Encore un peu d’histoire...

La politique du logement social dans laquelle s’inscrit la loi Besson trouve ses racines dans la mise en place, au début du siècle, du système HBM qui, de la loi Siegfried (1894) à la loi Bonnevay (1912) qui crée les offices publics d’HBM, met en place l’ensemble du dispositif sur lequel l’Etat va fonder son intervention. L’action de l’Etat va consister principalement dans l’entre-deux-guerres à gérer et à surveiller les loyers d’une part (mesures de blocages des loyers) et d’autre part à intervenir directement dans le financement du logement notamment par la loi Loucheur (1928) qui, d’un programme ambitieux de 500 000 logements, se voit progressivement édulcorée pour ne se situer qu’autour de 90 000 logements en 1935.

La loi du 1er septembre 1948 qui permet le déblocage des loyers administrés sous condition de mise au confort des logements par les propriétaires, institue en parallèle une allocation de logement familiale pour limiter les effets de la libération des loyers pour certaines familles. Les besoins immenses, consécutifs aux dégâts de la guerre et l’incapacité du secteur privé de les satisfaire fondent l’intervention massive de l’Etat qui, par la mise en place de systèmes de financements avantageux, le développement des constructions collectives et des formes de copropriétés... va permettre un effort de construction sans précédent.

Cette construction va comporter une double filière de logements : une construction neuve pour satisfaire la demande solvable et une filière de logements adaptés, assistés, de HLM à normes réduites (dès 1953 lancement de la construction d’un million de Logéco bénéficiant d’un système de primes ; LOPOFA-logements populaires et familiaux- à partir des années 1958 ; IST -immeubles sociaux de transition- à partir des années 1960 ; PSR -programmes sociaux de relogement- à partir des années 1961...). A ceux-ci s’ajoutent les cités de transit, qui, en plus du logement ’offrent’ une prise en charge sociale de la personne ; les foyers SONACOTRA pour les travailleurs étrangers. Ces différentes formes de logements participent pleinement de la politique du logement, dans la continuité des efforts de reconstruction.

Le lancement des ZUP (zone à urbaniser en priorité) permet d’articuler la production de logements avec une mesure d’urbanisme opérationnel. Le rythme de la construction en progression atteint 550 000 logements en 1972-1973 pour se ralentir plus ou moins rapidement. Mais dès 1968, le lancement des ’Villes nouvelles’ constitue un contrepoint à la construction des grands ensembles, définitivement abandonnée quelques années plus tard.

La crise quantitative du logement passée, les commissions Nora-Eveno sur la réhabilitation et Barre sur le financement du logement plaident pour la réorientation des aides de l’Etat du logement vers d’autres secteurs et aboutissent en 1977 à une réforme du financement du logement qui passe d’un système d’aide à la pierre (soutien de la construction), à un système d’aide à la personne (soutien de la demande la moins solvable). Les instruments mis en place (PLA, PALULOS, PAP pour le financement et APL pour la solvabilisation des ménages) sont ceux qui régissent encore aujourd’hui le système.

Ce désengagement entraîne une baisse du nombre de logements construits alors qu’on assiste à une augmentation de la demande, notamment de logements sociaux. Les modifications de la structure du parc (baisse de l’accession sociale neuve, report sur le marché de l’occasion, baisse du parc locatif privé et particulièrement de son segment social de fait...), la conjoncture économique (crise économique induisant des attitudes d’attentes et bloquant l’accession, entraînant une baisse de la mobilité dans le parc HLM, le parc privé restant inaccessible pour beaucoup...) mettent à mal le modèle de la mobilité générale des trajectoires résidentielles qui devait assurer une certaine fluidité du parc275.

L’Etat qui organisait et orientait l’offre par son intervention dans le financement, ne peut guère, depuis la réforme de 1977 qu’essayer de corriger les effets de la crise, notamment par la mise en oeuvre de politiques de régulation sociale développées dans les années 1980 dont la loi Besson est une des dernières manifestations. La politique de logement d’insertion apparaît dans cette perspective comme ayant des antécédents (cf. les Lopofa, IST, PSR...) dans le cadre des politiques menées depuis la guerre.

Ainsi ce rappel, ponctué par les interventions plus ou moins importantes de l’Etat, montre l’orientation générale de l’évolution de la politique du logement social en France que F. Aballéa résume dans le passage ’d’une politique de construction à une politique de gestion du patrimoine d’une part, d’une politique d’accompagnement économique de la construction à une politique de régulation sociale des effets de crise d’autre part’276.

