Nous ne les avons pas séparés jusqu’à présent, mais examinons maintenant plus particulièrement le pôle de l’interprétation, c’est-à-dire celui du lecteur. La question de la lecture se pose de façon particulièrement intéressante dans ces romans dérivés du roman policier, dont l’horizon d’attente, très particulier dans le genre initial, se trouve altéré et provoque des réactions du côté du lecteur, l’auteur s’étant sans doute livré à de subtils calculs quant à la perception de son texte.
En fait, le roman policier - sur les traces du roman populaire -, ayant été immédiatement perçu comme le livre du lecteur, a probablement été le premier domaine de la littérature écrite où l’on se soit soucié du pôle du récepteur, comme l’explique Alain-Michel Boyer :
‘ ‘« Il s’agit alors de la fabrique rhétorique, instrumentale, d’un récit efficace, d’un énoncé plus ou moins vocatif, à destinataire incorporé puisque, dans la paralittérature, les genres et les catégories possèdent une conventionnalité propre, nécessaire à l’« efficacité » de la communication457. »’ ’Si le roman policier est vu comme un acte de communication à part entière (c’est-à-dire avec un récepteur actif), le fait même de l’écriture prive l’émetteur des moyens de mesure immédiate de l’effet, des ressources de rectification ou de persuasion qui existent dans la littérature orale (les gestes, par exemple) : pour atteindre son but, l’auteur doit non seulement posséder un savoir-faire, mais aussi une aptitude à se projeter. Thomas Narcejac, dans Une Machine à lire : le roman policier (1975), insiste sur ce point :
‘ ‘« Un auteur qui connaît bien son métier se dédouble à chaque instant458. » ’ ’Tous les spécialistes du genre soulignent la part du lecteur. Thomas Narcejac, quant à lui, distingue deux pôles : le « pôle positif », l’information donnée par l’auteur, et le « pôle négatif », l’émotion du lecteur ; il décrit les différentes phases réactives du lecteur du Mystère de la chambre jaune, en montrant comment Gaston Leroux les anticipe et les utilise. Pour lui, la prééminence du lecteur est une des caractéristiques les plus remarquables de l’écriture policière :
‘ « [...] la lecture constitue le mouvement même du roman-machine. Le lecteur est la pièce maîtresse de l’appareil, mais cela n’est vrai que du roman-policier. [...] Le roman policier, au contraire [du roman classique], se sert du lecteur, lui emprunte quelque chose pour se développer [...] Elle passe littéralement par lui et c’est lui qui lui fournit l’énergie motrice 459 . » ’C’est cette importance donnée à celui qui va lire le texte qui explique pour partie l’aspect conventionnel, rigide, du genre policier classique, puisqu’il paraît difficile de demander au lecteur de devenir un partenaire sans fixer des normes de fonctionnement ; d’où les excès législateurs d’un Van Dine. Ces lois établissent des règles du jeu nécessaires pour une activité où les mots de stratégie, d’attente, de renversement, de surprise, d’erreur, d’adversaire et de partenaire ont été prononcés et abondamment utilisés par les romanciers comme par les théoriciens. Cette perception aiguë du rôle du lecteur précède donc toutes les critiques de la réception, qui vont reprendre à leur compte le vocabulaire du jeu et de l’affrontement, comme l’a fait Umberto Eco :
‘ « un texte est un produit dont le sort interprétatif doit faire partie de son propre mécanisme génératif ; générer un texte signifie mettre en oeuvre une stratégie dont font partie les prévisions de l’autre - comme dans toute stratégie 460 . » ’Et l’écrivain et critique italien de comparer, à la suite d’autres, ce qui se passe entre un auteur et son lecteur à un jeu d’échecs. Le roman policier était discrédité à cause de sa proximité avec les jeux de société, et voilà que la littérature se pense elle-même comme jeu ! En lisant tous les critiques qui s’intéressent à la réception d’un roman sans étiquette, on a l’impression qu’ils parlent du roman policier, tant le genre illustre les critères énoncés. Le plaisir du lecteur n’est d’ailleurs pas séparable de celui de l’auteur, dont Roland Barthes disait l’attachement au jeu dans le texte, aux deux sens du terme461 .
Michel Picard a montré les analogies dans l’attitude face au livre et aux jeux462, l’abandon massif du premier s’expliquant justement par le manque tragique de prise en compte de cette dimension ludique du livre, lié à ce que Michel Picard appelle la « déludification » de la société.
