1- La subsistance des formes de logements précaires dans le parc lyonnais

En 1975, la lutte contre les bidonvilles et l’habitat insalubre est proclamée terminée, avec la résorption du dernier bidonville de l’agglomération, celui de Feyzin en 1973. Les résultats des efforts curatifs de résorption des îlots insalubres d’un côté et du développement de toute une activité d’offres spécifiques en marge de l’offre normale de l’autre, ont contribué à façonner tout au long des années 1960 un parc immobilier dont l’état en 1975 (cf. chapitre 2) a permis de mesurer le chemin parcouru et la réalité du logement des plus démunis au moment où se dessine un nouveau tournant dans les politiques publiques du logement.

Si l’amélioration des conditions de logement a été générale et d’une grande ampleur, il est cependant difficile de dire que l’agglomération lyonnaise a définitivement résolu ses problèmes de logement. Il reste en effet dans le parc immobilier de 1975 des éléments certes relativement peu importants mais significatifs de l’habitat insalubre.

La persistance de ces formes de logement précaires et l’aggravation des conditions d’occupation sont la contrepartie directe de l’absence de réponse à la demande non-solvable des sans-logis et mal logés.

D’autant que la vétusté en question est d’une certaine manière entretenue par le service logement de la COURLY qui refuse, à juste titre d’ailleurs, de procéder à la destruction des logements insalubres tant que des solutions de relogement ne sont pas trouvées.

Cette attitude a eu paradoxalement pour conséquence de favoriser le maintien du parc vétuste car lorsqu’une offre de relogement est proposée, elle est généralement rapidement occupée par une autre demande, latente ou suscitée, à laquelle des circonstances particulières peuvent donner la priorité.

En effet, les difficultés de relogement effectif des anciens occupants (refus de déménager, nouveaux loyers trop élevés, perte de repères...), la nécessité de prendre en compte les demandes provenant d’autres communes du fait de la gestion collective des demandes au niveau de l’agglomération... font que les occupants des logements vétustes ne peuvent tous trouver une solution dans les nouvelles offres de relogement. Pour une grande part d’entre eux, seul le maintien dans les anciennes constructions est envisageable, maintenant ainsi dans le paysage, à côté du parc de renouvellement, le parc ancien et vétuste qu’il était censé remplacer.

Le maintien, dans de telles conditions, des formes précaires d’habitat dont le bidonville était le représentant le plus typique, est en fait une réelle opportunité pour les plus pauvres et un élément de régulation pour le marché immobilier de l’agglomération.

En effet, la disparition physique des grands bidonvilles ne s’est pas toujours accompagnée de l’action ’positive’ d’amélioration et de mise aux normes du reste du parc. La subsistance de ces poches de pauvreté résidentielle laisse ouvert le dossier de la lutte contre les nouvelles formes de l’insalubrité dont la période à venir va se saisir dans le cadre notamment de la mise en place d’une politique de l’habitat ancien.

Si les indices de précarité des logements restent à des niveaux relativement bas, ils n’ont pour autant pas disparu et constituent une réponse à la demande très sociale qui ne trouve toujours pas à se loger ailleurs. C’est ce que la concentration, dans le centre de l’agglomération, des formes traditionnelles du logement spécifique (dont une manifestation est observable dans les logements non-ordinaires et les bâtiments de construction précaire ci-dessous analysés) tend à étayer.

Cet habitat précaire ne représente certes qu’une petite portion du parc, mais les indicateurs les plus banals tracent un décalage tel avec ce qui est devenu le quotidien, le logement ’normal’ de la majorité de la population, que cette situation ne peut être qualifiée que de marginale. Si cette dernière ne transparaît que difficilement des indicateurs statistiques globaux, inaptes à la saisir à un niveau d’approche trop général, deux indicateurs existants s’avèrent intéressants en plus du surpeuplement accentué : il s’agit d’une part de la qualification particulière de certaines constructions que l’on peut saisir dans la catégorie de ’logements non-ordinaires’ et, d’autre part, des constructions en matériaux précaires.

Les logements non-ordinaires regroupent les habitations de fortune, les constructions provisoires à usage d’habitation, les chambres meublées et les pièces indépendantes. Bien que comptés au titre des résidences principales, les logements ainsi qualifiés sont traités à part du fait de leur place particulière dans le marché du logement et de leur valeur indicative intrinsèque.

