4. Esthétique du collage 

La structure énigmatique est donc choisie notamment parce qu’elle sert à exprimer le mystère de tout individu et la violence qui sous-tend la communauté, au-delà d’une conception du genre comme drame ponctuel, ne concernant que quelques suspects, le criminel et l’enquêteur.

Cette tendance à dépasser les cadres dévolus au roman policier comporte également des conséquences au niveau structurel : le policier accueille des expériences qui lui étaient étrangères, sans le moindre respect pour la contrainte économique pesant sur ce genre, où le récit classiquement va droit au but, efficacement, sans faire de gras, sans perdre de temps. Pour le roman policier de type anglais, en particulier, Van Dine préconisait une concentration totale sur l’enquête, excluant les analyses psychologiques, les descriptions, et le thème de l’amour. Quant au roman noir, il privilégie l’action, et si amour il y a, la femme est souvent un faire-valoir du privé présentée caricaturalement ; pas question d’oublier l’enquête pour elle (comme c’est le cas dans l’Enfer et dans certaines aventures de Pepe Carvalho). Montalbán et Belletto, cultivant la dispersion générique, utilisent avec outrance le procédé classique qui consiste à attribuer au détective une manie, la cocaïne pour Holmes, par exemple. Ils intègrent ainsi de manière massive des matières peu usuelles dans le domaine de l’enquête : la cuisine et la littérature pour Montalbán, et la musique pour Belletto. Montalbán, dans le cadre de ce qu’il nomme l’« écriture subnormale », désigne cette assimilation de matières étrangères au roman par le terme « collage ».