La dernière aide équivoque qui peut orienter la lecture, première ou seconde, et donner des indications sur ce à quoi réfère le texte, se trouve dans les personnages principaux, qui diégétisent dans les deux romans le lecteur, par le biais de l’importance accordée à leur regard, comme d’ailleurs chez Belletto ou chez Montalbán et son Private Eye. Ce qui se passe dans nos romans est à relier au rapprochement opéré par Alain Montandon entre le « lecteur fictif » (personnage représentant le lecteur) et certains personnages picturaux, spectateurs du décor-sujet de la toile‘, « personnage[s] index désignant l’acte de vision à l’intérieur même du tableau488 »’ et parfois même le montrant du doigt : le thème du regard est omniprésent et caractérise les policiers de Marsé et d’Amette beaucoup plus que l’action. Rien que cette opposition voir/faire devrait éclairer le lecteur sur la nature du texte, qui se coupe du roman policier ou du polar.
Pourtant, le regard est l’activité herméneutique par excellence, le mode premier de la recherche. Demange est très souvent devant des baies vitrées, le policier de Marsé inspecte toutes les rues où il baguenaude avec Rosita ; Demange se perd dans la contemplation d’éléments hors-enquête, l’« inspecteur » observe le Barcelone du 8 mai 45, et, par superposition, celui de la Guerre Civile, par le biais de ses souvenirs : c’est donc de ce côté-là que le lecteur doit diriger ses regards pour comprendre vers où le mène l’oeuvre. Aide équivoque cependant, à cause de l’implication du détective ; il n’est pas ce personnage-prétexte du tableau, qui n’assume qu’une fonction : il est le héros. Comment donc le héros, avec tout ce qu’il endosse d’affects, pourrait-il désigner à la vue du lecteur autre chose que lui-même ? Même si, chez Marsé, il se manifeste comme un anti-héros, affaibli et repoussant, et qu’il se dénonce comme personnage-prétexte par l’anonymat, les habitudes de lecture sont trop fortes pour que le regard du lecteur ne se concentre pas sur le personnage central - et dans le domaine policier, sur le surhomme espéré derrière l’enquêteur.
La « direction » indiquée par nos deux textes est finalement excentrée, et sert à désigner la prise de distance inhérente au jeu et nécessaire à la lecture ; d’où l’excentricité des deux policiers, excentricité dont Uri Eisenzweig fait une caractéristique commune à l’enquêteur et à l’écrivain :
‘ « excentrique, parce que de goûts bizarres (ténèbres, mutisme), le Grand Détective l’est également parce que littéralement (encore que partiellement) hors du centre, hors de l’univers où se déroule l’histoire 489 . » ’Excentrique, ajoute Alain Montandon, parce que curieux, désirant voir et connaître, comme le lecteur490. Chez Amette, désorientant le lecteur, le personnage central l’invite à chercher en lui-même la solution, à se poser des questions, bref, à ramener à lui-même la signification de la fiction. De plus en plus excentrique et mal vu par les autres personnages (qui eux jouent le jeu), ‘« loin des tromperies et des ’ ‘jeux de surface’ ‘*491 ’» (quatrième de couverture), Demange semble montrer la voie à suivre au lecteur en se déprenant lui-même de la fable, de la fiction : ainsi, son regard passe petit à petit de plus en plus à côté des objets de l’enquête, négligeant par exemple des témoignages, ne les laissant pas entrer dans le texte malgré leur volonté d’y figurer ; ou bien encore, il dépouille un personnage de son aura fictionnelle (l’homme de main devient un ouvrier agricole, comme s’il avait quitté son costume de scène) et il prive le texte de ses potentialités fictionnelles policières en coupant court aux indices ; ainsi s’isole-t-il de plus en plus. Quand, finalement, il ne reste plus que lui, il se gomme également, en tant qu’ultime support d’irréalité ; et il tire sa révérence, on l’a vu, comme un personnage de théâtre, sans aucune réalité : première lecture possible de la fin du roman, qui finit en même temps que son personnage-rôle, puisque
‘ « Le récit est la forme du rôle, le rôle la matière du récit 492 . » ’Une autre figure du roman thématise cette mise à nu du support de l’illusion romanesque qu’est le personnage : il s’agit de cette femme rousse qui gît dans un sommeil d’une profondeur suspecte, alors que Demange et Aubain l’observent en en parlant comme d’un objet ou d’une personne absente : ‘« C’est un beau corps. Un corps de femme »’ (154). ‘« Une chair pleine et une expression vide »’ (155). Cette femme est abandonnée sur un fauteuil comme une marionnette inutilisée, matériel inemployé de la diégèse et qui reste vacant. La permanence de cette situation (on ne la verra plus) fait apparaître la vérité de l’illusion romanesque, qui n’est permise que par un personnage en situation, en action, par le biais de l’identification. Dans le même chapitre, le cas de Chapec illustre encore le fonctionnement de l’illusion : en tant qu’homme de main, il appartient à la mise en scène, comme l’acteur Sallenave, il engendre de la narration ; en tant qu’ouvrier agricole, il est éliminé du domaine narratif, pure éventualité mise entre parenthèses puis chassée du champ des possibles du texte, parce que ‘« ça n’intéresse personne, un ouvrier agricole »’ (157).
Le roman d’Amette semble donc viser à désintoxiquer un lecteur trop enclin à se laisser prendre au jeu, lecteur qu’Alain Montandon qualifie de « perverti » :
‘ ‘« Il n’est donc pas rare que donnant à lire, le texte insistât sur la nécessité de se déprendre du mouvement pervers animé par toute lecture, afin d’échapper à ce processus d’irréalisation, de désubstantialisation des choses que certain appelle avec bonheur un « Walkman moral »493. »’ ’Amette met en scène par l’écriture cette « désubstantialisation », qui nous donne une autre interprétation possible de la fin du roman ; le récit devient petit à petit une collection d’images et de fantasmes, comme si on accédait à l’intériorité troublée du commissaire qui ne s’appartient plus, s’étant trop plongé dans la vie des autres, trop identifié à un personnage de roman : ‘« Il avait passé sa vie à contempler celle des autres, Demange. Comme un chat. Et brusquement, il avait été dévoré par le reflet du chat [...] Demange avait perdu son ombre.[...] Il avait cru en retrouver une, très belle, sous les traits de ce comédien [...] Ce comédien grandissait à mesure qu’on s’occupait de ses souvenirs »’ (150). L’hypnose dont est l’objet le lecteur « perverti » est figurée dans l’attitude du commissaire, de plus en plus ensommeillé (trajet inverse du héros de Belletto) et régressif, heureux de retourner dans le ventre maternel, dans ‘« le centre de quelque chose, dans un refuge irréel mais vrai, chaud, où il peut enfin s’abandonner »’ (172), d’où il ne verra plus le monde que depuis le mince orifice d’un « oeil-de-boeuf » (183) derrière lequel nul ne le voit.
