I- L’offre de solutions spécifiques 1954-1975

Le développement de ces solutions spécifiques s’inscrit dans un contexte social et économique en pleine mutation, il est principalement supporté par l’engagement de structures et d’acteurs porteurs de revendications et de pratiques spécifiques.

Dans le contexte libéral des années 1950, la production de logement relève essentiellement du privé même si l’intervention des pouvoirs publics est quelquefois nécessaire pour assurer au développement économique une certaine stabilité sociale (en facilitant par exemple le logement de la main d’oeuvre).

Cette intervention doit cependant rester provisoire et le financement du logement par le privé doit être rétabli dès que possible. Cependant, sous le coup de bouleversements structurels (exode rural, immigration, baby boom, urbanisation croissante) induisant une croissance et une modification de la demande notamment d’une demande non-solvable, l’intervention des pouvoirs publics, ’garants de la solidarité nationale’, va se maintenir et même se renforcer avant d’entamer un désengagement à partir du milieu des années 1960 et se replier sur certains domaines en particulier là où le marché ne permet pas d’assurer le logement des catégories les plus faibles de la population.

L’un des moyens pour atteindre cet objectif de ’logement pour tous’ est le soutien de l’ensemble du secteur de la construction. Dans le contexte de rigueur et de contraintes budgétaires, ce soutien se résumera cependant à la recherche de méthodes de rationalisation et d’utilisation optimale des ressources disponibles. Cela s’est traduit pratiquement par la recherche d’économie sur les coûts de construction : industrialisation, standardisation, rationalisation des chantiers, économies d’échelle par l’augmentation de la taille des chantiers...

En marge de ces orientations techniques, une des voies de cette recherche d’économie a été politique. Elle a consisté en la définition de programmes de logements économiques, destinés aux plus pauvres et aux populations exclues de l’accès au logement ordinaire. Le logement des plus pauvres est érigé en un produit-logement spécifique. Son élaboration comme objet à part entière des politiques publiques est sous-tendue par sa conception comme produit technique identifiable et répondant à des caractéristiques particulières autant qu’à une population et des objectifs clairement définis. Cette construction comme objet des politiques publiques résulte de la rencontre d’un mouvement social et d’une pratique institutionnelle.

Les mouvements revendicatifs populaires qui, depuis le début des années 1950, dénoncent dans le style des hygiénistes du 19ème siècle les conditions de logement des familles les plus démunies, vont plus loin et s’engagent dans l’intervention directe. Le mécontentement général se cristallise autour de l’Abbé Pierre et pousse les pouvoirs publics à s’engager. Pour cela, ces derniers ont besoin de délimiter au préalable de façon claire le problème notamment par la construction d’un objet autour duquel une pratique voire une politique spécifique pourraient être développées.

Le compromis entre d’une part la volonté et la nécessité des pouvoirs publics d’oeuvrer à la reconstruction du pays dont la lutte contre l’habitat défectueux est un des aspects importants dans le domaine du logement et d’autre part le mouvement social porteur des revendications de sans-logis et de mal logés, aboutit ainsi à la construction d’un objet politique, le logement des plus démunis. Celui-ci apparaît dès lors autant comme une réponse institutionnelle et politique qu’un projet d’intégration sociale dont les enjeux se cristallisent et s’expriment dans un premier temps dans la réglementation qui l’encadre. L’analyse de celle-ci permettra de relever la spécificité qu’ils traduisent et de dégager, de leur confrontation avec les réalisations sur le terrain, les modalités de la gestion locale du logement spécifique.