3- Spécificités locales et système d’acteurs

La satisfaction des besoins, sélective à l’échelle nationale et dans la réglementation, se traduit localement de la même manière par l’exclusion des plus démunis. L’agglomération lyonnaise fait cependant figure de laboratoire sinon de précurseur en matière d’initiatives d’aide au logement des populations défavorisées.

L’agglomération lyonnaise comme toutes les grandes agglomérations de l’après-guerre se situait dans un contexte juridico-politique particulier caractérisé par la maîtrise étatique des principaux instruments de gestion de la ville. En effet, une loi de Vichy de 1941 substitue à la liberté communale qui prévalait jusque là une mainmise de l’Etat sur la conduite des activités d’aménagement et de construction, à travers ses services déconcentrés.

Sa forte croissance urbaine d’après-guerre semble se faire hors de toute politique d’ensemble, au gré des opportunités du développement urbain. Face à ce dirigisme étatique qui se traduit dans une maîtrise, formelle seulement, des instruments de planification, il se développe une attitude pragmatique des autorités locales. La compréhension de la politique urbaine, au sens de pratiques gestionnaires de l’espace urbain est donc à rechercher, non pas dans les textes de lois, qui réglementent certes le cadre d’action général, ni même dans les pratiques ’hégémoniques’ des services de l’Etat, mais dans les rapports plus ou moins conflictuels entre le local et le niveau central. L’action locale est certes contrainte, enserrée dans des limites, mais c’est justement pour cela que l’audace politique d’une action débordant ce cadre exprime de manière très forte les orientations et les choix locaux. La marge de manoeuvre limitée donne aux choix effectués un caractère prioritaire et fondamental.

Dans le domaine du logement, les engagements politiques se traduisent principalement dans le soutien apporté aux organismes producteurs de logements sociaux mais transpirent également en négatif des opérations d’aménagement urbain visant notamment à préparer le développement de l’agglomération. Ces choix et engagements sont pragmatiques en ce sens qu’ils ne font pas l’objet d’une planification formelle. Aussi ne peut-on en rechercher les traces dans une analyse directe des grandes options du développement urbain et de la planification locale mais dans l’analyse du système d’acteurs qui se structure autour de l’offre de solutions spécifiques pour les exclus du marché classique du logement.

La production de logements spécifiques est caractérisée dans ces années par la prédominance de deux acteurs majeurs dans l’agglomération lyonnaise. Il s’agit d’une part du Pact qui, en constituant un véritable réseau d’intervention et en se positionnant comme relais de l’action des différents intérêts potentiels (entreprises, municipalités et aussi ... des populations démunies ?), est véritablement à la base de la structuration d’un système d’acteurs dans la production et la gestion du logement spécifique et d’autre part du FNDSA, qui vont fédérer les initiatives locales autour de projet de constructions et de véritables programmes d’aides au logement des plus démunis.

L’Etat et les pouvoirs publics dont l’importance n’est pas tant proportionnelle à l’activité qu’à leur interpellation face à des difficultés de tous ordres (financement, réglementation, impulsion ou incitation..., toutes choses qui leur sont dans le même temps déniées dans le cadre de la production du logement ’normal’119), interviennent en tache de fond quant à l’organisation et à l’encadrement réglementaire de ces institutions qui sont dans le même temps le révélateur de leurs faiblesses et un interlocuteur légitime adossé à une opinion (et un problème) de plus en plus sensible.

La position des interlocuteurs et en l’occurrence du PACT est claire : moins d’Etat et d’interventionnisme sauf pour libérer les initiatives individuelles des carcans réglementaires entourant la production de logement en général, par exemple en levant le blocage des loyers et en les revalorisant ou encore en favorisant la rentabilité de l’investissement immobilier. Le lien avec la cause des mal logés semble entendu : favoriser la relance de la construction, c’est permettre un développement de l’offre et donc, à terme, assurer l’accès de tous à un logement, y compris les plus pauvres, en cohérence avec sa conception d’un habitat promotionnel à caractère propédeutique. Il s’agit donc de rétablir la fluidité du marché du logement comme solution à la crise en relançant l’investissement par une revalorisation de sa rentabilité120.

Cette bipolarisation, entre niveau central et niveau local, puise sa légitimité dans l’absence d’espace politique pour des municipalités dont la préoccupation, face à une croissance démographique importante, est de trouver des solutions en urgence et d’abord pour leurs ’meilleurs’ administrés. Leurs instruments principaux vont être les organismes HLM dont elles ont la tutelle et la procédure d’attribution comme principal outil de gestion du patrimoine social.