Quant à Marsé, il inscrit dès les premières lignes dans l’excentricité de son détective aux ‘« yeux mi-clos »’ (71) une fâcheuse tendance à fermer les yeux dans les deux sens du terme. Il est ‘déjà « aux portes du sommeil’ » dans l’incipit (tout en marchant !) et, dans ce vestibule qui est comme le hall d’entrée du roman, il s’endort. Au lecteur de rester vigilant, car des choses se passent dans le texte. D’autre part, l’inspecteur a une forte propension à regarder ailleurs, tendance là aussi mal vue de son entourage et de ses supérieurs, mais qui oriente le lecteur vers toute une vision socio-historique de l’Espagne de 1945 avec le souci, comme Montalbán, d’en souligner la misère ; l’inspecteur se caractérise aussi par un désengagement initial (et non progressif comme dans Enquête d’hiver) de toute enquête, de tout débat, de tout jeu collectif : ‘« Son regard erratique glissa le long de la colline poussiéreuse à la suite d’un petit garçon qui descendait la pente sur les fesses, sans rien dire, ’ ‘jouant tout seul*494 ’ ‘ »’ (88). Le personnage principal cumule donc métaphoriquement deux attitudes du lecteur, l’une positive (la vision biaisée), l’autre négative (le demi-sommeil), d’une façon concurrentielle, jusqu’à la fin du récit - peut-être à l’image de toute lecture, le lecteur étant parfois concentré et attentif, en éveil, et par moments rentrant en lui-même : dans ses souvenirs, dans tout ce que le texte (Barcelone pour l’inspecteur) lui fait retrouver de son passé et de son expérience, mais aussi dans son corps (corps souffrant pour l’inspecteur).
Ainsi, le texte est parsemé d’images de l’aveuglement (le suicide des pigeons aveugles, l’aveugle, ‘« au regard suspendu dans le vide »’ (73)) et d’extrême lucidité : ‘« les fleurs louches des fèves brillaient comme des yeux »’ (113) ; cette lucidité est d’ailleurs préconisée par Rosita ‘: « La carotte, c’est très bon pour la vue. Vous en voulez une ? »’ (69). Elle semble inviter le lecteur à exercer son regard, en évoquant certaines personnes à qui l’on fait prendre des chats pour des lapins : ‘« il y a des gens qui sont aveugles, vous ne croyez pas ? »’ (87). C’est grâce à Rosita que l’inspecteur réagit et récupère une certaine attention, en se détournant ‘« des réverbères aveugles et décapités » (110) : il la fouille du regard, « d’un oeil méfiant »’ (74), et peu à peu, elle le met en état d’alerte : ‘« L’inspecteur regarda autour de lui avec un trouble croissant »’ (97-98). ‘Elle est d’ailleurs pourvue d’un « regard torve [...] affligé de strabisme » (71). ’
Ce strabisme est nécessaire chez le lecteur de Marsé, qui doit regarder dans plusieurs directions à la fois (l’histoire du viol, l’histoire du mort, l’histoire de l’Espagne) sans se laisser aveugler par l’une ou l’autre495... et sans s’endormir dans la sécurité de la connaissance. L’ultime regard du texte, celui du cadavre ‘« vitreux et bleu »’ (121) dans lequel se mire et se confond l’inspecteur, est un miroir renvoyé au lecteur qui doit réfléchir et reprendre l’investigation dans l’après-texte :
‘« Le texte écrit n’est qu’un index tendu vers un texte non-écrit, mais qui est à donner à lire au lecteur « aveugle »496. »’Marsé cumule donc ‘« l’empêchement de penser »’ (P. Bayard) de la littérature policière avec la stimulation à la réflexion, fréquente dans la littérature « sérieuse » : c’est que la réflexion doit justement porter sur cet empêchement, sur un aveuglement historique, conséquence idéologique du Franquisme et d’une tendance naturelle à la cécité. Celle-ci est aisément perceptible, puisque Marsé recourt à un autre procédé utilisé par l’auteur de policier classique, mise en évidence par Pierre Bayard : ‘« l’exhibition »’ de la vérité. En effet, malgré la révélation de certains indices probants comme la date du 8 mai 1945 ou toutes les allusions aux « disparus », le lecteur peut négliger d’y voir clair.
Nos deux textes, comme ceux de Montalbán et de Belletto, inscrivent donc dans leurs thèmes principaux la vision, image de la lecture et de ce que le roman donne à voir. Si la curiosité est ‘« le moteur fondamental de la lecture497 »,’ le lecteur, pour trouver un intérêt à lire le texte, doit accepter pleinement l’illusion, c’est-à-dire qu’il doit accepter de concevoir le texte comme un ‘« appareil optique permettant d’accéder au monde 498 »’ et non comme un simple amas de signes sur papier. Il doit sauter immédiatement et consciemment du signifiant au signifié pour que soit mise en place l’illusion référentielle.
Distinguons au passage, puisque le texte de Marsé nous y invite, cette forme d’illusion délibérée, dont nous verrons quel rôle elle remplit dans la lecture littéraire, de l’illusion fantasmatique. Ainsi une des façons qu’a Rosita de gagner sa vie est de regarder, car ce regard est porteur de jouissance ; elle fait jouir ses jeunes amis des rues en les dévisageant alors qu’ils sont en train de se masturber : ‘« Dépêche-toi. Pense ! »’ (64) ; ‘« elle préférait les regarder bien en face, pour voir leur regard de plus en plus perdu, leur expression de plus en plus hébétée et rêveuse, à mesure que dans leurs yeux croissait cette fleur de mélancolie et de stupéfaction ’» (66). Le plaisir de Rosita repose sur l’observation, l’analyse d’indices et la distanciation (elle revendique le droit à rire) ; le plaisir des garçons est totalement hypnotique, il vient d’une transgression des interdits sexuels par procuration. Le regard de Rosita active si bien le fantasme que l’un des garçons parvient à jouir en superposant à ce regard des images fantasmées du viol de Rosita transférées à la situation présente. Toute cette scène évoque la lecture de scènes sexuelles dans les romans, dont Guy Scarpetta a montré le rôle structurant, trop souvent négligé499. Mais tout de même, il est clair que Marsé valorise le regard de Rosita par rapport à celui des garçons ‘(« Quelles têtes d’ahuris vous faites ! »’ (66)) en tant qu’il est jouissance et lucidité conjuguées, selon le principe de Charles Grivel :
‘ « La connaissance du jeu est inséparable du plaisir que j’en retire 500 . » ’Revenons donc à cette illusion référentielle intentionnelle, source d’un intérêt et d’une curiosité qui vont activer la lecture, et provoquer chez le lecteur ces stratégies dont nous parlions, incluses dans la stratégie textuelle globale, c’est-à-dire voulues et suscitées par l’auteur. Ainsi, si un certain investissement est nécessaire aux activités ludiques, il l’est aussi dans le domaine de la lecture, le ‘« faire semblant »’ étant un prérequis indispensable ; et il l’est encore plus dans le domaine de la littérature herméneutique puisqu’il faut que le lecteur accepte de faire comme si pour initier une lecture active et participative, pour entreprendre un déchiffrement minutieux, dont il fera l’économie s’il refuse d’entrer dans ce monde. Or, pour Alain-Michel Boyer, le rituel créé par le roman policier joue un rôle important dans cette « ‘suspension volontaire de l’incrédulité501 ».’ La convention est un code, comme le ‘« il était une fois »’, qui désengage du monde réel.
