Section I : Conceptions du logement spécifique
et analyse des produits-logements

La conception du logement spécifique repose sur une vision unificatrice des populations démunies, vision sommaire et subjective les réduisant à un mode de vie en marge de la société, rapidement qualifié d’inadapté. Malgré les nombreuses études démontrant la diversité de ces populations, la persistance de cette vision unifiante dans les modes d’intervention et les analyses institutionnelles est un fait. De même, l’appréhension du logement spécifique se focalise, malgré la forte segmentation en sous-marchés interdépendants qui régit les marchés locaux du logement, sur les éléments extrêmes, les archétypes symboliques de l’ensemble de la chaîne occupée par les populations les plus démunies.

Si en effet dans leur diversité, les types de logement peuvent généralement être regroupés suivant des critères objectifs comme leur mode de financement, leur statut et leur destination, leur rôle et leur fonction dans le parc local..., le logement spécifique n’est, quant à lui, ainsi catégorisé qu’au seul regard des caractéristiques des populations qui l’occupent et dont la diversité socio-économique est en général ramenée aux aspects sociaux les plus visibles. Outre la faiblesse des ressources que l’on ne peut appréhender que grossièrement à travers des catégories socioprofessionnelles plus ou moins floues ou la place dans le procès de production (qui d’ailleurs recouvre une deuxième caractéristique fondamentale à savoir la forte composante immigrée de cette population), tous les autres modes de caractérisation relèvent d’aspects sociaux que la visibilité et le traitement institutionnels ont justement largement contribué à diffuser y compris en l’imposant dans la plupart des cas ; la prise en charge par les services sociaux étant généralement conditionnelle de l’accès au logement spécifique.

Par ailleurs, si l’on considère a priori non pas le type de population mais les caractéristiques intrinsèques des logements, cette catégorie révèle une multitude de situations. Quoi de commun en effet entre des taudis du centre ville, des foyers de travailleurs étrangers, des cités de transit, des meublés et autres centres d’hébergement ou encore des logements d’insertion ou adaptés ? Il s’agit pourtant de tout cela quand on parle du logement des populations défavorisées. Une des questions incidente à ce constat est celle des fondements de tels regroupements et agrégations entraînant une uniformisation des modes de faire (consensus, stratégies, rapports de force ou contingences ?) en décalage constant avec la réalité des populations.

Quels sont l’utilité sociale et les ressorts politiques d’une telle posture ?

Saisir dans ce décalage des éléments fondateurs d’une véritable politique du logement en faveur des plus défavorisés209 qui ne relèverait plus de réponses ponctuelles (le phénomène de l’exclusion, notamment par le logement, ayant toujours été une donnée structurelle dans la société française) renvoie à des considérations d’ordre général sur la politique du logement social qui dépassent le strict cadre d’étude du logement spécialisé. D’où la nécessité de recentrer ces considérations sur la production spécifique à partir d’une réflexion sur la problématique de l’adaptation du logement.

Cette problématique apparaît comme le pendant théorique qui a accompagné (et parfois précédé) les orientations en matière de logement social, sous des acceptions et des dénominations certes différentes, mais avec toujours le même objectif de formuler les modalités d’adaptation de l’offre à une demande ’très sociale’. L’évolution de la conception est de ce fait fortement liée à celle du statut et des représentations des populations ciblées. Quant aux évolutions techniques et institutionnelles, elles en sont la traduction plus ou moins immédiate dans les modes de production et leur encadrement réglementaire et administratif.

Notes
209.

comme le suggère le sous-titre de Ballain R., Benguigui F., 1995, Loger les personnes défavorisées. Une politique publique sous le regard des chercheurs