Cette évolution laisse entrevoir depuis longtemps des velléités d’instauration d’un droit au logement qui ne trouvera les moyens réglementaires et opérationnels de son expression qu’en 1990 avec la loi Besson. La question du droit au logement est en effet une question ancienne, nombre de fois abordée mais jamais réellement mise en oeuvre faute d’outils opérationnels.

A partir de la guerre, on peut distinguer trois grandes périodes dans la posture des pouvoirs publics face à cette question du droit au logement : la reconstruction et les trente glorieuses, la crise et l’émergence de la politique de la ville (à partir de la réforme du logement de 1977) et enfin l’institutionnalisation du droit au logement (à partir de la fin des années 80).

Les 30 glorieuses : Dans le préambule à la Constitution de 1946, le droit au logement apparaît dans la liste des droits fondamentaux. Pourtant son inscription dans un texte réglementaire devra attendre près d’un demi-siècle. Entre temps, il a souvent été assimilé ou plus exactement réduit au droit à un toit, et encore, ceux qui en ont toujours eu le plus besoin n’ont jamais réellement pu le mobiliser.

Ainsi, la loi du 1er septembre 1948, quand elle autorise le déblocage des loyers administrés, instaure dans le même temps un droit de maintien dans les lieux pour les locataires. Cette ’amorce’ est restée isolée car ni les mesures d’urgences, ponctuelles, des années 1950, répondant aux problèmes des sans-abri, ni les mesures spécifiques d’amélioration des conditions des mal-logés ne s’inscrivent dans une démarche de réglementation durable du rapport au logement. Il s’agit d’apporter des réponses ponctuelles à des situations spécifiques, au cas par cas.

Par ailleurs, la remise en cause, dès le début des années 1960, des interventions de l’Etat dans le domaine du logement, qui se traduit par son désengagement du financement au profit du secteur privé et bancaire, et le niveau alors assez élevé de la production font que le droit au logement n’est plus une question d’actualité.

La période 1975-1990 : Cette période se situe entre deux périodes de promotion des productions spécifiques : les 30 glorieuses, qui ont vu la naissance et le développement de nombreux types de logements spécifiques et les années 90 qui verront apparaître de nouveaux outils d’offre spécifique. Pourtant, cette période intermédiaire qui ne propose aucune production spécifique de logement pour les plus démunis a vu, elle aussi, s’exacerber les tensions sur les marchés immobiliers et se dégrader les conditions de logement et d’accessibilité des plus démunis à un toit.

En effet, c’est au moment où Lenoir publie son plaidoyer277, juste après les grandes déclarations de Vancouver (Habitat I) et dans la lignée des travaux des différentes commissions du Commissariat général au Plan, que l’on assiste à la mise en place d’une réforme fondamentale du financement du logement social (1977) qui consacre un modèle de régulation globale par le marché. La faillite très rapide de ce modèle va non seulement obliger à consentir un effort de plus en plus important à la solvabilisation des ménages par des mesures nombreuses et variées, mais également, face à l’accroissement des phénomènes d’exclusion que la logique de marché ne peut qu’aggraver, à jeter les bases réglementaires d’un traitement approprié de la question. Celle-ci ne relève en effet plus d’aléas (destructions de guerre, sinistres naturels...) mais présente un caractère bel et bien structurel. Aussi, diverses mesures prises dans les années 1980 dans ce cadre peuvent-elles être interprétées comme allant dans le sens de l’affirmation d’un droit au logement.

Ainsi la création des FAIL (fonds d’aide aux impayés de loyers) et des FARG (fonds d’aide de relogement et de garantie) dans les années 1982-83 participe de la solvabilisation par l’octroi de prêts ou de cautions aux ménages en difficultés. De même la loi Quillot du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs traduit ’le souci du législateur de garantir le droit au logement pour des locataires du secteur privé comme du secteur HLM, confrontés à la hausse régulière des loyers et à l’insécurité de leur statut d’occupation’278. Modifiée en 1986 par la loi Méhaignerie, elle est réintroduite par la loi Mermaz du 6 juillet 1989. Même si ce souci parait quelque peu sujet aux variations politiques, le caractère désormais structurel de son objet l’installe plus ou moins solidement dans un cadre réglementaire.

