de le défendre. Par contre, ça a dû le desservir à un moment donné parce qu’il y a eu confrontation avec la maintenance où là la personne responsable maintenance a une plus forte personnalité" (entretien tuteur E, p23-24)

Les propos du tuteur montrent un effet intéressant de la dévolution réussie des projets. J les a si bien pris en charge qu'il défend parfois becs et ongles certains de ses choix. Il a alors du mal à comprendre certaines remarques, notamment en ce qui concerne la nécessité d'analyses plus poussées (cf. actes n°51645165), ou l'intérêt d'une coordination plus subtile (actes n° 42134220, 42234226, 42324238). On retrouve sans doute ici un effet des milieux qui sont peu favorables à la réalisation de ces types d'action. Il faut toute la subtilité du tuteur, qui insiste tout en lui laissant le temps de réfléchir à l'intérêt de ce qu'il propose, pour passer outre ses premières réactions assez vives.

L'attention du tuteur ISTP, va, quant à elle, se focaliser sur le respect de la progression envisagée lors de la définition des projets. Lors des séances de suivi de Projet, et surtout lors des séances d'évaluation en entreprise, il insiste pour que J précise davantage le contenu du dernier projet. Il considère les premiers projets proposés par l'élève comme des projets d'investissements techniques auxquels il manque une dimension organisationnelle.

‘- TI : "Là si tu veux, il pilote des projets techniques, la mise en place de machines. Le côté riche de ce Projet, c’est que lui il le suit du début jusqu’à la fin ... enfin jusqu’à la mise en place, jusqu’à l’industrialisation [..] Là si tu veux, moi j’avais trouvé cette formation bien puisque en fait même quand on met en place des machines, il faut définir des besoins donc t’es obligé de te poser des questions par rapport à l’entreprise. Après t’as tout l’aspect humain où il faut faire adhérer les gens pour que le Projet soit fait dans les temps. [..] Bon après, il faut le mettre en oeuvre sur le site etc. Donc il y a beaucoup de composantes : la composante humaine est bien présente, la composante technique aussi, un peu la composante financière parce qu’il a eu tous les calculs de retours sur l’investissement à faire. Ce qui manque un peu, c’est la composante organisationnelle [..] alors on va voir comment c’est réorienté, je vais avoir des nouvelles bientôt - si la fin du Projet, c’est réorganisé en atelier complet, là ce sera parfait comme formation parce qu’il aura une progression dans sa prise de responsabilité". (entretien tuteur ISTP, p24) ’

Le fait que les projets plus techniques prennent plus de temps inquiète quelque peu le tuteur ISTP, car J n'aura peut-être plus le temps de faire la dernière partie de son Projet. Or, seul cette dernière partie lui permettra de réaliser une analyse globale de l'atelier et de faire des changements organisationnels.96 Son insistance finit par être payante car il trouve en face de lui un tuteur entreprise qui comprend bien ses arguments et insiste lui aussi auprès de l'élève pour qu'il définisse ce dernier projet.

Finalement, contrairement au premier élève, aucune divergence de vue n'apparaît entre les deux tuteurs (ISTP et entreprise) au cours des séances d'évaluation en entreprise. Sans doute la définition des projets successifs a permis de dresser un contexte d'évaluation relativement clair : J est évalué sur l'atteinte d'objectifs précis, sans qu'il y ait beaucoup d'ambiguïté sur l'auteur des actions réalisées. Mais à s'y pencher de plus près, la façon dont le tuteur ISTP évalue l'activité de J est aussi assez différente de celle du tuteur ISTP du premier élève. Tout d'abord, il se fie moins au comportement de l'élève à l'école, même si celui-ci rentre inévitablement un peu en ligne de compte. Par contre, lors des séances de suivi de Projet et lors des évaluations en entreprise, il le questionne davantage sur son rôle exact dans les actions97, ce que faisait assez peu le tuteur du premier élève.

Notes
96.

Cette appréciation est d'ailleurs confirmé par notre étude : J réalise effectivement plus de changements organisationnels à l'occasion de ce dernier projet.

97.

Exemples de questions posées par le tuteur ISTP à l'occasion d'une séance d'évaluation en entreprise : " Il vous est arrivé d'aller voir le fournisseur tout seul ? " ; " Au niveau de l'installation, quel a été votre rôle ?" ; " La réunion d'information, c'est vous l'avez faite ?".