Conclusion : production de logements specifiques et pratiques d’acteurs

L’ensemble des évolutions de ces formes reflète les pratiques des acteurs. C’est en effet à travers leurs pratiques de police urbaine, de production et de gestion, d’entretien et de peuplement que ce parc évolue, se trouve exclu, ségrégé, relégué. Certains acteurs (notamment les organismes HLM) intervenant également sur le reste du marché dont ils gèrent une part importante, c’est à la fois de leurs stratégies particulières (relevant de considérations internes) et des positionnements globaux par rapport aux autres acteurs du marché que résultent les pratiques à analyser.

Les années 90 voient se relancer selon de nouvelles modalités la production d’une offre spécifique en direction des populations défavorisées après une quinzaine d’années de silence, depuis l’unification des systèmes de financement du logement social par la réforme de 1977. Par rapport à l’offre spécifique antérieure, ce renouveau appelle une série d’interrogations que l’on peut articuler autour de la thématique de la légitimité même de ce renouveau309, de cet appel à une production spécifique avec le risque évident de ’retour’ à des formes institutionnelles explicites de ségrégations que l’ensemble des acteurs, à commencer par les opérateurs HLM, ont, en leur temps, sévèrement jugées310. Continuités ou rupture ? Quelle cohérence ce nouveau produit apporte-t-il dans le champ du logement, et en particulier du logement spécifique ?

Il existe un décalage manifeste entre les conditions de production des logements spécifiques ’du stock’ (des années 50 aux années 80) d’une part et de l’offre nouvelle de l’autre, qui se nourrit à la fois des grands bouleversements socio-économiques (fin de la crise quantitative du logement, ’réapparition’ de la pauvreté et développement des situations de précarité...), politico-institutionnels (décentralisation et montée du local, politique de la ville, développement social urbain, vicissitudes de l’intercommunalité, développement du partenariat...) et stratégiques (repositionnements des acteurs, redistribution des rôles et réorganisations internes, renouvellement des pratiques...).

Avec ce renouveau, le centre de gravité de la problématique s’est manifestement déplacé. En effet, du logement à l’habitat, les enjeux se sont affinés autour du projet d’insertion qui seul permet d’échapper à la production de nouvelles formes d’habitat ’ségrégé’. Aussi les modalités de cette production de ’logement d’insertion’ intègrent-elles à la fois l’individu et le logement. L’interdépendance des différents niveaux du social et du spatial (l’insertion doit être urbaine et sociale) inscrit la territorialisation de cet habitat au principe même de sa conception. Il y a une logique de production qui, contrairement à l’espace par défaut, l’espace subi du logement spécifique antérieurement produit, est de l’ordre du ’voulu’, résultat d’une véritable inscription et non d’une relégation. Pourtant ce n’est pas tant par l’avènement d’une quelconque territorialisation des politiques publiques (territorialisation qui se fait depuis plus de 30 ans311) que par une reformulation des modalités de définition et de mobilisation des territoires pertinents que se distingue cette politique.

Quelles structurations des systèmes d’acteurs au niveau local permet cette évolution et quels enjeux porte-t-elle ?

La dynamique impulsée par la loi Besson bouleverse les modes traditionnels d’intervention des acteurs du logement et de l’action sociale en les plaçant dans une situation de partenariat plus ou moins obligé. La réalité de la coopération que la mise en oeuvre du PDA ’impose’ trouve, dans le contexte particulier de l’agglomération lyonnaise, une traduction dans des résolutions structurelles telles que l’émergence de filières de production ou la constitution de systèmes d’acteurs. Même si certaines structures préexistaient de manière plus ou moins formelle à cette émulation par le PDA, leur visibilité et leur légitimité en ont été accrues.

Les configurations d’acteurs ainsi développées se positionnent clairement comme interlocuteurs des configurations institutionnelles à l’instar du Comité de pilotage du PDA constitué de l’Etat et du Département. La différence réside dans le fait que pour ces acteurs locaux, il s’agit de configurations actives, intervenant aussi bien dans la définition des orientations que dans la conduite des opérations. Leurs marges de manoeuvre sont ainsi plus larges que celles des instances purement politiques. Ils sont par ailleurs le bras armé de ces derniers dont ils assurent le succès politique. Leur présence en amont et en aval des processus leur permet de les infléchir plus ou moins fortement tandis que leur légitimité est assurée par tout un ensemble de faits, d’interventions et de prise de positions fortes qui donnent à l’intervention en faveur des plus démunis dans l’agglomération lyonnaise une spécificité bien affirmée.

La mobilisation des acteurs est à la mesure de l’ampleur du problème que les outils de connaissance développés permettent de mieux cerner. Les années 90 constituent à ce titre une rupture importante. Les développements observés sur le plan réglementaire et dans les réalisations effectives depuis la loi Besson, la mobilisation d’un nombre impressionnant d’acteurs autour du logement d’insertion font de cette dernière strate que constitue le PLAi/PLA-TS dans l’histoire des solutions-logements pour les plus démunis, le terrain privilégié de développement des questionnements et de la problématique esquissés. Par ailleurs une évaluation de l’efficacité de cette production en termes de résultat d’insertion des populations relogées, au-delà des difficultés afférentes à la modicité de la production récente, à l’accès aux données concernant ces populations auxquelles pourraient s’ajouter des difficultés ’déontologiques’ de traiter de données portant sur un nombre restreint de ménages, ne pourra être envisagée que sur la production récente.

En effet, même si la mobilité des populations concernées peut être considérée comme relativement faible, on ne peut préjuger de l’évolution de leur situation : le problème de l’adéquation du logement et de son occupation ne peut être mécanique. Des décalages importants peuvent ainsi apparaître, qui ne remettent pas en cause l’occupation ni ne modifient le statut du logement. Comment saisir dès lors, à une échéance plus ou moins longue, les effets d’une production spécifique dont la réussite doit se traduire paradoxalement par sa banalisation, c’est-à-dire la ’disparition’ de sa spécificité ? Et encore faudrait-il pouvoir faire la part des choses dans cette évolution entre ce qui relève du logement et l’ensemble des autres facteurs susceptibles d’influer sur la situation des ménages.

LISTE DES INTERVIEWES DANS LE CADRE DE L’ANALYSE DES PRATIQUES D’ACTEURS

Mme DAUVILLE ARALIS
M. PHILIPPE ARALIS
M. BULLION ARRA-HLM
Mme CHABRAN OFLYL
M. OFFNER CIL
M. ROUGE ommunauté urbaine de Lyon - Mission Habitat
Mme REY CANAR Conseil Général
M. GOFFINET Conseil Général
Mme BROSSE Conseil Régional
M. PIN HHI
M. DESSEMON OPAC du Rhône
Mme CHARBONNIER SIAL
M. REY SIAL
Mme TARDIVEAU CDC
Mme DEVALMONT LOGIREL
Notes
309.

dans le même ordre d’idée, on peut penser aux récents appels à propositions du PCA sur ’le logement des sans-abri’ ou ’les nouveaux statuts d’occupation’.

310.

cf. Lion R., Propositions pour l’habitat. Livre blanc de l’UNFOHLM, supplément au n°44 de la revue HLM, 1975

311.

cf. F. Aballéa, ’Territoire, démocratie et action administrative’, in Recherche sociale n°139