Une des caractéristiques de ce cadre réglementaire basé sur les principes de la réforme de 1977 est de tenter de mettre un terme à la prolifération des types de logements spécifiques adossés à des financements spécifiques. En effet, l’unification des divers financements existants en faveur du logement locatif social en un seul, le PLA, devait non seulement permettre de rehausser la qualité générale du parc par l’unification des types d’habitat social dont le financement était adossé aux normes, mais en plus, la mise en place d’une solvabilisation par l’APL devait en faciliter l’accès à tous.

Parallèlement, les autres instruments de cette politique notamment la relance de l’accession à la propriété, devaient fluidifier le marché du logement social. En somme, il s’agissait de remettre en marche l’ascenseur social et de réactiver le modèle résidentiel promotionnel en attaquant le problème à la source : c’est en inscrivant les populations démunies dans les circuits de la croissance et de la mobilité socio-économique globale, qui sous-tendent la mobilité et l’ascension socio-résidentielle, que l’on pourra progressivement mettre un terme à ce type d’exclusion.

En fait, ce modèle de promotion socio-résidentielle n’est pas seulement stoppé, il n’a jamais réellement existé pour ces populations. Et la réforme de 1977, en se basant exclusivement sur cette promotion comme postulat fondamental de la politique du logement, condamnait donc à rechercher par des voies autres que l’intervention publique les solutions au logement des populations défavorisées. En effet les parcs de logements n’y répondaient ni dans leur structure (le parc privé ancien, social et même très social de fait, se réduisant de manière importante), ni même dans l’évolution de leur occupation (le ralentissement de l’ascenseur social et les premiers effets de la crise bloquant l’accès au parc social).

Il y a donc un double mouvement qui fait que d’une part le parc privé à vocation sociale se réduit et porte l’alternative sur le logement social de droit, alors même que d’autre part celui-ci se renferme (faiblesse des rotations bloquant l’accès) et que l’aide à la pierre (donc les perspectives d’offre nouvelle) s’amenuise. Par ailleurs, l’aide à la personne censée solvabiliser les populations les plus en difficulté est soumise à des critères de logement telles que peu de logements du parc privé social de fait en bénéficient279.

Face à cette double restriction, deux cas de figures se présentent, l’une passive et l’autre active. Dans le premier cas il s’agit d’un statu quo : on laisse faire le marché et on solvabilise ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire ceux qui s’inscrivent dans les circuits du logement ’normal’ ; ce qui favorise l’activité des marchands de sommeil vers qui se tourneront tous ceux qui ne peuvent s’inscrire dans ces dispositifs officiels. Dans le second cas, il s’organise une sorte de lutte pour l’accès au logement qui va être menée principalement par des porte-parole essentiellement du mouvement social (mouvements associatif, religieux, caritatif...) avec aussi quelques relais politiques. Malgré cela et ’contrairement à d’autres droits sociaux issus des valeurs républicaines, le droit au logement n’était jusqu’à une période récente, affirmé dans aucun texte constitutionnel ’280.

Les années 90 : Visant explicitement à sa mise en oeuvre, la loi Besson constitue la véritable institutionnalisation du droit au logement. Par sa pérennité et son opérationnalité depuis 1990, cette nouvelle loi se présente d’une part comme réalisant une synthèse des mesures et des réflexions antérieures et d’autre part comme un nouveau repère dans la politique en faveur des personnes défavorisées, sur la voie d’un droit au logement effectif car ’il ne s’agit plus seulement d’afficher le caractère fondamental du droit au logement mais de le garantir par la mise en oeuvre de moyens appropriés.’281.

Pour cela, la loi Besson, prise dans l’ensemble des dispositifs élaborés dans les années 1980, s’appuie sur la présence sur le terrain d’initiatives locales et de savoir-faire. Elle opère une restructuration de l’action dans une tentative de mise en cohérence et d’intégration de l’action sociale et du logement, c’est-à-dire une approche globale et intégrée. L’objectif est de répondre aux besoins en logements des plus démunis par la mobilisation de différentes mesures : mobilisation de l’offre immobilière, de nouveaux modes de gestion relevant de savoir-faire locaux notamment associatifs, de fonds de solidarité existants... Il y a ainsi une reprise de l’action publique d’offre de logements spécifiques dans la l’esprit (la continuité) de ce qui avait existé avant la réforme de 1977.

Cette mobilisation va aboutir à une reprise de mesures spécifiques dans le domaine du logement en faveur des plus démunis avec comme principales mesures le PST en 1989, la loi Besson en 1990, la LOV en 1991, la loi Habitat en 1994, des outils financiers et juridiques comme le PST, le PLAi et le PLA-TS permettant le développement d’une offre nouvelle, des outils de gestion du peuplement (POPS, RDA...) à coté des outils de maintien dans le parc (garanties, accompagnement social, FSL...).