Les deux romans de Marsé et d’Amette jouent d’ailleurs avec cette loi de lecture ; le narrateur de Boulevard du Guinardo semble simplement vouloir nous raconter une histoire, mais la crédulité du lecteur peut être remise en cause par la reconnaissance d’éléments appartenant au réel : lieu déterminé, mais surtout, événements historiques, précisément datés. La localisation spatio-temporelle, traditionnellement utilisée pour « faire vrai » à l’intérieur d’une fiction, est si précise et si pleine de contenu référentiel qu’elle peut nuire à la perception du texte comme fiction. Pour Alexis Tadié, cette identification met fin au « faire-semblant » et pèse de deux façons sur la lecture : le texte n’est plus perçu comme une fiction, mais comme une interprétation du contexte historique. Boulevard du Guinardo est un roman troublant, puisqu’il ne se laisse pas lire comme fiction ou comme histoire, pas même comme fiction historique502: les deux plans, s’ils interfèrent, tendent à s’exclure mutuellement, processus qui est mis en scène de façon révélatrice dans le récit, les deux personnages centraux vivant en marge de l’actualité et s’y maintenant malgré la pression. La scène où l’inspecteur refuse de retenir les grands titres de la presse, se cramponnant aux résultats sportifs, est révélatrice de ce qui se passe à l’échelle du récit entier, suspendu à la fiction (le viol de Rosita, la « fable » du texte), commandée par elle, au mépris de ce qui déchire de plus en plus cette trame, poussant derrière la porte où elle se protège : le contenu historique.
La fiction parvient dans un premier temps à contenir l’histoire comme simple décor, mais vient le moment où celle-ci fait retour sur celle-là, déboulonnant la fable et s’affichant comme sujet du texte : la deuxième identité du mort fait basculer le texte dans l’histoire, et son anonymat, dommageable au niveau fictionnel (en particulier dans un texte policier) est pleinement justifié, ce mort représentant finalement toutes les victimes de la police franquiste, elle-même désignée collectivement (les grises qui hantent la ville) et métonymiquement par le tout aussi anonyme « inspecteur ». L’attitude de ce dernier, qui provoque le scandale final au niveau de la fiction policière, se justifie également si le texte est perçu en tant qu’interprétation historique : si son apathie par rapport au viol de Rosita peut évoquer la façon dont le régime traitait alors l’histoire proche (la guerre civile), son désintérêt total par rapport au mort figure la manière dont l’état tait les événements contemporains, travestissant les crimes, faisant vivre le pays dans une image fictionnelle de lui-même, isolé du monde lui aussi. Le texte insiste sur le thème du mensonge, diégétisé par le personnage du charbonnier, qui cache pendant tout le récit sa nature véritable sous « son masque de charbon » (113) ; mais Marsé inscrit de surcroît ce thème dans la structure textuelle, avec cette lecture alternative. Alexis Tadié oppose fiction/mensonge à histoire/vérité en se référant à leur sens originel :
‘ « C’est en ce sens un discours détaché du monde, privé de la recherche de vérité et des essences, qui caractérise la fiction naissante. Mais le concept apparaît également, comme l’inverse, le négatif, la négation de l’histoire, conçue à l’origine comme faits accomplis (res gestae). La fiction n’est en ce sens que mensonges, pratique du faux, contrairement à l’histoire, qui dirait vrai 503 . » ’Boulevard du Guinardo présente cette opposition d’une manière étonnante : le roman construit une fiction ; cette fiction masque l’histoire, l’évite, au gré de la promenade des deux protagonistes. Dès qu’il y a pause, fixation, le décor se met à parler d’histoire et il faut vite repartir : au commissariat, devant des lieux évoquant la torture, etc. La fiction ment, étouffe l’histoire. Le lecteur, lisant une fiction, reçoit au dernier chapitre le poids historique d’autant plus fortement qu’on lui avait permis de l’ignorer et qu’il compromet le plaisir inhérent à la suspension de la référence. L’histoire se présente comme manipulée : au niveau du récit, par sa négation, par son traitement orienté (les torturés sont des « suicidés ») ; au niveau de la narration par sa fictionnalisation, qui accentue la part interprétative de tout récit historique, et par le point de vue adopté (la troisième personne), qui tend à faire oublier cette interprétation ; ce qui fait dire à Louis Marin dans le Récit est un piège :
‘« Qui est le piégeur ? Le narrateur dissimulé dont le récit dénie la présence. Et le piégé ? Le lecteur qui croit entendre le récit des événements eux-mêmes à la faveur de cette absence et qui écoute de cette voix inaudible la sentence de la vérité même dans le fait sur la page transcrit : histoire504. »’Cette interprétation (celle que Marsé donne de l’après-guerre civile) est bien entendu valorisée par le renversement final : l’histoire prend le pas sur la fiction au moment où se fait la révélation (en particulier dans l’intertexte policier), l’interprétation se laisse prendre pour une révélation. Le mot « mensonge » prend alors une double signification dans l’appréciation finale de Rosita par l’inspecteur : ‘« Il considéra ce mensonge (falacia) ambulant qu’était l’orpheline, la pieuse tromperie de son pèlerinage avec la chapelle, son errance solitaire au bord de la faim et de la prostitution et cette dernière et involontaire contribution au mensonge (mentira) [...] »’ (123).
Le premier mensonge est de l’ordre de la fiction, il la constitue ; mais le second est historique, il faut le dénoncer, ce à quoi s’attelle le récit. Le malheureux est certes renvoyé à l’anonymat, aussi bien par l’inspecteur que par Rosita, qui finit, dans les dernières lignes du roman, par jeter « dans le trou noir » de l’égout le pigeon dont le sort symbolise celui de l’homme torturé. Mais ce dernier sera malgré tout sauvé de l’oubli, par l’écriture... ‘« Je ne l’avais pas vu, je t’aurais évité cela... »,’ dit le représentant du pouvoir à Rosita ; la non-vision (l’exclusion) permet la ré-vision que va être le roman. Car en racontant comment quelqu’un a été tué, et, à travers lui, comment un événement a été tu, Marsé rétablit ce qui a été effacé et sa récupération par le langage est définitive :
‘ « L’effacé revient dans le récit de son effacement [...] 505 » ’Comme dans le roman policier ! Le genre remplit bien ici son rôle, véritablement, cette « forme d’exhumation 506 » qu’y voyait Ernst Bloch. Mais ici ce n’est pas le policier qui remplit cette fonction traditionnelle de reconstruction des faits et de rétablissement de la vérité, bien au contraire. C’est cependant avec sa complicité que le texte, assumant ce rôle, s’attache d’abord à ce que le lecteur se désintéresse du fait divers (le viol, récit rendu lisible), pour rétablir à sa place légitime l’histoire (toujours obscurcie). Les éléments policiers dans Boulevard du Guinardo, engagent la crédulité du lecteur au moins dans un premier temps ; ils donnent au récit une structure suspensive qui attache au dénouement, rendant ainsi le discours historique extrêmement efficace507. Le lecteur, à la fin, comprend qu’en tant qu’histoire le texte prête à caution ; mais l’investissement initial de sa crédulité et le choc final qui lui fait prendre l’histoire de plein fouet, garantissent un retentissement à l’oeuvre. Retentissement dont elle a besoin en tant que fiction (désirant séduire), en tant qu’interprétation historique (voulant convaincre) et en tant que parabole. Il s’agit alors de construire une fiction suivant ce qu’Emmanuel Bouju appelle l’« esthétique du trompe-l’oeil » :
‘ « Pour faire d’une fiction narrative une sorte de trompe-l’oeil, il faut donc aller au-delà du contrat classique de lecture, exploiter la « mise en suspens de l’incrédulité » (Coleridge) jusqu’à ménager au lecteur, derrière l’expérience première d’un texte- façade, la prise de conscience ultime d’une feinte des perspectives 508 .» ’On conçoit alors, du même coup, l’importance donnée à la renarrativisation - qui passe d’ailleurs par l’assimilation de la littérature populaire - pour le courant postmoderne espagnol dans lequel se situe Marsé, qui donne une place considérable à l’histoire. Il est capital pour un tel livre-parabole d’être d’une lecture aisée, transitive, accessible à tous. C’est sans doute pourquoi l’auteur part d’un fait divers (le viol d’une petite fille) - Georges Auclair signale d’ailleurs que le régime franquiste interdisait aux journaux d’en faire la chronique, jugée avilissante pour l’image du pays. Sans se laisser prendre au piège réducteur du fait divers, en en déplaçant habilement la portée générale509, Marsé peut alors utiliser les armes les plus percutantes de la technique narrative ; son discours est un discours de force, qui utilise les tactiques narratives policières, les machinations de ce roman de la ruse qu’est le roman policier pour s’opposer au discours de la force, c’est-à-dire du pouvoir, qui s’affiche comme le seul discours possible, mentant510 et taisant, discours ici représenté par ce cadavre parlant d’un homme qu’on a réduit au silence pour faire de lui un mensonge. En se dissimulant, le narrateur-piégeur va être en mesure de révéler ce mensonge, faisant même en sorte qu’il se révèle de lui-même, piégeant le langage du pouvoir.