Ils correspondent en fait à cette portion du parc qui sert de dernier recours à une partie des besoins que la construction ordinaire ne peut satisfaire du fait de la qualité de la demande ou de la nature des demandeurs, à savoir les ménages les plus démunis ou les populations spécifiques.

La position de plancher dans la hiérarchie résidentielle de même que leur décompte en marge des logements ordinaires contiennent tout le décalage de ces logements par rapport au parc ’normal’ et le décalage de leurs occupants par rapport aux ménages ordinaires.

En 1975, cette forme précaire de logement constitue encore une offre de 6 494 logements (environ 1,7% du parc des résidences principales de la COURLY), principalement concentrés dans le centre de l’agglomération : Lyon avec 75% et Villeurbanne avec 10%. Dans la proche périphérie, seules les communes de Caluire (2%), Vénissieux (2%) et Bron (1,5%) en recensent une présence quantitative quelque peu significative, le reste étant dispersé selon un axe nord-sud.

Cette concentration est à l’image des premiers flux du développement urbain qui ont amené dans ces communes centrales une population migrante considérable, composée majoritairement d’ouvriers pour qui ces formes de logement ont constitué un mode d’accès et d’installation dans la ville. Leur maintien dans le parc immobilier est révélateur de la perdurance de tensions fortes sur le marché local.

A côté de ces logements non-ordinaires, il y a un segment du parc des logements ordinaires plus important quantitativement dont la précarité est inscrite dans la matérialité même : les logements précaires c’est-à-dire situés dans des immeubles dont le toit ou les murs sont en matériaux précaires. Même s’il s’agit là d’une mesure de l’état du gros oeuvre, qui ne préjuge en rien de l’état de confort et notamment de l’équipement des logements, ces éléments sont tout de même assez significatifs de la valeur patrimoniale d’un immeuble pour influer sur les investissements (entretien et équipement) que les propriétaires peuvent consentir à y engager. Ils sont aussi révélateurs d’un moment de l’histoire de la crise du logement où la pénurie de moyens, de matériaux autant que de main d’oeuvre et l’urgence des besoins ont amené à parer au plus pressé, tolérant voire encourageant quelquefois l’usage de matériaux précaires dans la construction.

Représentant près de 8% du parc de résidences principales de l’agglomération, les 30 650 logements recensés à ce titre en 1975 occupent le niveau immédiatement supérieur aux habitations de fortune ci-dessus mentionnées. Ils sont cependant beaucoup moins concentrés que ces dernières même si les deux communes centrales se distinguent là aussi avec 27% de ces logements pour Lyon et 13% pour Villeurbanne. En dehors de celles-ci, les 53 communes de l’agglomération se partagent les 60% restants. Là aussi la tendance est à une présence relativement forte en fonction de la proximité du centre.

La localisation de ces logements semble complémentaire de celle des logements non-ordinaires avec une présence principalement dans la deuxième couronne de l’agglomération et les communes du nord-est. Même si les situations objectives rapprochent ces deux volets du parc dans leur rôle de soupape et de recours pour une certaine demande et bien qu’une certaine complémentarité spatiale se dégage de leurs localisations respectives, il serait hasardeux d’en déduire une tendance quelconque de quadrillage de l’espace urbain par ce type d’offre.

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Figure n°31 : Logements non ordinaires et constructions en matériaux précaires dans le parc de résidences principales en 1975

Source : RGP

L’importance de ce parc inconfortable est reconnue dans le rapport Nora-Eveno qui note en outre que ce parc constitue un des principaux modes d’accès au logement des populations les plus démunies. La politique d’amélioration que les rapporteurs préconisent dans le cadre d’une véritable politique de réhabilitation de l’habitat ancien s’appliquerait donc en priorité à ces populations défavorisées mal logées. De telles politiques ne peuvent permettre d’améliorer leurs conditions de logement que dans la mesure où elles transforment l’habitat ancien qui les accueille en en maîtrisant, à la sortie, les conditions d’attribution.

Intervenant dans la continuité et en complément des mesures antérieures de lutte contre cette forme de mal logement que constitue le logement insalubre, ces politiques ne pourront prétendre à une quelconque efficacité que dans la mesure où se développe l’accès au parc social des ménages qui seront évincés du fait des opérations de réhabilitation (qui vont accentuer d’une manière ou d’une autre la pression de la demande car elles contribuent à restreindre l’offre), à moins de maintenir voire développer une offre spécifique conséquente destinée à ces populations.