I- Logiques techniques et logiques politiques

La politique du logement a toujours relevé de la compétence de l’Etat dont les services en ont à la fois défini les normes et accaparé l’expertise, sous le couvert d’une rationalité technicienne dont l’imposition a été grandement facilitée par leur position institutionnelle. Mais l’évolution des méthodes de l’action publique a favorisé l’émergence d’un système politico-administratif local dont la décentralisation a entériné la légitimité, notamment par le transfert de la responsabilité des décisions des administrations vers les élus locaux. L’Etat se réserve la définition des orientations globales et l’encadrement de l’action publique qui font l’objet, au niveau local, d’une relecture et d’une adaptation aux spécificités du terrain.

Ainsi, dans la mise en oeuvre de la politique du logement d’insertion, l’Etat (à travers ses représentants locaux notamment la DDE, la DDASS et le Préfet), les collectivités locales (Département et communes), les opérateurs dans les domaines du logement social et de l’insertion (organismes HLM, associations) se concertent pour définir les modalités d’une action partenariale interinstitutionnelle. En effet la mise en oeuvre de la loi repose sur la coopération nécessaire de l’ensemble des acteurs et le dépassement des logiques sectorielles fondées sur des positions institutionnelles. Il s’agit de mobiliser des compétences en développant une logique de type ’appel d’offre’ où la capacité d’innovation et de traitement réel des problèmes l’emporte sur la position institutionnelle. D’où la nécessité pour chaque acteur de se repositionner dans cette nouvelle structuration du champ d’action.

Pour les acteurs qui, jusque là avaient fonctionné sur la base de pratiques et de savoir-faire techniques comme la DDE, les organismes HLM ou les diverses associations, ce ne sont pas tant les repositionnements, élargissements des champs de compétence ou des modes d’intervention qui paraissent le plus difficile à intégrer que l’obligation de prendre en compte des logiques territoriales portées par les élus locaux notamment municipaux.

En effet, détenteurs des compétences en matière d’urbanisme et d’aménagement sur le territoire communal, ce sont des interlocuteurs dont la collaboration est indispensable à toute réalisation. Bien qu’ayant en principe délégué leur compétence en matière d’habitat à la Communauté urbaine de Lyon, les communes n’en demeurent pas moins actives aussi bien en termes de production que d’attribution des logements sociaux sur leur territoire.

Ainsi, face aux opérateurs dont l’intervention se réfère fondamentalement à une logique technique, consistant à proposer des réponses sur la base d’une connaissance et d’une conception ’rationnelle’, se dressent des élus qui, même s’ils partagent le large consensus sur la nécessité de répondre aux besoins en logements des personnes défavorisées, inscrivent leur intervention dans des logiques fondamentalement politiques.

On retrouve ici, dans la mise en oeuvre de la politique du logement d’insertion un reflet des évolutions des logiques de l’action publique. Certes les logiques techniques occupent toujours une place importante dans la définition et la conduite des politiques publiques, mais les évolutions politico-administratives ont permis l’émergence d’autres logiques, notamment politiques et territoriales, qui apparaissent d’abord comme l’expression du local face un Etat central se réservant cette expertise technique. Il en va ainsi de la décentralisation et du transfert de la responsabilité des décisions aux élus qui donnent à l’action publique une référence politique dans son application locale, et à la logique technique qui la sous-tendait, son pendant politique. La mise en oeuvre d’une politique de développement de l’offre de logement d’insertion se trouve ainsi plus déterminée par les logiques territoriales et politiques des communes (s’appuyant sur des moyens financiers ou réglementaires) que par la capacité technique des opérateurs.

L’importance de ces positions dans le processus de décision, qui apparaît fondamentalement comme une négociation, explique que les acteurs ne s’enferment pas dans des logiques sectorielles qu’ils sont appelés à dépasser.

Ces logiques ne relèvent pas exclusivement d’un type d’acteur : les politiques s’appuient volontiers sur un argumentaire technique ; les opérateurs anticipent et intègrent dans leurs modes d’actions et leurs priorités les orientations politiques des collectivités locales... De part et d’autre, rapprochements, intégrations, références multiples et partagées sont bien le signe que les distinctions traditionnelles de rôles dans la décision avec des techniciens spécialistes d’un côté, des gestionnaires de l’autre et enfin des décideurs politiques, ne sont plus aussi tranchées. Les nouvelles logiques sont celles de la complexité.

L’élaboration conjointe Etat-Département et l’association des autres acteurs posent le principe et le mode d’action de cette politique : face à la complexité des problèmes, l’approche globale permet d’appréhender l’ensemble des modalités du problème. Cela suppose, de la part des acteurs impliqués, la capacité d’aller au-delà des clivages sectoriels pour mettre en oeuvre un partenariat actif qui apparaît comme la condition de la réussite de cette politique. Il s’agit donc, dès l’élaboration, d’inciter à l’adoption d’une démarche pluridisciplinaire et au développement d’une certaine forme d’interinstitutionnalité.