Ce roman de Marsé semble donc bien être une « fiction exemplaire », selon l’expression de Thomas Pavel, c’est-à-dire une oeuvre basée sur « l’illusion idéologique », échafaudée sur un support non fictif et intégrant sa propre interprétation :
‘ « De même, les fictions exemplaires et idéologiques partent d’une base non fictive d’où l’oeuvre dérive une sorte de légitimité précaire ; des prolongements fictifs sont ensuite construits selon les besoins de l’idéologie, souvent de manière à brouiller les frontières entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas 511 . » ’Il semble bien que la subversion opérée par Marsé rende cette interprétation plus frappante que celle du néo-polar français, parce qu’elle utilise pleinement cette stratégie du brouillage : la stratégie de Didier Daeninckx ou de Jean-François Vilar ne repose pas sur autre chose que la démarche herméneutique (alimentée par les indices) et sur le suspens policier pour attacher le lecteur au récit ; le roman est dès lors immédiatement perçu comme une interprétation historique (« de gauche ») et, comme telle, ne peut compter sur l’investissement total du lecteur (ou de tous les lecteurs) comme c’est le cas chez Marsé, grâce à l’alchimie entre fiction et histoire, qui tour à tour endort et réveille le lecteur, le captive et le capture.
La fiction se dit alors zone frontière, et problématique pour la lecture512, entre vérité, mensonge, histoire, et cette dernière révèle sa nature fictionnelle, mise en avant par Paul Ricoeur, pour lequel l’histoire, au même titre que la fiction - étant l’une et l’autre des modes de composition des événements -, est reconstruction, refiguration, interprétation. En tant que telle, elle constitue l’arme idéale pour faire penser le lecteur, et pour le rendre actif en dehors du texte, dans le prolongement qu’il lui donnera ; c’est ce qui donne à la fiction sa valeur pragmatique, puisque le modèle de description qu’elle donne
‘ « doit donc intégrer la relation texte/contexte historique, autrement dit : la relation événementielle par laquelle la fiction provoque son destinataire à la prise de position 513 . » ’Le récit d’Amette capture le lecteur de tout autre façon, l’histoire (la dernière guerre) servant surtout de décor significatif à l’action. Ce qui se passe ici est très différent : Enquête d’hiver, ne remplissant plus à partir d’un certain moment son contrat, met en scène le réengagement de la méfiance du lecteur. Embarqué dans la quête du héros de façon traditionnelle, s’accrochant à son désir de conformité, il le suit loin dans ses errements, mais finit par se résoudre à passer dans l’autre camp. L’affaissement de Demange lors de l’épilogue résulterait de ce changement de position. On passe de la vision « avec », pour reprendre la terminologie de Jean Pouillon514, à une non-vision : le personnage nous échappe, malgré les passages de monologue intérieur, qui éclairent le désengagement progressif du personnage de son rôle habituel - symétrique du désengagement du récit. L’énigme retombe en fait divers clos sur lui-même et définitif, aisément réductible : ‘« Un comédien un peu dépressif s’est jeté en voiture dans la mer »’ (96) ; ce fait divers conforte des stéréotypes ‘(« Souvent, les comédiens font maladifs »’ (19)) et ne contient aucune opposition qui pourrait intéresser, puisque c’est le paradoxe contenu dans certains faits divers qui permet leur sélection, c’est-à-dire leur conversion en récit515.
Alors, qu’est-ce qui retient l’attention du lecteur ? D’abord, nous l’avons dit, la force de l’habitude, les quelques éléments inquisitoriaux suffisant à alimenter la lecture policière ; comme dans la Promesse de Franz Dürrennmatt, où le lecteur continue à « supporter » le détective malgré ses errements et sa déchéance (proches de ceux de Demange), fidélité qui sera récompensée, malgré le tragique de la fin, parce qu’il sera démontré que le détective avait raison et que son analyse était bonne. Rien de tel chez Amette, et d’ailleurs, cela va plus loin ; si le fait divers était resté une énigme pour Demange pendant la deuxième partie, il y renonce de lui-même et l’assimile à d’autres faits divers, comme celui de l’ouvrier agricole ‘(« rien qu’un ouvrier agricole qui s’est tué sur la route »’ (156)), version prosaïque de la mort de l’artiste génial, mais qui présente au moins l’intérêt de pouvoir être raconté, de susciter une légère curiosité : ‘« Et cette histoire d’artichauts ?’ » (157).
A partir de ce moment précis, il est certain que le texte ne se déroule plus comme une déduction, aussi bien en ce qui concerne le personnage de l’enquêteur que dans l’approche du texte par le lecteur. En effet, ce dernier, déstabilisé par la déliquescence de la matière policière et du récit, a sans doute relâché son attention, ne cherchant plus à précéder les raisonnements d’un enquêteur qui apparemment n’en produit plus ; le lecteur a ainsi peu de chance de remarquer ce que le commissaire néglige de dire (et néglige tout court, puisqu’il se désintéresse de l’enquête) : qui est cet ouvrier agricole ? N’est-ce pas Chapec, l’homme de main des Boislevent, connu officiellement sous cette profession et se déplaçant lui aussi en mobylette ? Sa mort est-elle dès lors vraiment accidentelle, ou a-t-elle un lien avec celle de Roland Sallenave ? Ces questions, si elles étaient posées, relanceraient l’enquête. Si le lecteur ne voit rien, c’est qu’Amette a réussi à détruire le scénario induit précédemment ; s’il est encore assez vigilant pour remarquer ce que le narrateur a laissé négligemment traîner dans son récit, il se rend compte qu’il est bien le seul à se poser des questions. En effet, le détective et son créateur montrent explicitement (et sans doute ironiquement) qu’ils se désintéressent totalement de ce type de questionnement, pourtant suscité par eux initialement.
