Deuxième partie : NOUVEAUX ENJEUX ET REFORMULATION DES POLITIQUES DE L’HABITAT DANS LES ANNEES 1990.PRODUCTION DE LOGEMENTS TRES SOCIAUX ET PRATIQUES D’ACTEURS DANS L’AGGLOMERATION LYONNAISE.

‘’Actuellement, les mesures tendant à remédier à des difficultés exceptionnelles de logement telles qu’elles sont réunies sous le livre VI des parties législatives et réglementaires du présent code, ne présentent plus qu’un intérêt secondaire, la grave crise du logement qui en avait été la source étant résorbée ou à tout le moins très fortement atténuée. Elles n’en constituent pas moins encore un arsenal (services municipaux de logement, interdiction de transformations, réquisitions et logement d’office) dans lequel les pouvoirs publics pourraient puiser, suivant les circonstances, pour faire face à des situations de crise temporaire’271 ’ pouvait-on lire dans le code de la construction et de l’habitation en 1982. Une loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement dite loi Besson est pourtant votée en 1990, suivie un an plus tard par une autre de portée plus générale, la loi d’orientation sur la ville dite loi anti-ghetto.

Ces deux textes majeurs apparaissent comme une réponse quelque peu tardive à une question posée vingt ans plus tôt par une des commissions du VIème Plan : ‘’chaque ville a ses bidonvilles ou ses micro-bidonvilles, ses hôtels meublés et ses immeubles en arrêté de péril ou sur le point de l’être. En sera-t-il encore de même dans vingt ans lorsque le nombre de travailleurs migrants se sera accru pour les besoins de l’économie, que la proportion des personnes âgées se sera élevée à l’intérieur de la population française, que les logements dits ’de transit’ dont la longévité semble, paradoxalement, en bien des cas sans limite, se seront encore plus détériorés, et que la croissance urbaine refoulera encore plus loin les groupes qu’elle ne sait comment intégrer ? ’272

Il faut croire que la crise qui touche le logement des populations défavorisées, longtemps affichée par les pouvoirs publics comme temporaire, voit son caractère structurel désormais reconnu : la nécessité d’aller au-delà des mesures ponctuelles explique l’adoption d’une loi de cadrage et de refondation des principes et des modes d’intervention des acteurs intervenant dans la politique du logement.

Dans l’agglomération lyonnaise, la tradition locale de mobilisation a anticipé les événements. En 1989 en effet, six associations tirent la sonnette d’alarme et attirent l’attention des pouvoirs publics sur le problème du logement des plus démunis. L’ALPIL, l’avdl, atd-quart Monde, le Foyer NDSA, Habitat et Humanisme et Régie Nouvelle proposent une plate-forme commune plaçant le droit au logement parmi les droits de l’homme. Ce groupement d’associations demande la publication d’un contrat cadre signé avec les pouvoirs publics, les maîtres d’ouvrage privés et sociaux et fixant les modalités d’une autre politique. Elles définissent pour ce faire quatre priorités qui doivent conduire à une prise en compte réelle du problème du logement des plus démunis et vers une mise en oeuvre réelle du droit au logement qui les motive toutes : une politique de préemption pour le maintien de l’habitat social en ville, le refus de toute expulsion sans proposition de relogement, l’élargissement des fonds d’aide existants aux personnes en situation d’exclusion du logement et enfin la réservation de 15% des surfaces libérées par les permis de démolition au relogement des familles modestes.

Après le vote de la loi Besson, qui est apparue pour beaucoup comme la reconnaissance et l’institutionnalisation de revendications exprimées et de pratiques expérimentées sur les terrains locaux, c’est l’ensemble du système, autant les acteurs que les dispositifs qu’ils mobilisent, qui se trouve pris dans un cadre réglementaire plus cohérent et homogène et doté de moyens nouveaux et conséquents ; l’objectif n’étant plus d’affirmer le droit au logement mais de travailler à sa mise en oeuvre.

Les dynamiques urbaines de l’agglomération lyonnaise depuis 50 ans avaient conduit (cf. première partie) à la relégation des populations défavorisées sur les espaces les plus dévalorisés, le plus souvent dans un mouvement de rejet à la périphérie qui a suivi les vagues du desserrement urbain. A partir du début des années 1990, le projet social qui sous-tend la politique du logement des populations défavorisées pose, à la différence des orientations des années 50-60, le retour au centre de ces populations comme préalable à la réussite de leur insertion sociale. Il sera suivi d’ailleurs sur cette voie par la plupart des bailleurs sociaux dont il entérine plus ou moins bien les stratégies de ’recentralisation’ adoptées depuis la crise des parcs périphériques.

Si la surdétermination273 des choix des opérateurs renvoie à première vue à des éléments structurels de l’environnement urbain immédiat, ces choix n’en sont pas moins encadrés par les dispositions inscrites par le législateur dans la loi. Aussi nous semble-t-il judicieux de procéder à l’analyse des caractéristiques générales de ce texte pour en apprécier les retombées locales, dans un premier temps en termes de renouvellement de l’offre de logement adapté (chapitre 5) et, dans deuxième temps, en termes de renouvellement des pratiques et des conceptions des acteurs voire du fonctionnement même du système d’acteurs en charge de cette question du logement des plus défavorisés (chapitre 6).  

Notes
271.

J. Hugot , D. Lepeltier, 1982, p.343

272.

Rapport des commissions du 6ème Plan 1971-1975, Paris, La Documentation Française, 1971, rapport ’Long terme’, p.125

273.

cf. Y. Crozet, ’Les Minguettes ou l’analyse de la rationalité des choix en matière d’urbanisme’, Sociologie du travail n°3-87, pp.267-288