Le jeu établi par le texte repose sur le désir de savoir (du lecteur) et sur la capacité de l’auteur à créer du mystère. La lecture est par elle-même une démarche herméneutique ; Norbert Wiener rappelle de façon éclairante l’origine du mot lire en anglais :
‘ ‘« En anglais, énigme se dit riddle qui vient du vieux verbe to rede qui veut dire « chercher la solution » ’ et d’où est sorti le verbe moderne to read : lire 463 . » ’Si tout texte est crypté, c’est parce qu’il est d’abord « tissu », hyphos 464produit à partir d’une matrice, le mot possédant un ‘« pouvoir génératif’ 465» qu’a mis à jour Michael Riffaterre. Pour le lecteur, il s’agit de remonter le fil, d’effectuer des regroupements, à l’image du détective qui reprend une histoire à rebours, pour remonter du crime constaté à la genèse de ce crime. A ce travail sur ce qui est écrit, ce qui est visible (l’autopsie, l’étude des traces) s’ajoute une tâche importante : la reconstitution, à partir des indices (textuels, criminels), des trous dans le tissu, de toutes les brèches laissées sciemment par la narration, de tout ce qui manque pour rétablir une cohérence et bâtir une interprétation :
‘ « Le texte est donc un tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir, et celui qui l’a émis prévoyait qu’ils seraient remplis et les a laissés en blanc pour deux raisons. D’abord, parce qu’un texte est un mécanisme paresseux (ou économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire [...] Ensuite parce que, au fur et à mesure qu’il passe de la fonction didactique à la fonction esthétique, un texte veut laisser au lecteur l’initiative interprétative, même si en général il désire être interprété avec une marge suffisante d’univocité. Un texte veut que quelqu’un l’aide à fonctionner 466 . » ’C’est face à ces vides que le lecteur se sent vraiment appelé par le texte et prend conscience de son rôle dans la production du texte, au lieu que souvent il est annulé, absorbé dans la parole textuelle. Dans le roman policier, ces vides sont perçus comme légitimes, puisque le fait divers dont l’histoire se nourrit est par nature lacunaire ; c’est l’ignorance qui permet au récit de se développer. De surcroît, le lecteur doit faire appel à son propre raisonnement, conformément au pacte de lecture, sachant qu’au contraire de ce qui est censé se passer dans le roman classique, l’auteur du roman policier n’a pas tout dit467. Tout ce qui semble manquer au texte (les blancs, les vides, les énigmes et les obscurités sur les axes syntagmatique et paradigmatique) encourage un travail de suture, étant donné que la première lecture ‘a « l’horreur du vide468 »’ - comme le détective469!
Alors que dans le roman sans étiquette, c’est le surplus de savoir qui éveille le lecteur à son rôle470, dans le roman policier c’est une lacune dans l’information qui suscite la lecture active. Marsé cumule ces deux impulsions : dans une partie de l’intrigue, le lecteur en sait plus que l’inspecteur puisqu’il lui est donné d’assister à la scène de prostitution pendant que le vieux policier dort sur un banc ; cette scène complète les nombreux indices brandis sous les yeux du lecteur au sujet des relations entre Rosita et son souteneur. Mais par ailleurs, le lecteur n’en sait pas plus que l’inspecteur au sujet du mort, c’est-à-dire l’essentiel de l’intrigue, ce qui le stimule dans sa recherche d’indices.
Marsé donne en pâture à ce besoin de combler les vides la « fable » du viol de Rosita. Les quelques informations données suffisent au lecteur : à l’aide de son expérience et de ses propres fantasmes, il reconstituera à plaisir l’événement, attitude de lecture et volupté thématisées lors de l’épisode où l’on voit un ami de Rosita jouir en ne faisant qu’imaginer ce drame dont il n’a jamais eu une connaissance précise (66). Ce creux dans le savoir suscite un appétit de lire, particulièrement virulent chez les lecteurs de romans policiers, où le récit s’expose comme enquête, et qui fonctionnent comme « un appel au sens 471 » (Alain Robbe-Grillet). Cependant, on voit bien par cet exemple que le vide du texte n’interpelle pas seulement la raison du lecteur, alertée par des coupures dans la chaîne du sens et avide de restaurer une continuité signifiante : elle constitue également « une structure d’accueil et d’appel pour l’activité imaginative du lecteur 472 ». Cette invite du texte à laisser l’imaginaire se déployer, individualisant le texte pour chaque récepteur, n’est sûrement pas à négliger puisqu’elle est source de plaisir et attache le lecteur au récit, lui permettant ensuite de l’interpréter.
Ce plaisir explique l’extension du texte, qui n’aurait guère de raison d’être si la seule connaissance était en jeu : si tout texte est parcours, nécessaire délayement, ainsi que l’illustre magnifiquement la promenade de Rosita et de l’inspecteur - elle le « balade » comme le romancier « balade » le lecteur -, c’est qu’il faut contourner le plus possible le lieu de vérité qu’est la fin, la mort du texte, l’extrémité du plaisir ; Charles Grivel dit de tout texte littéraire que
‘ « ce mystère, tout d’abord il l’invente, ensuite il le propage, l’étale et le prolonge narrativement. Le roman, loin d’être un déchiffrement, crypte. Sur le simulacre d’une quête (d’une enquête, d’une affirmation cognitive), l’information (la vérité de l’origine) recule « devant le récit » à l’infini du livre 473 . » ’Le lecteur veut du mystère, il est prêt s’il le faut à aider le texte à l’inventer474. Ainsi, le lecteur d’Enquête d’hiver, comme celui du roman espagnol, est porté à refuser la possibilité d’un suicide, trop content d’épouser la cause de Demange. Ce dernier semble être le garant du contrat de lecture, puisqu’il lutte contre toutes les apparences pour nier ce suicide, et affirmer un crime qui inaugure la quête, sauvant le texte aux yeux du lecteur. Mais peu à peu, nous sommes confrontés à l’évidence du suicide, et à la scission entre Demange et le rôle qu’il devrait remplir.
