Chapitre IV : EVOLUTION DES CONCEPTIONS DU LOGEMENT ADAPTE ET ANALYSE DES PRODUITS-LOGEMENTS

A la fin de ce panorama des avatars du logement spécifique développés depuis près d’un demi-siècle, il apparaît nécessaire de tenter un survol analytique de l’évolution des réflexions et conceptions fondatrices de cette offre spécifique et de la manière dont les acteurs les ont mobilisées et traduites dans leurs pratiques.

La question qui se pose est de savoir comment s’est développée l’idée d’une segmentation de la production en différents types de produits en fonction des populations destinataires et en particulier la conception d’un habitat spécifique, destiné dans un premier temps à apporter une solution provisoire, dans un contexte de crise et de pénurie et qu’une récurrence tout au long des 30 glorieuses et jusque dans les années 90 permet d’inscrire comme une composante structurelle de l’action publique dans le domaine du logement208 ?

Le rapprochement avec les voies qu’emprunte aujourd’hui la recherche de l’adaptation du logement aux populations défavorisées permet de situer les enjeux actuels au regard d’une histoire qui n’a jamais réellement capitalisé ses expérimentations ni même fait le point de ses balbutiements et de ses erreurs. Les bégaiements dont l’histoire fait souvent preuve doivent en effet être mis en lumière pour que les leçons de l’expérience éclairent les orientations actuelles : réfléchir aux conditions de production d’une offre spécifique qui réalise des objectifs de promotion et d’insertion sans dysfonctionnements urbains majeurs implique de procéder à une analyse rétrospective des conditions générales qui ont entouré l’émergence de l’offre antérieurement produite.

Une telle approche doit prendre en compte, au-delà de l’activité intrinsèque de conception des produits-logements spécifiques, le travail social de validation de cette production spécifique (MOUS, accompagnement social, suivi... en complément de la production et pour en valider les effets) et le travail institutionnel de validation sociale des pratiques développées (recherche d’une reconnaissance de l’utilité de cette action, son caractère ’philanthropique’, si ce n’est de l’utilité des acteurs-producteurs) comme les trois phases d’un même processus de consolidation de la posture institutionnelle face aux problèmes des plus démunis, avec à chaque fois une incise entre ces phases constituant le moment de la mise en pratique des conceptions développées.

La difficulté à saisir dans le même mouvement d’analyse le développement des conceptions du logement spécifique et leur traduction dans une offre réelle résulte du décalage existant entre les textes et leur mise en pratique et qui reste profondément inscrit dans les modes d’intervention des pouvoirs publics.

Aussi allons-nous dans un premier temps procéder à un survol de l’évolution des conceptions générales relatives aux populations défavorisées et à leurs logements, conceptions généralement développées puis mises en oeuvre par des institutions publiques ou philanthropiques. Nous tenterons dans le même temps de saisir les différentes catégories de produits-logements spécifiques issus de ces pratiques dans une perspective non pas rigoureusement chronologique (car dans une même période, différentes formes peuvent coexister, certaines perdurer et d’autres tendre à disparaître) mais plutôt typologique, distinguant entre les formes traditionnelles et anciennes et les formes institutionnelles plus ou moins récentes.

Dans un deuxième temps nous rechercherons dans l’espace urbain lyonnais les modes de transcription de cette offre spécifique articulés aux modalités de définition des trajectoires résidentielles des groupes en difficulté.

Enfin, nous essayerons de dégager, à partir des observations précédentes générales et locales, des éléments permettant d’appréhender globalement les principes d’une dynamique des espaces ségrégés.

Notes
208.

L’évolution générale de cette période est bien retracée dans Bachman C., Leguennec N., 1996