Ainsi, encouragé par l’éclatement de l’action, par l’impossibilité de réduire les personnages à des oppositions actantielles et par l’abandon manifeste d’une stratégie policière, tant au niveau de l’action qu’à celui de la narration, le lecteur change de mode de lecture ; il doit « lâcher », c’est-à-dire céder à la nouveauté, se défaire de ces fameuses habitudes de lecture et des codes d’accès au texte, de cette position confortable, finalement, dans laquelle l’intertextualité sert tantôt d’oreiller (tant il est agréable de s’enfoncer dans le déjà-vu), tantôt d’accoudoir (puisque l’intertexte décode le texte présent). Amette met ainsi le lecteur en situation fâcheuse puisqu’il lui ôte son assise référentielle en rompant avec le déjà-lu. Pour nous détacher de cette assise, Amette y va fort : dans le courant de la deuxième partie et dans la troisième, Demange se met vraiment à faire n’importe quoi (par rapport à ce qu’on attendrait), et Hansen le confirme dès le début de la seconde partie : ‘« Tu files un mauvais coton... »’ (106) ; le commissaire ne travaille plus (sauf le dimanche !), a un langage décalé (il répond à la plainte d’une vieille femme en la complimentant sur son prénom), comme le texte, qui ne nous dit pas ce qu’on attend ; bref, il n’est plus crédible. Hors-la-loi, ou privé de référence, il entre en errance, dans des cimetières, des bars, des réceptions, des sentiers, en même temps que le texte, qui quitte le personnage (chap. 29) ou offre des séquences étranges, comme la scène où Demange, dans la bibliothèque des Boislevent, et en compagnie du juge d’instruction Aubain, tourne autour de la belle endormie pour l’observer, épisode parfaitement inutile à l’intrigue au niveau événementiel. Si nous citons cette scène parmi d’autres, c’est que le lieu n’est pas indifférent, puisqu’il permet au héros d’énoncer un jugement négatif à l’égard de la Bibliothèque, réduite à des termes taxinomiques par Aubain : ‘« Economie, philosophie, terminologie, philologie...
- Connologie, dit Demange »’ (154).
Ce n’est pas d’une condamnation de la culture qu’il s’agit (Demange passe son temps à lire), mais de sa sectorisation. Le lecteur est ainsi invité à renoncer à classer Enquête d’hiver dans la section « roman policier ». L’énigme se montre alors sous son vrai jour : non pas extérieure, comme le roman policier classique nous le fait croire, mais sécrétée par l’esprit lui-même, puisque Demange voit un mystère là où nul ne s’interroge. Amette offre ainsi successivement deux plaisirs du texte : celui d’être jusqu’à satiété dans un terrain connu, confortable, et celui de la destruction des habitudes de lecture ; il amène le lecteur à faire comme Demange, démangé par l’envie de trouver autre chose à regarder que les ‘« malheureux morts qu’il visitait dans les morgues »’ (119), et qui ne veut plus aller manger la soupe servie de toute éternité par la gentille madame Hansen, au risque de se perdre.
Dans cette perte du je, se joue toute la stratégie du texte ; le lecteur doit perdre la mémoire qui lui permettait de spéculer à partir du déjà-lu et des redondances du texte, tout ce que Lucien Dällenbach nomme ‘« les codes de décodage’ 516 ». Se délestant, il se met en danger et peut lire vraiment, croire à ce que dit le texte, c’est-à-dire entrer dans ce que Paul Ricoeur appelle ‘le « monde de l’oeuvre » :’
‘ « Ce que finalement je m’approprie, c’est une proposition du monde ; celle-ci n’est pas derrière le texte, comme le serait une intention cachée, mais devant lui, comme ce que l’oeuvre déploie, découvre, révèle. Dès lors, comprendre, c’est se comprendre devant le texte. Non point imposer au texte sa propre capacité finie de comprendre, mais s’exposer au texte et recevoir de lui un soi plus vaste, qui serait la proposition d’existence répondant de la manière la plus appropriée à la proposition du monde. La compréhension serait alors tout le contraire d’une constitution dont le sujet aurait la clé. Il serait à cet égard plus juste de dire que le soi est constitué par la « chose » du texte. [...] Lecteur, je ne me trouve qu’en me perdant. La lecture m’introduit dans les variations imaginatives de l’ego. La métamorphose du monde, selon le jeu, est aussi la métamorphose ludique de l’ego 517 .» ’Michel Picard y insiste, pas de vraie lecture (pas de vrai jeu) sans risque, sans mise en jeu de son identité en la confrontant à l’altérité sans masques, à l’imprévisibilité acceptée - c’est-à-dire sans recours aux stéréotypes - dans un vertige souvent inquiétant. On a vu d’ailleurs qu’Amette a inclus dans sa stratégie de rendre impossible ce recours, forçant ainsi la main du lecteur comme s’il lui ôtait tout joker (ou le jeton blanc du Scrabble) en lui imposant de se débrouiller avec sa donne : car, si les blancs du texte sont l’occasion pour le lecteur de suturer le texte en le faisant aller dans son sens (c’est-à-dire dans le sens de ce qu’il connaît, héritage intertextuel ou idéologique), ces blancs sont trop nombreux dans le texte d’Amette pour permettre cette opération (le lecteur devra finir par les apprécier en tant que tels), et surtout, ce qui est dit ne permet pas l’intrusion de formules stéréotypées, ce qui est dit est absolument contrariant par rapport aux clichés. Peu à peu, le texte se dégage des réseaux discursifs et des sentiers battus et, rompant avec la redondance, confronte le lecteur à l’illisible qu’on ne peut réduire. Ainsi, le récit ne se laisse pas détourner de sa route et du jeu qu’il instaure.
C’est bien d’un jeu qu’il s’agit, et les pièges sont ludiques : le vertige est rendu acceptable et constructif par la position du joueur/lecteur avisé et expérimenté, protégé par la « distance réfléchie » qu’il met entre le texte et lui, comme, rappelle opportunément Rainer Warning, ‘« celle que Plesner présuppose pour le jeu du comédien’ 518 ». Le roman thématise d’ailleurs cette posture de lecture, avec la place accordée au théâtre : l’enquête policière et humaine est centrée sur le personnage d’un acteur et une pièce sert de référent permanent. Roland Sallenave est un être changeant, par exemple dans ses conduites sexuelles, et il symbolise à la fois le simulacre et le vertige - auquel il cède, chutant du haut de la falaise, et fait céder Demange, « tombant dans le tourbillon du vide » (169) -, ou, selon la terminologie de Roger Caillois, le mimicry et l’ilinx (en grec, le tourbillon d’eau) : ‘« Un jour, le jeune et lui, on les a trouvés dans les rochers à la pointe de Grouin.[...] Alors merde, il était maquillé. Il était en train de se maquiller »’ (166-167). ‘« Pourquoi n’avez-vous jamais été actrice ?’ » (147) s'enquiert Demange auprès de la femme de l’acteur, auteur de la mise en scène de la fausse infraction du premier chapitre : ‘« Pourquoi toute cette comédie ? »’ (27).