Dans Boulevard du Guinardo, le lecteur, confronté à un cadavre initial, ne remet pas en doute son identité de criminel, affichée de prime abord comme avérée, avec la caution de l’inspecteur : « nous savons que c’est lui » (28). Comme dans la lecture de faits divers, nous réduisons instantanément et strictement ce personnage à l’étiquette « criminel », d’où le désintérêt total vis-à-vis de son identité ‘(« qui est-ce ? - Personne, un vagabond » (’27)) ; de toute façon, aucun autre personnage ne peut être soupçonné (il n’y a pas d’exposition des principaux suspects, comme c’est l’usage dans le roman classique) : l’affaire du viol est réglée. Le « simulacre » dont parle Charles Grivel semble totalement dévoilé, puisque le cheminement fait explicitement sécession avec la quête.
Cependant, le lecteur soupçonnera sans doute le suicide de ne pas en être un, le texte l’y conviant en jouant sur l’intertexte : d’abord par le sujet lui-même (dans de nombreux romans policiers, les crimes sont présentés comme des suicides), ensuite par la mise en scène un peu trop soignée ‘(« il expliqua qu’on l’avait trouvé le matin même dans une ruelle du Guinardo, la nuque brisée et empestant le vin »’ (18)), enfin par les indices textuels, comme les souvenirs de l’inspecteur, qui se rappelle plusieurs scènes d’« interrogatoires » - en fait, de tortures. Le renversement de perspective final non seulement confirme la présupposition du lecteur (ce n’est pas un suicide), mais va au-delà, contestant l’identité du cadavre (ce n’est pas le criminel).
Ce gouffre observable dans nos deux romans entre le point de départ interprétatif et le point d’arrivée du texte est certes imputable à l’investissement initial du lecteur avide de matière à déchiffrement. Mais il faut également le mettre sur le compte de la stratégie de l’auteur, qui connaît et exploite ce goût pour le mystère. Ainsi le paratexte est-il utilisé, complice du jeu établi par le texte, en ce sens qu’il va mettre le lecteur sur la voie de ses premières prévisions. Chez Amette, conforté par le titre, le lecteur applique au texte un scénario intertextuel qui lui fait mettre « sous narcose » (Eco) des caractéristiques importantes du personnage, ne retenant de lui que ce qui concorde avec l’hypotexte, pour en faire un type connu (le commissaire désabusé et las). Demange est de cette façon préconstitué, ce qui a des conséquences importantes au niveau prévisionnel, puisque, pour Umberto Eco, le « monde possible », prêté au texte par le lecteur, se forme à partir du personnage:
‘ ‘« construire un monde, cela signifie assigner des propriétés données à un individu donné475. »’ ’Mais petit à petit la fabula infirme les prévisions du lecteur, et, dans le courant de la troisième partie, les caractéristiques « narcotisées » se réactualisent d’elles-mêmes, désignant la logique productive du texte, qui avait été rayée par le désir du lecteur de plaquer sur le texte un scénario connu pour une affaire ‘« comme toutes les autres »’ (46), permettant une lecture homogène. Le malaise s’installe, parce que la finalité du récit devient aléatoire, indéfinie, énigmatique, ne consistant plus apparemment en la clarification d’un mystère - inhérente au contrat de lecture du récit policier.
Chez Marsé, le titre prête également à confusion, en accentuant le lieu et en oblitérant l’histoire, qui est mise « sous narcose » à l’invite du texte et du personnage de l’enquêteur ; oblitération d’ailleurs largement encouragée par l’intertexte policier, puisque, Uri Eisenzweig l’a montré, le roman-problème s’abstrait totalement de l’histoire, ‘« qui l[e] menace sur le terrain de la vérité 476 »’. Le lecteur fait donc des prévisions excluant ce qui en définitive engendre le texte et constitue le dénouement : le cadavre initial, bien loin d’être le criminel fictif d’une fabula au scénario convenu, s’avère être la victime de l’histoire.
