Conclusion

A l'issue de notre travail, un certain nombre d'enseignements peuvent être tirés, à la fois sur les plans théorique et méthodologique, ainsi que du point de vue des résultats obtenus.

1. Le cadre théorique

Pour répondre à l'objectif de l'étude, qui était de caractériser des évolutions de l'activité et des compétences des élèves-ingénieurs pour ensuite étudier les différents facteurs contribuant à ces évolutions, nous avons réalisé un travail théorique relativement important.

La didactique a été à la fois le point de départ et le point d'arrivée de notre démarche. A partir du point de vue où la didactique est l'étude des situations que l'on rend porteuses d'une volonté d'enseignement, le concept de transposition (Chevallard, 1991) a permis d'étudier l'élaboration de la formation par apprentissage de l'ISTP et de caractériser les finalités d'actions d'un ingénieur de production à partir des référentiels métiers. Pour étudier l'activité des élèves en entreprise, des concepts d'autres disciplines (psychologie, sociologie) ont été utilisés. Plusieurs théories de l'action (Thévenot, 1998) et de l'activité (Leontiev, 1984 ; Rassmussen, 1986) ont été mises à contribution pour définir l'activité. Pour caractériser le contexte professionnel de l'activité des élèves, nous avons eu recours aux concepts de réseau socio-technique (Callon, 1988, Latour, 1986, Dodier, 1995) et d'environnement de travail. Enfin, avec les notions de milieu et de dévolution (Brousseau, 1986), issues de la didactique, nous avons modélisé les éléments des environnements de travail favorisant la réalisation par l'élève de certaines actions. Le concept de milieu a permis de passer de l'étude de l'activité à celles des facteurs contribuant à l'évolution de cette activité.

Si le rapprochement entre les univers conceptuels de la didactique des disciplines, de la psychologie et de la sociologie du travail n'a pas toujours été facile, nous pensons avoir montré qu'il peut s'avérer fécond dans la constitution d'un champ de recherche en didactique professionnelle.

Se pose alors la question de la généralisation de ce cadre théorique à d'autres études sur l'apprentissage en situations de travail, que ce soit du point de vue de la modélisation de l'activité, ou de son contexte de réalisation.

La caractérisation des actions repose sur deux critères :

  • les modes de contrôle et de coordination de l'activité (modalités)

  • l'intentionnalité de ces actions (finalités).

Le premier critère semble pertinent pour l'étude de l'apprentissage de nombreux métiers. Les quatre modalités définies (conventionnelle, téléologique, routinière, automatique) permettent sans doute de caractériser une grande variété de types d'actions, des plus répétitives aux plus inhabituelles, selon des finesses de description différentes. Dans la présente étude, la modalité automatique n'apparaît pas dans la mesure où le niveau de description n'est sans soute pas assez fin pour pouvoir détecter et caractériser des automatismes. En effet, nous avons considéré qu'un niveau de description plus fin n'aurait pas été très pertinent pour étudier une activité de conduite de projet qui se déploie dans des horizons temporels importants. Mais dans le cas d'une activité d'opérateur, caractérisée par une temporalité beaucoup plus courte et des tâches plus répétitives, la modalité automatique est sûrement plus essentielle au métier.

Le critère d'intentionnalité des actions est plus problématique, ceci pour deux raisons.

  • Nous avons opté pour une définition de l'action dite délibérée, c'est à dire que l'on a considéré qu'une action est causée par une intention consciente de l'acteur. Si ce choix nous semble pertinent dans le cas d'un élève-ingénieur de production, il n'est pas sûr qu'il soit adapté à l'étude de l'apprentissage de métiers où la cause de l'action étant plus souvent à trouver dans une réaction habituée à l'environnement. Il faudrait peut être dans ce cas, revenir à une définition de l'intentionnalité plus fondamentale, une action n'étant plus alors définie comme une séquence d'événements subjectifs orientés par un but conscient, mais par un point terminal.

  • Le deuxième problème porte sur les finalités caractéristiques du métier étudié. Notre hypothèse est que ces finalités sont peut-être moins spécifiques à un domaine professionnel (production, commercial, conception, finance, etc.), qu'à un niveau de responsabilité effective99 de cadre. On définit ici un cadre comme toute personne ayant la responsabilité de faire fonctionner et améliorer une structure socio-technique de l'entreprise (ensemble organisé d'acteurs et d'artefacts). Si l'on suit cette définition, la plupart des cadres est a priori concernée par les six finalités décrites100. Il serait donc intéressant de tester la pertinence de ces finalités dans d'autres domaines.

Dans cette étude, les concepts de réseau socio-technique, d'environnement de travail et de milieu ont conduit à des interprétations très intéressantes du point de vue des facteurs qui ont une influence sur l'activité et sur le développement d'une certaine expertise. Ce sont là trois concepts qu'il serait intéressant d'utiliser dans d'autres types d'institutions professionnelles, pour étudier les effets de l'organisation de ces institutions sur l'activité et l'apprentissage d'acteurs en formation. En particulier, il reste à montrer qu'ils seraient adaptés à une étude sur des acteurs en formation continue qui, au contraire de jeunes élèves en apprentissage, ont des connaissances importantes sur l'organisation de l'institution avant de débuter leur formation.

Notes
99.

La précision "effective", est ici importante dans la mesure où il ne faut pas se fier a priori au titre ou à la qualification officielle des personnes. Un technicien peut très bien garder ce titre tout en ayant la responsabilité d'une équipe d'hommes ou d'un service, alors que dans d'autres entreprises seul un ingénieur assure ces responsabilités

100.

Tout cadre se doit d'analyser régulièrement les dysfonctionnements de son service et de réaliser les changements (modifications techniques, formation du personnel, changements organisationnels) nécessaires pour y remédier. Il peut difficilement se passer de sollicitations de membres de son équipe, d'autres services ou de fournisseurs. Un responsable qui n'informerait pas ses collègues, ses supérieurs et ses subordonnés, de ce qui se passe dans ou à l'extérieur du service ne tiendrait sans doute pas longtemps dans une entreprise. De même, s'il ne réalisait pas au moins ponctuellement un travail de coordination et d'auto-organisation, son rôle d'encadrement ne pourrait être assuré.