L’auteur nous met sur la piste de l’artifice dès le début, notamment dans la description de décors apparemment réalistes à l’envi, faits de ‘« faux marbre »’ (11) et de ‘« faux becs de gaz’ » (16), finalement des « ‘décors de cinéma »’ (98). Quant à Demange, à force de se fondre volontairement dans la personnalité du comédien disparu, il se perçoit à son tour peu à peu comme rôle, un commissaire en quête de celui qui ‘« jouerait à l’assassin’ » (151) ; d’où sa curieuse remarque au sujet de Roland ‘(« Lui ? moi ? Quelle différence ? »’ (174)), qui, au-delà de sa signification éculée (l’identification entre le détective et celui qu’il recherche), renforce cette impression de simulacre général. En effet, Rainer Warning le signale,
‘ « [...] assumer par jeu les motifs, les normes et les caractéristiques de personnalité d’un modèle, s’identifier avec eux en manière de jeu, c’est toujours et en même temps les identifier comme étant joués 519 . » ’‘« Tu fais du théâtre ou quoi ? »’ (128), demande Hansen à Demange. Ainsi, l’utilisation stéréotypée de rôles fixés par l’hypotexte policier se justifierait comme procédé pour exprimer les caractéristiques du mimicry à l’oeuvre dans la lecture, pour affirmer la fictionnalité de son texte contre l’illusion référentielle :
‘ « Mimicry. - Tout jeu suppose l’acceptation temporaire, sinon d’une illusion (encore que ce dernier mot ne signifie pas autre chose qu’entrée en jeu : in-lusio), du moins d’un univers clos, conventionnel et, à certains égards, fictif 520 . » ’A cet égard, on peut encore proposer une lecture différente de la fin du roman. L’itinéraire du personnage central d’Enquête d’hiver semble en effet thématiser cette prise de distance puisqu’après avoir failli céder à l’angoisse de la dépossession et au vertige de l’étrange ‘(« Vers la fin de l’après-midi, il y avait toujours un moment où il se sentait vaciller » (’139-140)), ayant laissé pénétrer en lui l’altérité, il finit par jouer son rôle, ‘« pour s’amuser’ » (164), comme un acteur, avec la même distance ‘: « il eut les gestes qu’il faut pour fermer la loge, parcourir les couloirs du théâtre [...] »’ (185). Et la clausule du récit semble illustrer à la lettre les propos de Paul Ricoeur ; en effet, Demange, apaisé, meurt : ‘il se perd en se trouvant...’ ?
En outre, Amette a utilisé le thème rebattu de l’identification pour dissoudre le personnage romanesque, touché par un type de psychose reconnaissable, dont Tzvetan Todorov dit qu’elle est justement l’équivalent de cette orientation littéraire vers l’« indécidable » :
‘ « On passe du méconnu à l’inconnaissable. Cette pratique littéraire moderne a sa contrepartie en dehors de la littérature : c’est le discours schizophrénique. Tout en préservant son intention représentative, celui-ci rend la construction impossible, par une série de procédés appropriés [...] 521 . » ’Cette schizophrénie du personnage, rendu apathique et passif, détaché de tout, envahit la narration, sur le mode de la désagrégation : Amette rend flottants certains repères de la narration (ellipses spatio-temporelles, point de vue narratif, extension du monologue intérieur), perturbant la « fonction d’ancrage 522 » qu’ils assurent dans un texte lisible et dans la première partie d’Enquête d’hiver.
Le texte métaphorise de façon évidente ce flottement, d’abord dans le cadre spatial envahi par la liquidité : la mer ‘« avec cette espèce de sentiment de dislocation qu’elle apporte »’ (106), l’humidité, l’uniformité de la neige (à mesure que les blancs du texte se font plus nombreux), de la brume, de la nuit, du ciel et de la terre (ou de la mer) confondus. Du bar de la première rencontre entre Demange et Jenny ‘(« on se croirait dans un bateau’ » (25)) à la morgue à ‘« l’eau trouble » (36) ; des « sentiers boueux » (52) du cimetière, aux « couloirs vert d’eau »’ (117) de la demeure des Boislevent ; de la Cale Mordreuc où les maisons moisissent à la Pointe d’Ambec où la pluie confond tout « telle une nuée » (62), le paysage traduit l’engluement et l’indécision de la lecture, au rythme de la Water Music sur laquelle s’endort Demange (31).
Le commissaire est pris peu à peu dans cette liquidité. Lors de l’apparition du monologue intérieur, apparaissent les premières métaphores liquides révélant l’état moral du héros : ‘« Il sentit un long dégoût monter en lui. Un dégoût qui était une boue grasse et qui finirait par le perdre »’ (77). Le chapitre 21, dans la deuxième partie, décrit un personnage en immersion complète, qui ‘« gliss[e] » et « nag[e] [...] comme un gros vieux poisson au fond de sa grotte »’ (118) : ‘« Comment pouvait-on remonter à la surface ? »’ (119), se demande Demange, qui se souvient plus tard d’un autre moment où il a craint de ‘« rester sur un endroit échoué »’ (137) : ‘« [...] et il regardait la vie, séparé d’elle par un hublot. Et il coulait, là, dans sa piaule d’hôtel »’ (138). Cette perte de contact avec la réalité est une caractéristique de la schizophrénie.
Cette rupture est peut-être d’ailleurs le signe de ce qu’Amette exige de son lecteur, qui prend conscience d’être dans un livre. Il peut perdre pied, ne pouvant construire avec cohérence le sens du texte, en même temps que sa direction lui échappe ; après avoir pensé comprendre parfaitement à quoi le texte référait, il se retrouve en panne de référence, exposé au monde du texte, comme Demange lors de l’épilogue, ‘« nettoyé de toute illusion’ » (184).
A priori, le texte d’Amette est donc plus difficile à lire, parce que l’accumulation de non-dits non seulement corrompt le scénario prévu par le lecteur, mais aussi parce qu’il devient malaisé de lire tout simplement le texte, la difficulté de rétablir à quoi le texte réfère croissant au fil des pages. Accentuant la fonction esthétique par rapport à la fonction didactique (Umberto Eco), Enquête d’hiver pose le problème inhérent au récit d’énigme s’il n’est pas truqué, en redoublant stylistiquement le mystère, ou, disons, en renonçant à rendre compréhensible l’incompréhensible, construit le non-constructible :
‘« Dès Aristote, la théorie de l’énigme semble en effet avoir buté sur la démarcation lisible/illisible, déchiffrable/indéchiffrable . 523 ‘.’»’Cette illisibilité tient pour beaucoup à l’hésitation : au lieu de désigner fermement au lecteur quel est le monde du texte, le roman l’installe dans un monde sûr et identifiable (celui du roman policier) pour l’en déloger ensuite, le plongeant alors dans l’incertitude. En effet, entre le monde de Demange et celui de la narration le gouffre s’agrandit, le personnage principal ne croyant plus au monde du texte. Cette scission est facilitée naturellement par le récit à la troisième personne. Le lecteur ne sait donc plus dans quelle direction lire, à quel modèle adhérer, face à cette ‘« narration qui hésite elle-même entre plusieurs réalités-dans-le-texte524 ». ’
Ce qui est alors remis en cause, c’est le principe de la « faire-semblance », c’est-à-dire selon Thomas Pavel la projection d’un moi fictionnel assuré dans le texte. L’écart entre les marques intertextuelles et les indices antimimétiques restant trop grand, malgré son évolution - à cause de la force de la lecture intertextuelle -, le lecteur ne peut s’adapter aisément :
‘ « Les indicateurs de distance sont sciemment brouillés, laissant indéterminé le choix entre la familiarité et la distance infinie. » ’En effet, la dominante mimétique de la première partie n’exige pas le moindre effort d’acclimatation au texte, ne préparant pas le lecteur à l’écart qui s’affirme ensuite. Enquête d’hiver n’est pas un roman « bienveillant », au sens donné à ce terme par Thomas Pavel, puisqu’il nous fait ‘« formuler des hypothèses inadéquates, et nous encourag[e] à hésiter, à projeter un moi fictionnel perplexe, peu assuré de sa capacité de comprendre les événements dont il est témoin 525». ’