Dans les deux romans, la lecture ne peut donc aller dans le sens d’une isotopie, mais, au gré des erreurs de construction du lecteur, elle saute d’une catégorie à l’autre et nécessite des réajustements fondamentaux, répondant aux souhaits d’Alain Robbe-Grillet :
‘ ‘« Il y a une notion qui m’importe beaucoup dans le texte moderne, c’est la notion de piège.[...] Le contrat type du roman policier veut que le piège soit complètement démonté et que le piège ait disparu une fois que le texte est fini. [...] Alors qu’au contraire, les pièges qui s’ouvrent à chaque instant dans mes textes sont des pièges à double, triple détente477. »’ ’Le premier de ces pièges textuels est sans doute, dans les deux romans, la banalité, revendiquée chez Amette, qui affiche un sujet déjà-lu, une affaire ‘« comme toutes les autres »’ (46) ; quant à Marsé, sa façon de vendre la mèche au lecteur dès le début du récit semble vouer son roman à la platitude, comme une devinette dont on connaîtrait par avance la solution. Or, ce que dit Louis Marin de la banalité s’applique parfaitement à la stratégie de Marsé et d’Amette, puisqu’ils en font une arme narrative :
‘ « Tel est l’art du piège : la banalité. Tel doit être, du même coup, l’art de dé-jouer cet art : repérer l’étrange dans le banal, je veux dire repérer dans la surface continue d’un discours le plus minuscule indice du trou où, sans m’en apercevoir, moi lecteur, je vais tomber, le piège étant que je tombe sans savoir que je tombe, que je chute dans le trou tout en continuant à marcher à la surface, que je suis pris - prisonnier - dans la fosse d’un sens tout en continuant à lire, à produire du sens, continûment 478 . » ’La solution de l’énigme donnée à l’initiale du texte joue en fait le même rôle que la multiplicité des fils narratifs : perdre le lecteur, comme dans les romans classiques, ‘« empêcher qu’une idée ne se forme’ 479 » (P. Bayard), pour défendre l’accès à la vérité jusqu’au dénouement. Cette banalité va de surcroît confirmer ou renforcer un phénomène caractéristique de la lecture de romans policiers, élaborés d’ailleurs à cet effet : la rapidité. Le lecteur lit trop vite pour percevoir les indices et ne revient pas sur ses pas, tendu vers la fin, tombant dans le piège de l’impatience et de l’assurance.
D’une certaine façon, le roman de Marsé nous semble plus proche du calcul qui régit le genre policier (et dont on se rend compte qu’il engendre bien des textes), alors qu’à première lecture il paraît, par rapport au roman d’Amette, plus éloigné de ce genre ; il appert en effet que, dans ce que le romancier espagnol a emprunté à ce type de paralittérature pour créer un nouveau roman, domine la notion de manipulation à partir d’une attitude de lecture sciemment provoquée, qui n’est pas sans évoquer ce qu’Umberto Eco dit du roman-problème :
‘ « Et Agatha Christie, quelle histoire prévoyait-elle que le lecteur construirait pour dénouer les péripéties de Cinq heures vingt-cinq, tout en sachant que ce serait une histoire différente de celle qu’elle allait mener à terme, mais tout en comptant pourtant sur cette diversité comme le joueur d’échecs compte sur le coup raté que l’adversaire (si possible) jouera en réponse, après avoir été habilement attiré dans le piège d’un gambit 480 ? » ’Ce qui nous fait dire cela, c’est que le récit de Marsé, comme nous l’avons montré, est constellé d’indices concernant l’innocence de l’inconnu et la « culpabilité » de Rosita, et, également, la date du récit, alors même que la démarche inquisitrice avait été clairement désamorcée dès le premier chapitre : le gambit consiste en cette pièce maîtresse du jeu de l’auteur (le mystère) apparemment sacrifiée dès le départ, de façon à piéger le lecteur dès ses premières démarches interprétatives, à lui faire initier le jeu d’une manière inadéquate.
Cependant, de nombreux épisodes, inutiles au niveau narratif, constituent des aides discursives (indices, annonces), qui doivent permettre au lecteur plus avisé de revoir ses prévisions ou d’anticiper plus ou moins consciemment la fin du texte. Ainsi, la présence du charbonnier, est-elle signifiée dès la page 34 : ‘« Il [l’inspecteur] racla ses chaussures contre la carriole du charbonnier rangée le long du trottoir ».’ Or, ce personnage, qui revient régulièrement dans le récit, connote le mal, à double titre : il prostitue Rosita, et n’est pas sans rappeler, à cause de sa proximité avec le feu, le viol de l’enfant. Indice encore plus accessible, Rosita demande à l’inspecteur qui vient de lui expliquer que le criminel « s’est jeté dans la cage de l’escalier » : ‘« Vous croyez qu’il s’est suicidé, vous ? » (’54). Pour ceux qui n’auraient pas compris, le personnage se lance complaisamment et apparemment en toute candeur dans un discours sur les multiples « disparitions » suspectes.
Malgré ces indications, la difficulté à définir la question initiale, la multiplicité des fils de l’enquête et la conversion finale, servent de déstabilisateurs : on voit ainsi combien Marsé calcule, donnant au lecteur des pièces pour l’aider à pénétrer ses desseins complexes, mêlant des éléments classiques qui font croire à un crime ordinaire (le viol de Rosita, reconstitué peu à peu) à des éléments déviants (l’errance, l’enquête plurielle, le mort-coupable, la victime (Rosita)-coupable) qui perturbent la lecture policière. Il insiste sur des indices de nature différente (concernant le cadavre ou la situation historique, dont les significations se rejoindront) pour encourager son lecteur à maintenir une lecture de type herméneutique. Avec Marsé, on croit donc jouer au Scrabble et on se trouve devant une partie d’échecs ! Le roman met d’ailleurs en scène des hommes jouant au Chinos, jeu basé sur la dissimulation et sur l’aptitude de chaque joueur à deviner ce que les autres tiennent dans leurs mains fermées (34).
