Conclusion : Crise de la ville et émergence symbolique du droit au logement

Le contexte national de crise qui, depuis le milieu des années 70, avive les tensions sur le parc du logement notamment social (par un double mouvement de baisse des pouvoirs d’achat et de hausse des coûts de construction), trouve dans le contexte lyonnais une bonne illustration. Dans une situation de marché tendu, l’augmentation constante de la demande face aux capacités limitées du parc s’est en effet traduite par la montée des exclusions du logement. En effet, le rythme de croissance du parc social de la Courly n’a cessé de baisser pour se situer à moins de 2% en 1990. Baisse de la construction mais également baisse des taux de rotation et du taux de vacance (mouvement de vacance pour absence de candidat) concourent à limiter l’accès des populations en difficulté.

D’autant que les impératifs d’équilibre de gestion tendent à supplanter les missions sociales des organismes. Equilibre de gestion mais aussi souci d’un équilibre de peuplement qui ferme quelque peu l’accès des populations défavorisées à d’autres franges importantes du parc (le parc le plus ancien qui est aussi le plus accessible) au motif des risques d’aggravation des difficultés de fonctionnement qui y sont observées. Dans le même temps les indicateurs de précarité n’ont cessé de s’amplifier et d’alimenter la demande très sociale.

Seulement six mois après l’institution du RMI, plus de 5 000 attributions avaient déjà été effectuées dans le Rhône. Les augmentations du taux du chômage, du nombre d’allocataires de diverses aides relevant de situations de grande précarité (API, ASF, ressources faibles et aléatoires, déstructuration familiale...) ne trouvent pas dans le fonctionnement normal du marché immobilier de réponses adaptées à leurs besoins. Aussi les acteurs locaux aussi bien politiques qu’institutionnels ou associatifs ont-ils été amenés à engager des actions en faveur des personnes défavorisées, dans deux directions successives.

D’une part il s’est développé, dans la première moitié de la décennie 1980, une pratique d’expérimentation de solutions spécifiques dans la lignée des programmes d’habitat spécifique mis en place durant les trente glorieuses et par la suite, on a assisté à la mise en place de dispositifs d’aide à l’accès et au maintien dans le logement. L’abandon progressif de l’offre spécifique au profit des mesures d’aide traduit une évolution générale des attitudes face à la problématique du logement des plus démunis qui s’inscrit dans un mouvement plus général d’évolution des conceptions relatives à l’adaptation du logement à ses bénéficiaires dont les extrêmes traduisent d’un côté le projet de resocialisation de populations considérées comme socialement handicapées à travers un parcours initiatique conduisant à bonne intégration dans la société et de l’autre la reconnaissance de la nécessité d’adapter les modalités de fonctionnement d’un marché pas comme les autres aux conséquences humaines et sociales d’un développement économique dont tout le monde ne peut participer ni profiter.

Finalement, ni l’offre spécifique ni les dispositifs d’aide n’auront donné des résultats à la mesure des enjeux. Aussi peut-on affirmer que cette troisième phase de notre périodisation aura été celle d’une occultation, initiée par la volonté de la réforme de 1977 de faire disparaître les financements spécifiques dans le logement social afin de proposer un logement unique et de qualité pour tous, et confirmée par un traitement à la marge dans la posture généralement libérale adoptée par la politique du logement depuis lors. Le décalage entre les discours, nombreux, et les engagements, timides, est à l’image des diverses expérimentations (ULP, pavillons spécifiques...) et des dispositifs (FAIL, FARG, sous-location...) qui ont peu perturbé les transformations de Lyon dans la construction de son image de métropole internationale. Ils ont par contre permis aux acteurs, en particulier du milieu associatif, de s’initier à la culture du travail partenarial dont l’absence avait causé la faillite de la plupart des initiatives antérieures en matière de logement des plus démunis.

C’est dans le cadre de cet engagement partenarial que se sont forgés les instruments et surtout une conception commune du droit au logement pour tous, encore revendiqué par l’ensemble des acteurs sans que les modalités de sa mise en oeuvre ne fassent l’objet d’un consensus. En effet, les difficultés objectives tenant aux moyens financiers, juridiques, politiques...sont sous-tendues par des divergences encore plus fondamentales relevant des pratiques et des conceptions de ces mêmes acteurs par rapport au logement des plus démunis.

Ces divergences renvoient à des précédents et posent la question du positionnement des acteurs, individuellement et collectivement comme système, dans un débat historique sur la nature du logement adapté aux populations les plus défavorisées. L’émergence de ce débat dans l’espace politique peut être imputée pour partie au milieu associatif d’obédience chrétienne dont les prises de position et les dénonciations des scandales liés à la crise du logement, avec comme référence la figure de l’Abbé Pierre, vont obliger les pouvoirs publics à s’engager avec eux sur ce chantier du logement des plus démunis.

Si les faits sous-jacents à de telles prises de position ont été observés de tout temps dans les grandes agglomérations urbaines, c’est bien dans le tournant des années 1950 que s’institutionnalise le débat avec la mise en place de structures d’observations et d’analyse des situations des mal logés chargées d’élaborer et de proposer des solutions. Ce n’est en fait pas tant le développement de ces structures que les conceptions développées sur ce thème par elles qui vont constituer la matrice ou la référence de toutes les prises de position ultérieures sur la question.

Ces conceptions générales avaient, pour conforter cette position de référence, non seulement la légitimité institutionnelle d’émaner généralement d’institutions publiques ou d’avoir été élaborées à la demande (et sous commande) de celles-ci, mais plus simplement celle de proposer une interprétation en l’absence de toute alternative conceptuelle. Dans un système administratif centralisé et hiérarchisé, la reprise en cascade descendante des constructions intellectuelles de l’Etat central fut le gage d’une certaine cohérence formelle voire d’une uniformité dans l’appréhension de problématiques pourtant fortement territorialisées et localisées, que d’aucuns considéraient comme un garant de l’efficacité de l’action publique.

En ce sens, l’efficacité de l’action publique a été d’abord normative avec une réglementation abondante dont les variations reflètent fidèlement les évolutions des conceptions sous-jacentes. Si celles-ci combinent toujours le produit-logement aux caractéristiques des populations destinataires (bénéficiaires), le changement de primauté accordée à l’un ou l’autre de ces éléments apparaît comme le moment terminal d’une phase de remise en cause, de changements, de prise de conscience...des différents acteurs concernés par la problématique du logement des plus démunis. Alimentées généralement par les pratiques des acteurs de terrain, ces conceptions en reflètent assez logiquement les préoccupations plus pragmatiques que théoriques. L’échec des modèles analysés plus haut impose de revenir aux fondements ’conceptuels’ ou ’idéologiques’, en tout cas justificateurs des pratiques et de l’attitude du système d’action mobilisé autour de cette problématique durant ces quatre décennies.