Cependant, une telle tactique textuelle rend plus sensible au lecteur moyen l’opération de reversement de l’illusion (facilitée par le premier tiers du livre) à la perception de la fiction. Le texte, nous dit Tzvetan Todorov, doit référer pour permettre l’activité imaginative et susciter des questions quant à l’écart qu’il constitue par rapport au réel526. Conduit de la passivité à l’activité, le lecteur prend conscience de cette passivité et de l’inertie idéologique et esthétique des stéréotypes, il accède à la distanciation et récupère une faculté de jugement à plusieurs niveaux, premièrement au plan textuel, par la prise en compte de la fictionnalisation et de l’illusion référentielle ; deuxièmement au niveau de la lecture, par la vectorisation du récit à partir des sentiments suscités (appréhension, attente) et par le fléchissement du texte dans le sens d’une isotopie à partir du remplissage des blancs, tendant aussi à vraisemblabiliser la situation. Cela, Lucien Dällenbach en rend bien compte, banalise le livre en hypnotisant le lecteur :
‘ « [...] une lecture qui ne connaît pas d’arrêts véritables et dont les attentes sont toujours satisfaites finit nécessairement, selon la « loi de l’etc. » dégagée par Gombrich, par se mouvoir « en roue libre » et susciter l’illusion de réalité 527 . » ’Le lecteur, pénétrant ainsi les processus de la lecture, peut prendre également conscience du texte, de son altérité fondamentale. L’ébranlement qu’il en ressent s’accompagne d’une véritable libération, c’est-à-dire un retour à l’interprétation. En effet, non seulement l’auteur - à l’opposé d’un Balzac - ne lui dictera pas la signification du texte, mais en plus, ayant rompu clairement avec les lieux communs et brutalement parfois avec tout ce qu’on pouvait attendre du récit, il dégage le lecteur de sa « névrose de répétition 528 » - justement entretenue par le genre policier -, de la gangue idéologique qui lui fait tout naturellement associer tel cliché à telle signification. Le lecteur est mis à nu devant le texte, pour être rendu à lui-même - et au texte - au lieu d’être un récepteur canalisé par l’idéologique. Aussi va-t-il pouvoir se sortir du sens unique et inclure l’indétermination dans l’interprétation qu’il fait du texte, interprétation qui se base aussi sur la perception de l’écart institué par le texte avec les références qu’il suscite dans un premier temps (réalisme, roman policier, etc.).
Car si nous avons parlé de lecture naïve piégée en ce qui concerne le roman d’Amette, il serait bon de compléter cette notion, à la lumière des théories de Thomas Pavel et de la distinction qu’il établit entre « lecture naïve » et « lecture sophistiquée 529». Le piège dans Enquête d’hiver, agit certes sur le lecteur naïf, c’est-à-dire dépourvu d’expérience, et qui se laisse ferrer aisément. Mais cette stratégie est sans doute plus efficiente encore à l’égard d’une lecture sophistiquée, c’est-à-dire rompue aux usages génériques, aux règles de ce jeu particulier qu’est le roman policier. Contrairement au lecteur naïf, le lecteur expérimenté croit avoir une prise ferme et même trop aisée sur le roman grâce à sa surconformité générique initiale. Or, ici, toutes les régularités qu’il avait précédemment notées au cours de ses lectures policières vont le perdre au lieu de l’aider ; il s’enferre à cause de ses connaissances, parce que ses « solutions fondées sur le précédent » vont être totalement contredites. A l’inverse, peut-être pouvons-nous poser que le lecteur naïf (mais existe-t-il encore dans le domaine policier ?), ayant moins d’attentes préconstruites, se laissera dériver vers la fin avec le personnage, sur le navire de ses fantasmes et de ses rêveries.
Quoi qu’il en soit, en utilisant les ressources de la narrativisation, Amette encourage une lecture conventionnelle, suffisamment longtemps pour que lorsque le texte devient difficile, le lecteur n’ait plus le choix : il poursuit sa lecture, jusqu’à constater que le puzzle reste bel et bien éparpillé. Au lieu que, le plus souvent, les textes difficiles le sont dès le début, courant toujours le risque d’être repoussés immédiatement. Le « vertige 530» dont parle notamment à leur propos Ross Chambers est conçu chez Amette comme un processus qui fait passer de l’équilibre d’une lecture qui conforte au déséquilibre d’une lecture qui expose et déstabilise le lecteur.
Cette notion recoupe celle d’« effet d’étrangeté » chez les formalistes russes : il s’agit de placer le lecteur devant le code, au début fortement reconnaissable, puis brouillé par le jeu des interprétations plurielles. On sort du domaine du cliché et du même coup, de la signification récurrente et attendue. Umberto Eco montre combien, lorsqu’on veut produire un message qui contrarie les « attentes idéologiques », il faut d’abord contrarier les « attentes rhétoriques 531». Ainsi, chez Amette, le message devient ambigu par rapport au code, et le lecteur a de plus en plus de difficultés à le reconnaître : l’interprétation se déploie, canalisée par la structure du texte. Pour Umberto Eco, cette opération, que le récit d’Amette décompose complètement, distingue le « message esthétique » :
‘ « Mais c’est aussi l’oeuvre qui fait entrevoir dans le code, reconsidéré critiquement, des possibilités d’allusions, des choses à dire, que l’on peut dire, que l’on a déjà dites et que l’on redécouvre et l’on ravive ainsi des choses que jusque là on n’avait pas observées ou que l’on avait oubliées 532 . » ’Le lecteur est donc placé dans l’obligation d’entrer dans le monde du texte et de se mettre en danger ; en même temps, il est possible que l’intention d’Amette, en utilisant le genre policier, soit de désigner l’acte de lecture sous des auspices ludiques, assurant une certaine distanciation protectrice - ne serait-ce que par l’ironie qui sous-tend la première partie -, rendant le vertige délicieux :
‘ « [...] tout en se soumettant à l’autorité du texte, le sujet n’en garde pas moins une certaine marge de sécurité, née de la conscience qu’il ne s’agit que d’un texte et qu’il ne s’agit que de cela, marge qui représente chez le lecteur un refus d’abdication, le maintien de son propre pouvoir de sujet indépendant 533 . » ’On peut d’ailleurs supposer à cet égard que cette indépendance est encouragée par Amette comme par Marsé, dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils ne favorisent pas l’identification avec le personnage (comme dans le roman classique !): le chapitre 29 d’Enquête d’hiver, qui épouse le point de vue de Linda, est l’occasion de découvrir un Demange « ridicule » (162) rustre et brutal, lui qu’on savait déjà lâche, infidèle et maniaque, péremptoire et parfois sentencieux. Quant à l’inspecteur de Marsé, anonyme et répugnant « crapaud » (13), fixé sur son testicule malade et sur ses intestins, c’est un ancien bourreau franquiste qui ne s’est guère attendri en vieillissant ; il a corrigé une orpheline dans l’avant-texte et ne manifeste aucun regret. Redouté ou objet de risée, il ne sollicite guère l’identification - pas plus que la perverse Rosita. Cette création de personnages « remèdes à l’identification » est remarquable, puisque parallèlement, on l’a vu, ils inscrivent dans la diégèse toutes les attitudes de lecture.