A l’inverse, alors qu’une enquête prétend se perpétuer, les indices disparaissent du récit d’Amette : la stratégie, plus globale, joue sur un horizon d’attente sans cesse contrarié, jusqu’à remettre en question dans l’esprit du lecteur la notion même de genre. La tactique policière est ainsi plus méticuleusement mise en place dans Boulevard du Guinardo, qui se présente dès lors comme un texte plus fermé qu’Enquête d’hiver. Mais dans les deux cas, le lecteur est piégé par la communication établie - dont la portée l’entraîne à des prévisions erronées - dans l’un, par ce qui est emprunté à la stratégie policière (les indices), dans l’autre, par ce que nous pourrions appeler l’amorce policière, qui provoque un type de lecture et un horizon d’attente. Dans Enquête d’hiver, tout se passe comme si quelqu’un nous proposait de commencer une partie d’échecs et que, au bout d’un certain temps et malgré toute notre bonne volonté, en remarquant d’abord la disparition progressive de pièces (expulsées au lieu d’être dissimulées), nous ne pouvions que constater que le jeu s’est transformé en Scrabble. Attendant une recherche raisonnée du coupable, à cerner et à identifier en jouant des pièces en sa possession, de façon à fermer définitivement le livre, le lecteur se retrouve embarqué dans la quête spirituelle d’un héros affamé de Dieu (184), seul sens qu’il pense donner à sa recherche, sens unique et définitif, peut-être apaisant comme la fin d’un roman policier, mais inatteignable par le raisonnement. Le détective trahit donc ici sa mission, mise en évidence par Uri Eisenzweig : garantir l’intégrité textuelle de l’invasion d’autres genres481.
Ce saut dans les catégories demande brutalement une autre compétence : si nous reprenons les termes employés par Umberto Eco dans Lector in fabula, le « Lecteur Modèle » d’Amette doit posséder une « encyclopédie » de référence qui va du polar à Hamlet, sachant que le roman policier requiert inévitablement des compétences intertextuelles. Néanmoins, constituant un indice, ces renvois à d’autres textes orientent normalement vers la solution, fût-ce par polarisation, au lieu qu’ici ils la dispersent. Et le Lecteur Modèle peut ignorer de toute façon le texte de Shakespeare, puisqu’on a vu que celui-ci était orienté, interprété, dévié, soumis aux intentions du roman d’Amette. De plus, l’encyclopédie (de type policier) que le lecteur a été encouragé à utiliser pour affronter le texte, va se trouver désamorcée, mise en chômage technique, par ce que le roman devient.
Quant à Marsé, connu dans son pays comme romancier « littéraire », quel lecteur attend-il ? Les deux premiers volumes de la trilogie (Adieu la vie, adieu l’amour, Un jour je reviendrai) construisent et présupposent pour le troisième volet qu’est Boulevard du Guinardo un Lecteur Modèle orienté vers l’histoire et la politique espagnoles de l’après-guerre ; le cycle s’inscrit de plus dans une volonté globale de renouvellement de l’écriture requérant a priori des lecteurs non conservateurs, l’utilisation de genres paralittéraires leur demandant éventuellement des compétences dans ce domaine.
La lecture de Boulevard du Guinardo sera différente si le lecteur comprend qu’il doit se servir de cette encyclopédie policière, mais il n’y est guère encouragé par le début où tout semble déjà réglé, et où le cadavre initial n’est pas posé comme victime, mais comme coupable, n’entraînant aucune enquête. La localisation spatio-temporelle, identique à celle des deux premiers romans, postule apparemment une encyclopédie historico-politique plus que policière, mais on peut imaginer plusieurs types de lecteurs : ce n’est qu’à la fin que le lecteur naïf (ou passif), se rendant compte que le cadavre initial est bien celui d’une victime et que le texte est une enquête, voit qu’il aurait fallu choisir aussi une démarche policière, complétant la portée historico-politique.
L’opposition actif/passif, si elle paraît forcée, rend compte de la nature particulière de la lecture de romans policiers. Borges disait que Poe avait inventé le roman policier et son lecteur, un lecteur tout à fait distinct des autres, attentif, méfiant, ‘« soupçonneux d’un soupçon très spécial482 »,’ que Borges (et bien d’autres après lui), tentera de recréer pour ses oeuvres propres. D’un autre côté, si le lecteur pense lire un roman policier, il risque de mettre entre parenthèses la référence au réel et à l’histoire, qui mène pourtant à la vérité. Le piège est donc à double entrée, et Marsé montre par là son intention de brouiller la notion de genres, comme le font les romanciers novateurs espagnols, de Benet à Mendoza : pour avoir une stratégie efficace, le lecteur doit mêler tous les types de lecture, tirant bénéfice de toutes ses expériences.