Pour les populations démunies dont elles ne s’occupent qu’en dernier lieu et seulement lorsque des circonstances particulières placent ces dernières dans une certaine visibilité sociale, par exemple par l’occupation d’espaces sur lesquels portent des enjeux d’aménagement, des acteurs comme le PACT interviennent comme un relais des préoccupations édilitaires ou un tampon dans des processus d’aménagement parfois trop agressifs. Plus précisément, le PACT représentait au départ plus les intérêts du patronat lyonnais (CLAL, GSHH... représentants le patronat sont aussi les principaux collaborateurs institutionnels du PACT jusque et y compris dans son conseil d’administration) et de l’Etat, solidaire de toute mesure pouvant aider à la résolution de la crise du logement et dont l’influence se fait sentir à travers la maîtrise des structures de financement comme la CAF, le FNAH, la CDC, le CFF ... ou encore la réglementation.

Ce système tripartite (patronat, Etat, associations représentées en l’occurrence ici par le PACT) est une constante de l’intervention publique en direction des plus démunis. Le contexte d’urgence et des conceptions partagées quant au logement de ces populations amènent naturellement à souscrire à la division sociale de l’espace urbain lyonnais et à y conformer les choix de localisation et d’implantation. Ces conceptions sont globalement celle du PACT relative à l’habitat promotionnel et aux actions de resocialisation qui l’accompagnent. Elle permet de saisir le statut différentiel des espaces centraux et périphériques dans une acception homothétique de celles des populations ’normales’ et ’asociales’ : l’affinage du centre se fait, quel qu’en soit le motif apparent, en direction d’espaces particuliers dont le choix et l’occupation sont avalisés par l’ensemble des acteurs participant à ces opérations (accord tacite des municipalités, prêts et aides de l’Etat et du patronat...).

Le consensus autour de cette conception très largement partagée se raccorde avec la réalité du développement urbain dont la caractéristique centrifuge est une tendance lourde et inertielle, alimentée par l’ensemble des intervenants de la sphère du logement. Les populations ’victimes’ de ces pratiques font l’objet de cette gestion particulière. La veille sociale que pratique une certaine opinion publique est en réalité le seul garant des limites de cette prise en charge particulière qui est d’ailleurs loin d’être satisfaisante.

L’intervention d’acteurs spécialisés dans cette gestion des populations précaires est donc un élément de régulation fondamental qui remplit une triple dimension : socio-politique, symbolique et urbaine :

Cependant, les acteurs directement concernés par ce type d’offre sont les municipalités qui, dans le cadre de la conduite d’opérations d’aménagement nécessitant de lever des obstacles immobiliers, se retrouvent en devoir d’en reloger les occupants. Certaines entreprises notamment celles dont le personnel rencontre des difficultés de logement y sont également intéressées, d’autant plus qu’elles n’ont rien prévu et ne veulent pas non plus s’engager dans la construction ou la gestion de leurs propres structures d’hébergement. Quant à l’Etat, maître de la définition des politiques du logement, il ne peut que bien voir et encourager les mesures nouvelles tendant à alléger ses préoccupations en la matière.

Ces acteurs se rencontrent dans un contexte particulier caractérisé par une pénurie de logements, des difficultés d’approvisionnement en matériaux de construction et en main d’oeuvre, et une reconstruction sélective et homéopathique. Si l’initiative du PACT découle des mêmes constats, le développement de son action n’a pu se faire que dans une sorte d’accommodement avec les préoccupations des principaux acteurs intervenant dans ce domaine. Ces derniers trouvent dans l’association avec le PACT un moyen d’affichage politique au niveau local de leurs engagements. Dès le départ, le PACT condamne l’intervention directe de l’Etat dans la construction, la reconstruction ou la gestion de logements autres que ceux qui lui incombent : monuments publics, hôpitaux, ouvrages d’art, voies de communication, le logement de ses agents (police, armée, fonctionnaires... ). Au-delà, son rôle doit se limiter à inciter et à orienter l’initiative privée. La participation financière du patronat à la lutte contre la crise du logement mobilise les ressources habituelles : apports de capitaux, compléments d’emprunt, bonification de taux d’intérêt, fourniture de moyens matériels et techniques...

Ces positionnements sont valables dans le champ global de la production de logements. Le PACT intervenant quant à lui sur un secteur précis et limité à savoir le logement des populations démunies, doit conjuguer la mobilisation de ces divers moyens dans le respect des intérêts des autres et la poursuite de ses propres objectifs.

Notes
119.

Cf. P. Abramo, 1997.

120.

Quel rapport de ces revendications avec le combat qu’ils sont censés mener qui est proclamé dans le premier numéro de Terres et pierres ?