I- Les mesures générales de relance de la construction immobilière

La période qui suit la reconstruction est d’abord fortement marquée par les premiers fruits du Plan Courant, réforme fondamentale du début des années 1950 présentée comme la première tentative de définition d’une politique globale du logement et de développement de la construction neuve.

Cette politique procède d’une approche globale suivant trois directions principales : une politique foncière définie dans une première loi foncière (06 août 1953) qui élargit notamment les droits des pouvoirs publics en matière d’expropriation de sols destinés à la construction de logements économiques ; une politique financière visant à faire baisser le coût du logement par apport de capitaux nouveaux (généralisation du 1% logement) et par un soutien direct au secteur par des primes et des prêts du Crédit Foncier ; une politique industrielle et commerciale visant à rehausser la productivité du secteur du bâtiment à l’échelle des besoins (recherche de productivité à travers rationalisations, normalisations, modernisations, économies d’échelle, réorganisation des professions du secteur...) tout en gardant une certaine maîtrise du coût du logement.

Cette intervention des pouvoirs publics a permis d’accélérer la reprise de la construction notamment à travers l’institution du ’logéco’ dont le succès (1 million de logécos construits entre 1953 et 1963, année de la suppression de ce dispositif) a constitué une composante essentielle du décollage de la production immobilière.

Les mesures de relance qui vont porter la croissance immobilière pendant les ’20 glorieuses de la construction’ gravitent autour des grands textes marquant les principales étapes de la politique du logement entre 1955 et 1975.

Tout d’abord et dans la lignée du Plan Courant, une loi du 07 août 1957 dite ’loi cadre de la construction’ va tenter pour la deuxième fois de définir une politique globale du logement. Des dispositions générales tendant, dans le cadre d’un plan quinquennal (1957-1961), à faciliter la construction annuelle de 300 000 logements avec les équipements collectifs nécessaires y sont accompagnées de dispositions particulières quant au logement HLM, notamment en vue d’améliorer les conditions d’activité des organismes.

Le décret du 31 décembre 1958 portant création des ZUP (zones à urbaniser en priorité) précisera le cadre réglementaire de ces opérations. Le développement des grands ensembles dont la ZUP est le support réglementaire128 va demander, comme dans la première tentative de développement de la construction (cf. supra), une restructuration du secteur du bâtiment reprenant les mêmes thèmes de normalisation, industrialisation et standardisation.

Issue de la même loi-cadre et du décret du 31 décembre 1958, la procédure de rénovation urbaine apparaît comme l’alter ego de la ZUP pour les quartiers existants. Les opérations de rénovation ont cependant très rarement permis d’apporter même un semblant de solution à la crise du logement. Les immeubles de bureaux et de logements de standing qui en ont résulté ne relèvent en rien le bilan globalement négatif (déstructuration des tissus urbains et sociaux, déplacement des populations et ségrégation, gentryfication) et coûteux (spéculation, coûts financiers des expropriations, coûts de relogement des populations déplacées...) pour la collectivité de cette procédure.

Toutefois la politique des grands ensembles et des ZUP a permis à la production d’atteindre un rythme de croisière et d’atténuer la pénurie en logements. L’Etat tente dès lors de remettre entre les mains du secteur privé le financement du logement. Pour ce faire, des procédures sont mises en place tendant à faciliter le relais : circuits de collecte de l’épargne privée notamment à travers les Caisses d’Epargne, organisation du marché hypothécaire, mise en place en 1966 de la Caisse de prêt aux HLM (CPHLM), mise sous condition des prêts spéciaux... qui, en entérinant la débudgétisation des fonds de financement du logement, amorcent le désengagement réel de l’Etat.

La loi foncière du 30 décembre 1967 procède à un renouvellement des procédures opérationnelles (ZAC) et de planification urbaine (SDAU, POS). Elle vient entériner le mouvement de transfert de compétence vers le privé au travers de dispositifs réglementaires visant à trouver un ’compromis entre planification et marché’129.

L’augmentation de la production est continue et atteint des records dans la première moitié des années 1970 : ’durant la période 1970-1975, les records internationaux (de construction pour 1000 habitants) ont enfin été battus ; de l’avance a été prise par rapport aux «besoins» évalués pour le Ve Plan’130. La traduction en a été une amélioration très sensible des conditions de logement, dans un parc rajeuni et équipé des principaux éléments de confort.

Tableau 10 : Evolution des caractéristiques de confort du parc immobilier français 19461975.
1946 1954 1962 1968 1975
Rés. Ppales - en milliers- en % 13 052 (93.6%) 13 427 (93.2) 14 565 (88.8) 15 778
(86.4)
17 744
(84.2)
Logements vacants 668
(4.8)
535
(3.7)
854
(5.2)
1 223
(6.7)
1 634
(7.7)
Résidences secondaires 225
(1.6)
448
(3.1)
973
(5.9)
1 255
(6.9)
1 695
(8)
Total parc (milliers) 13 945
14 410
16 392
18 256
21 073
Nb pièces/logement 2.7 3.06 3.09 3.29 3.45
Nb personnes/logement 3.07 3.07 3.10 3.06 2.88
Eau courante (%) - 58.4 79.3 90.8 97.2
WC intérieurs (%) - 26.6 41.2 54.8 73.8
Installations sanitaires bains ou douches (%) - 10.4 30.3 47.5 70.3
Chauffage central (%) - 10.2 19.9 34.9 53.1
Source : Annuaire rétrospectif de la France. Séries longues 1948-1988, Insee, 1990 et RGP.

Cette période se clôt avec la remise en question de cette politique. Le rapport Consigny dans un premier temps puis celui de R. Lion sont le lieu d’une critique radicale notamment des effets d’une politique du logement social jugée non-sociale, cependant que la crise et l’inflation qui s’installent annoncent l’entrée du secteur du bâtiment dans une période de récession et de remises en cause.

Si ces données globales sont caractéristiques de l’évolution et des progrès réalisés, elles ne peuvent occulter l’émergence de nouvelles problématisations des rapports au logement et encore moins la persistance de la précarité des conditions de logement des plus démunis. On avait pourtant pris la mesure de ces enjeux dès la fin des années 1950, à travers diverses estimations et prévisions des besoins locaux.

Notes
128.

Cf. A-M. Fribourg, ’Evolution des politiques du logement depuis 1950’, in M. Segaud, C. Bonvalet, J. Brun, (ss. dir.), 1998, pp. 223-230.

129.

D. Petrequin, 1989, p.22

130.

D. Petrequin, op. cit., p.22