La difficulté à déterminer le jeu mis en place sera également fonction de la nationalité du lecteur, et l’opposition lecteur espagnol (sous-divisé éventuellement en lecteur catalan/non catalan)/lecteur non-espagnol (avec des degrés dans l’éloignement spatial et culturel) s’ajoute sans la recouper à l’opposition lecteur actif/lecteur passif. Ainsi, un jeune lecteur français n’aura pas forcément à l’esprit en ouvrant le roman de Marsé ce qu’un lecteur espagnol ayant connu le franquisme aura comme horizon d’attente et mettra immédiatement en oeuvre pour deviner où le mène l’oeuvre. Pour ce dernier en effet, le mot « policier » renvoie sûrement à autre chose qu’à Hercule Poirot ! Dans les deux romans, le piège interprétatif se referme sur le lecteur, l’activité prévisionnelle, d’après Umberto Eco, étant au coeur de l’interprétation ; c’est pourtant de cette façon qu’Amette et Marsé construisent leur Lecteur Modèle.
Dans un premier temps, le texte est agencé de telle sorte qu’il cache l’essentiel : le « sujet » travaille à attacher le lecteur à une fabula (énigme du viol de Rosita, pour Marsé, énigme de la famille Boislevent-Sallenave, pour Amette) qui s’avère secondaire. Pour retenir le lecteur, un suspense est créé autour du mystère que constituent les protagonistes de chaque énigme, mystère qui repose sur des personnalités contradictoires (Rosita victime et coupable, comme Jenny Boislevent). Et pourtant, parallèlement, la direction du texte est indiquée : chez Marsé, les deux protagonistes, s’ils dévient de leur trajet et de leur but très souvent (comme le lecteur, qui les imite), se dirigent tout de même vers cette cible et l’évoquent régulièrement. Quant au narrateur d’Enquête d’hiver, donnant bien du fil à retordre au lecteur comme à son détective, il prévoit cependant ce qui pourrait compromettre la visée de la lecture ; il renseigne le lecteur en certains points pour lui permettre de réajuster son déchiffrement. Cette fonction est souvent déléguée aux personnages secondaires qui, interrogeant le commissaire, lui font dire où il en est (et donc vers où le texte va) : ‘« Qui es-tu ? dis-moi » (46) ; « Tu penses encore à Sallenave ? [...] - Je ne pense plus vraiment à lui »’ (174). Ces personnages diégétisent le lecteur et posent les questions qu’il poserait, ou tentent de lire Demange, lui exprimant parfois leur désapprobation par rapport au chemin qu’il prend, comme le fait le lecteur in petto.
D’autres instances narratives aident également ce dernier : le poids significatif du décor (rien que la place grandissante de la campagne par rapport à la ville, lieu du roman noir, indique au lecteur la porte de sortie du genre) dont Michael Riffaterre souligne l’importance dans les stratégies prévisionnelles du lecteur483, métaphorise la perte de repères et l’abandon auquel cède Demange. Par ailleurs, les passages de monologue intérieur doivent épauler le lecteur de façon importante ; celui que nous citons ici, par exemple, désamorce, s’il en était encore besoin, toute tentative de plaquer un scénario intertextuel policier au roman d’Amette ‘: « Comment pouvait-on remonter à la surface ? Mais c’était quoi la surface ? Tout le monde le considérait comme un commissaire de police »’ (119). Demange prend conscience que le monde qu’il a construit ne correspond à rien, et il invite le lecteur à changer également, il lui montre le sens du livre ; mais le lecteur, comme Rosita dans Boulevard du Guinardo, peut se montrer rétif et refuser d’aller là où le texte le mène :
‘ « ce que veut le texte, c’est nous mettre dans son sens, c’est-à-dire, - selon une autre acception du mot « sens » - dans la même direction 484 . » ’Le lecteur critique, qui relit le texte et revient sur les erreurs du lecteur naïf qu’il était lors de la première lecture, peut percevoir cette « direction » s’il revient sur d’autres éléments du paratexte que le titre : ce qui entoure l’oeuvre n’est pas toujours lu ou pris en compte en découvrant le texte ; il faudrait ici distinguer deux types de lecteurs, ceux qui se jettent sur un livre sans attendre, et ceux qui en font le tour, parfois longuement, dans une attitude qui n’est pas sans évoquer l’abandon progressif à la rêverie et au sommeil, et qui s’explique peut-être par le besoin pour certains d’une transition, d’un sas entre réel et fiction.