Le nouvel instrument politique de régulation de cet ensemble de mesures est le PDALPD, qui s’inscrit dans un ensemble de dispositifs de régulation de la politique de l’habitat piloté par le PLH. Le PDA se présente comme un programme d’actions très formalisé, avec quatre grandes missions : recenser et connaître la demande par une centralisation et un bilan-diagnostic ; créer une offre diversifiée de logements par l’utilisation de nouveaux instruments juridiques et financiers ; mobiliser le parc social par la signature de POPS (protocole d’occupation du patrimoine social) ; favoriser l’accès et le maintien dans le logement des personnes les plus défavorisées par l’institution d’un FSL (fonds de solidarité pour le logement). A ces quatre grands axes s’ajoutent d’autres actions en faveur des gens du voyage dans un schéma départemental d’accueil.

Cette formalisation du Plan ne doit pas faire illusion : même si la définition et l’inscription dans un programme constituent une avancée, seule l’élaboration du Plan elle-même et la mise en place du FSL sont obligatoires. Les autres actions font l’objet d’accords, de conventions entre les partenaires locaux, mais sans obligation de participation ou de réalisations concrètes. Autant dire que le PDA ne peut être opérationnel que dans la mesure où ces acteurs locaux se mobilisent pour le traduire en actes.

L’approche globale des problèmes d’exclusion du logement ainsi instituée trouve un prolongement dans la LOV (loi d’orientation sur la ville) du 13 Juillet 1991. Celle-ci vise une meilleure répartition du logement social du quartier à l’agglomération, une diversification de l’offre, la préservation du parc privé social de fait dans les centres- villes et les quartiers anciens, la redynamisation des quartiers d’habitat social par le développement d’activités et de service et la mise en oeuvre de véritables politiques foncières dont l’Etat et les villes se donneraient les moyens.

Enfin la loi sur l’habitat du 21 Juillet 1994 précise les nouvelles dispositions concernant notamment le logement des personnes à faibles ressources. Elargissant le champ d’intervention des associations à l’achat de logements sociaux vacants pour les mettre à disposition des populations défavorisées, création de ’résidences sociales’, extension de la sous-location, amélioration des garanties de paiement, instauration d’un plan départemental pour l’hébergement d’urgence des personnes sans-abri...

Autant de mesures qui s’inscrivent en continuité de la loi Besson même si l’on peut se poser la question de leur efficacité (où trouver des logements sociaux vacants si ce n’est dans des zones présentant déjà quelques dysfonctionnements). Celle-ci, à travers les outils qu’elle met en place, les mesures développées et les réorganisations opérées dans les structures de gestion de l’habitat apparaît comme une rupture par rapport aux modes antérieurs d’appréhension des problèmes d’exclusion. Elle apparaît en même temps comme un repère car elle inscrit dans la loi le droit au logement comme un droit fondamental : ‘’Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadéquation de ses ressources ou de ces conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité [...] pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir’282.’

Mais plus fondamentalement la question qui se pose au regard de l’ensemble des bouleversements en cours est de savoir comment interpréter les nouveaux rapports entre populations spécifiques et nouveaux espaces résidentiels d’une part et de l’autre entre des opérateurs réservés et plus ou moins en retrait par rapport à leur mission sociale et un nouveau patrimoine dédié.

Notes
275.

cet aspect constituait un des fondements de la réforme de 1977.

276.

F. Aballéa, in Recherche sociale, Avril-Juin 1990

277.

R. Lenoir, 1974

278.

R. Ballain, F. Benguigui, (ss. la dir.), 1995, p.26

279.

Les aides au logement sont en effet accordées, en plus des conditions de ressources, en fonction de critères tenant à la qualité du logement en question, notamment les normes minimales d’habitabilité, les clauses d’insalubrité et de surpeuplement. Si l’esprit est de ne pas cautionner les logements insalubres, il en résulte une discrimination encore plus pernicieuse qui aboutit à priver de tout recours ceux qui n’ont pas d’autre solution.

280.

Froger J., ’Le droit au logement et le mouvement associatif’, Les Cahiers de l’ANAH, n°72, Mars 1995, pp.9-10

281.

Ballain R., Benguigui F.,(ss. la dir.), op.cit., p.29

282.

Article premier de la loi Besson.