S’il est lu avec attention, le paratexte influe sur la lecture. Selon l’édition, tout change, en ce qui concerne Boulevard du Guinardo : la quatrième édition espagnole du roman de Marsé (Ronda del Guinardó, Barcelona, Seix Barral, Biblioteca Breve, 1991) propose sur la quatrième de couverture l’attitude de lecture à adopter. Il est ainsi précisé dès les premiers mots qu’il s’agit d’une parabole, et le lecteur apprend ce que représentent Rosita et l’inspecteur ; le sujet du texte et sa portée historique sont dès lors accessibles immédiatement, et même imposés au lecteur, ce qui n’est pas le cas dans la quatrième de couverture de l’édition française, plus rapide, mettant davantage en valeur la fable apparente du texte : le viol de Rosita. Pour Enquête d’hiver, Amette, auteur du texte de quatrième de couverture, résume l’enquête et annonce le malaise qui va saisir le commissaire, mais sans que rien ne laisse présager des bouleversements narratifs et génériques qui expliquent le choix d’une collection « blanche » et du pseudonyme qui va avec : ainsi, il espère sans doute rallier les lecteurs habituels de polars, en même temps qu’il opte pour une stratégie du piège et de la surprise.
Autre aspect important du paratexte : l’épigraphe. Marsé a choisi Lewis Carroll - ce qui n’étonnerait pas un lecteur anglais de roman policier, la parenté du genre avec le fantastique et la littérature enfantine étant évidente au Royaume-Uni (cf. le rôle des comptines dans les romans d’Agatha Christie485). Mais la citation choisie illustre l’ambiguïté du texte : ‘« Il était une fois une coïncidence qui était allée se promener avec un petit accident ; au cours de leur promenade, ils rencontrèrent une explication si vieille, qu’elle était courbée et toute ridée, et qu’elle avait plutôt l’air d’une devinette. »’ Si le thème qui structure le roman est ici posé (la promenade), la stratégie ludique à adopter face au texte est clairement programmée (la devinette) en même temps que l’ouverture finale : recourir au stéréotype (l’explication très vieille et fatiguée) fait déboucher sur une impasse, le sens fuit et se dérobe. Pour le lecteur espagnol de Marsé, le mot « devinette » - s’il est lu avant - peut encourager à joindre à une encyclopédie historique une lecture herméneutique circonspecte.
Quant à Amette, il choisit en épigraphe un quatrain assez énigmatique du poète Friedrich Schlegel : ‘« A travers les sons innombrables / Qui peuplent le songe diapré de l’hiver / Un chant imperceptible appelle / Celui qui écoute en secret.’ » La rupture générique entre ce poème et le roman noir qui commence ensuite annonce celle qui déstructurera le récit ; le thème du livre est posé : Demange va être appelé, aspiré par une autre réalité, vers laquelle il se tourne peu à peu en perdant ses repères.
A première lecture, le lecteur distrait retiendra peut-être seulement, en même temps que le cadre temporel (l’hiver) déjà présent dans le titre, le mot « secret » qui l’oriente vers une lecture propre au genre policier, en « narcotisant » ce qui la menace, oblitération facilitée par la nature poétique de l’épigraphe, dont la lecture est plus impressive qu’analytique au premier abord. Il y a de surcroît une certaine tradition de l’épigraphe savante ou poétique dans le polar, visant sans doute à valoriser l’écriture noire. Par exemple, en ouvrant Exit de Paul Clément, le lecteur de la Série Noire commence sa lecture par un extrait du Deutéronome ; un vers de Moréas sert d’épigraphe à Histoire d’ombres, de Jaouen.
Mais en y réfléchissant, on comprend que l’épigraphe programme ici une attitude de lecture faite de disponibilité au texte, d’abandon des « promenades inférentielles 486 », attitude sans doute attendue par tout créateur, à l’image d’Italo Calvino :
‘« lire veut dire se dépouiller de toute intention et parti-pris, afin d’être prêt à accueillir une voix qui se fait entendre au moment où on s’y attend le moins . 487»’L’ambiguïté de la stratégie auctoriale est donc perceptible, déjà, dans ce qui entoure le récit. Finalement, le paratexte pose pour un texte herméneutique (et sans doute pour tout texte) la règle du jeu dont on ne devrait pas pouvoir se passer : c’est ce qui expliquerait les erreurs d’orientation du lecteur d’Amette et de celui de Marsé, l’un commençant une partie d’échecs et se retrouvant devant un Scrabble quand l’autre fait l’inverse. Le lecteur critique, c’est finalement le joueur qui après avoir perdu, se précipite sur la règle du jeu pour comprendre son erreur.
A.M. Boyer, « Questions de paralittérature », in Poétique n° 98, p. 148.
Th. Narcejac, une Machine à lire, p. 221.
Ibid., pp. 228-229.
U. Eco, Lector in fabula, p. 65.
R. Barthes, le Plaisir du texte, p. 11 : « Ce lecteur, il faut que je le cherche (que je le « drague »), sans savoir où il est. Un espace de la jouissance est alors créé. Ce n’est pas la « personne » de l’autre qui m’est nécessaire, c’est l’espace : la possibilité d’une dialectique du désir, d’une imprévision de la jouissance : que les jeux ne soient pas faits, qu’il y ait un jeu. »
M. Picard, « la lecture comme jeu », in Poétique n° 58, p. 258. Cf. également M. Picard, la lecture comme jeu.
N. Wiener, Cybernétique et société, cité par Th. Narcejac, op. cit., p. 228.
R. Barthes, le Plaisir du texte, p. 86. Dans S/Z, R. Barthes dit aussi , p. 166 : « chaque fil, chaque code est une voix ; ces voix tressées - ou tressantes - forment l’écriture ». Cf. aussi R. Belletto, les grandes Espérances de Charles Dickens, p. 463 : « et les grandes Espérances de Charles Dickens sont décidément une toile d’araignée dans laquelle se tissent à l’infini et à la perfection, la perfection d’une toile d’araignée, d’ahurissants réseaux de sens et de sons ».
M. Riffaterre, la Production du Texte, p. 197.
U. Eco, op. cit., pp. 63-64.
T. Todorov, « la Lecture comme construction », in Poétique n° 24, Narratologie, Seuil, 1975, p. 421.
F. Schuerewegen, « le Lecteur et le lièvre », in la Lecture littéraire, p. 57.
Cf. J.C. Vareille, Filatures, p. 42 : « Car à la mystique du continu fait évidemment pendant la peur panique du manque, du trou. Comme la nature ancienne, le détective a horreur du vide. »
Cf. T. Todorov, « les Catégories du récit littéraire », in Communications 8, l’analyse structurale du récit (1966), Seuil, Points, Essais, 1981, p. 153 : « Ainsi nous remarquons notre rôle de lecteur dès que nous en savons plus que les personnages car cette situation contredit une vraisemblance dans le vécu ».
A. Robbe-Grillet, Entretien avec Uri Eisenzweig, Littérature n° 49, p. 21.
L. Dällenbach, « la Lecture comme suture », in Problèmes actuels de la lecture, Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle (juillet 1979), sous la direction de L. Dällenbach et J. Ricardou, Clancier-Guénaud, Bibliothèque des Signes, 1982, p. 36. Cf. aussi Cl. Bremond, Logique du récit, pp. 158-159, à propos du manque informatif en ce qui concerne les mobiles des personnages, et les influences à l’origine de ces mobiles : « Ce silence ménage à chaque lecteur la liberté, s’il le veut, d’élaborer des hypothèses, de rêver autour du récit . » (souligné par nous).
Ch. Grivel, Production de l’intérêt romanesque, p. 263.
Cf. Ch. Grivel, « les premières Lectures », in la lecture littéraire, p. 131 : « Je veux lire - et lire pourtant ce qui n’est pas écrit, ce que l’écrit ne contient pas, ce qui l’excède, ou qui l’expire... ».
U. Eco, Lector in fabula, p. 174.
U. Eisenzweig, dans le Récit impossible, p. 199.
A. Robbe-Grillet, Entretien avec Uri Eisenzweig, Littérature n° 49, p. 20.
L. Marin, le Récit est un piège, Paris, Minuit, coll. « Critiques », 1978, p. 75.
P. Bayard, op. cit., pp. 42-43 (souligné par l’auteur).
U. Eco, op. cit., p. 162.
U. Eisenzweig, « l’Instance du policier dans le romanesque », in Poétique n° 51, p. 300.
J. L. Borges, « le Conte policier », in Autopsies du roman policier, p. 291. Pour nous, le lecteur passif serait celui qui lirait en relâchant son attention vis-à-vis des indices. Dans le cadre du roman policier, ce type de lecteur peut se laisser bercer par les clichés. Ces derniers sont d’ailleurs là pour cela : tout lecteur non professionnel (et même...) est en fait alternativement actif et passif, ce qui permet évidemment à l’auteur (policier) de le surprendre et de le charmer.
Cf. M. Riffaterre, la Production du Texte, p. 157 : « Le lecteur le plus ignorant de la rhétorique est conscient de l’importance des descriptions de décors dans le roman, espèces de périphrases désignant les personnages, leurs émotions, leur état d’esprit, et surtout leur évolution psychologique et morale. »
P. Ricoeur, Du texte à l’action, p. 156.
Cf. F. Lacassin, Mythologies du roman policier, Tome 1, U.G.E., 10/18, 1974, p. 181 : « Le meurtre, ou plutôt l’énigme qu’il sécrète, est un défi lancé par la logique d’Alice et de Lewis Carroll à celle d’Aristote et Descartes. » Pour F. Lacassin, p. 110, le roman policier est le « plus moderne refuge » du merveilleux. Cf. aussi Th. Narcejac, op. cit., pp. 163-166. Th. Narcejac souligne l’utilisation du nonsense dans la destruction du lien signifié/signifiant. Il signale également le rôle de la polysémie, qui fait douter de chaque indice. Quant à Edmund Wilson, dans « M. Holmes, c’étaient les empreintes d’un chien gigantesque », in Autopsies du roman policier, pp. 102-103, il assure aimer lire Conan Doyle pour la parenté de son oeuvre avec les contes de fées, et il la relie à Alice et aux « nonsense » d’Edward Lear.
Cf. U. Eco, op. cit., p. 116.
I. Calvino, cité par A. Montandon, « En guise d’introduction », le Lecteur et la Lecture dans l’oeuvre, Actes du Colloque International de Clermont-Ferrand, Faculté des Lettres de l’Université de Clermont-Ferrand II, p. 11.