Ainsi, en l’espace d’un roman, par la résistance de son texte, Amette et Marsé dédoublent leur lecteur en « lectant 534 ». Piégé par la curiosité que le début du texte avait encouragée (le bris de vitres initiant le récit, image du lecteur faisant effraction chez les Sallenave et dans une histoire d’adultère ; le viol de Rosita), le lecteur doit reverser cette curiosité sur le texte, revenir au texte, qu’il avait précédemment recousu et fléchi dans son sens535. Chez Amette, l’ambiguïté qui s’impose de plus en plus oblige à un retour sur le texte536. Dans la première partie, pour certains lecteurs, la redondance et le déjà-vu peuvent d’ailleurs constituer, par leur accentuation, un premier niveau d’ambiguïté. Mais l’équivoque s’aggrave encore par la suite par le fossé qui se creuse entre le code affiché et le message réalisé. D’autant plus qu’il ne se passe rien (le mot est récurrent), ce qui est perçu comme anormal dans un récit, alors que ce rien constitue peut-être la finalité de la fiction :
‘ « [...] « ce qui se passe » dans le récit n’est, du point de vue référentiel (réel), à la lettre : rien ; « ce qui arrive », c’est le langage tout seul, l’aventure du langage, dont la venue ne cesse jamais d’être fêtée 537 . » ’On pourrait croire que ce revirement de l’attitude auctoriale est une déclaration d’indépendance de la littérature, qui s’affranchirait, en même temps que des contraintes génériques policières, de la co-élaboration du lecteur, dont on a vu qu’il dirigeait autant l’écriture du roman policier que l’écrivain lui-même. En fait, au-delà de tous les avantages que le lecteur en retire, il est indéniable que la stratégie d’Amette est particulièrement judicieuse, puisqu’elle procède par l’appât du déjà-vu (de façon tellement poussée qu’on peut flairer une intention cachée). Dès lors, la convocation des codes peut être considérée autrement que comme un trompe-l’oeil : en terrain connu, le lecteur laissera davantage libre cours à son imaginaire que s’il est mis immédiatement en danger ; or, tout texte compte sur cette part du lecteur pour être « exécuté », au sens musical du terme, c’est-à-dire pour exister. Alain Montandon dit d’ailleurs joliment que
‘ « La lecture doit être l’accouchement du lecteur et non sa mise au tombeau 538 . » ’A. Montandon, art. cit., p. 6.
U. Eisenzweig, le Récit impossible, p. 125.
A. Montandon, « le Parfum vert ou la curiosité du lecteur », in la Lecture littéraire, pp. 112-113.
souligné par nous.
Cl. Bremond, op. cit., p. 332.
A. Montandon, introduction, la Lecture et le Lecteur dans l’oeuvre, p. 11.
souligné par nous.
Th. Narcejac, op. cit., p. 58, constate d’ailleurs que la double vision de Watson et de Holmes crée un effet d’étrangeté : « Nous regardons l’action avec des verres dont l’un rapproche et dont l’autre éloigne, ce qui nous donne une impression de relief douloureux, de dépaysement étrange. »
A. Montandon, « le Lecteur sentimental de Jean-Paul », in la Lecture et le Lecteur dans l’oeuvre, p. 30.
A. Montandon, « le Parfum vert ou la curiosité du lecteur », in la Lecture littéraire, p. 122.
Ibid., p. 113.
G. Scarpetta, « les Lectures impures », in la Lecture littéraire, p. 210 : « et il se pourrait bien que ce désir « illusoire » soit déterminant, structurant, dans l’évolution du désir même du sujet en tant qu’il est tourné vers la relation d’objet. Si l’on veut, la lecture n’est pas seulement ce qui « satisfait » fantasmatiquement un désir déjà là, - elle peut aussi être ce qui l’oriente, le structure. »
Ch. Grivel, art. cit., p. 145.
A.M. Boyer, art. cit., p. 148.
Le roman policier actuel a trouvé un renouvellement extraordinaire dans cette direction. Cf. Marc Paillet, Ellis Peters, etc.
A. Tadié, « la Fiction et ses usages », in Poétique n° 113, Seuil, fév. 1998, p. 113.
L. Marin, le Récit est un piège, p. 8.
Ibid., p. 80. C. Bértolo, « Novela y público », in Postmodernité et écriture narrative, p. 37, dit d’ailleurs de Marsé, à propos d’un autre roman, qu’il appartient à un groupe d’auteurs qui pensaient « parler au nom de ceux qui n’avaient pas de voix et précisément pour ceux qui n’avaient pas de voix » (traduit par nous).
E. Bloch, « Aspects philosophiques du roman policier », in Autopsies du roman policier, p. 259.
Cf. Ch. Grivel, « Observation du roman policier », in Entretiens sur la paralittérature, sous la direction de N. Arnaud, F. Lacassin, J. Tortel, Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, (sept. 1967), Plon, 1970, p. 237 : « On débouche par des méandres au « vrai ». Or ce retard institue le vrai comme vrai. »
E. Bouju, « L’esthétique du trompe-l’oeil ou la narration ironique », in Postmodernité et écriture narrative, p. 159.
Marsé, par cette manipulation, esquive le risque inclus dans l’utilisation du fait divers, qui pour G. Auclair, op. cit., p. 173 (note 2), consiste dans « l’oblitération de l’histoire sous les coups de boutoir de l’actualité - sa « réification » instantanée qui en interdit la compréhension dialectique. » Au contraire, Marsé parvient à mettre le fait divers au service de l’histoire, en se servant des possibilités offertes par la structure policière.
L’illusion fictionnelle s’oppose alors au mensonge du pouvoir. Cf. P. Ricoeur, Temps et Récit I, Paris, Seuil, coll. L’Ordre Philosophique, 1983, pp. 84-85 : « La tromperie est le faire persuasif qui consiste à transformer le mensonge en vérité (faire passer pour...), c’est-à-dire à présenter et à faire accepter ce qui paraît mais n’est pas comme ce qui paraît et est. L’illusion est le faire interprétatif qui répond au mensonge, en l’acceptant à la façon d’un contrat avec le destinateur déceptif. »
Th. Pavel, Univers de la fiction, p. 108 et p. 105.
J. Derrida, « le Facteur de vérité », in Poétique n° 21, Littérature et philosophie mêlées, Seuil, 1975, p. 101 : « Habiter la fiction, pour la vérité, est-ce rendre la fiction vraie ou la vérité fictive ? Est-ce là une alternative ? vraie ou fictive ? »
R. Warning, « Pour une pragmatique du discours fictionnel », in Poétique, n° 39, Théorie de la réception en Allemagne, sept. 1979, p. 335.
J. Pouillon, Temps et Roman, Gallimard, coll. Tel, Nouvelle édition augmentée, 1993.
Cf. G. Auclair, le Mana quotidien, pp. 28-29.
L. Dällenbach, art. cit., p. 37.
P. Ricoeur, Du texte à l’action, pp. 116-117.
R. Warning, art. cit., p. 336.
Ibid., p. 336.
R. Caillois, les Jeux et les Hommes, Gallimard, Folio Essais, 1967 (éd. orig. 1958), p. 61.
T. Todorov, « la Lecture comme construction », in Poétique n° 24, p. 425.
C. Kerbrat-Orecchioni, « le Texte littéraire : non-référence, auto-référence, ou référence fictionnelle ? », in Texte n° 1, l’Autoreprésentation, le texte et ses miroirs, Toronto, 1982, p. 30.
M. Charles, « Poétique de l’énigme » (présentation de l’article de C.F. Ménestrier), in Poétique n° 45, l’Enigme, Seuil, fév. 1981, p. 30.
Th. Pavel, op. cit., p. 83.
Ibid., p. 118.
T. Todorov, « la Lecture comme construction », in Poétique n° 24, p. 420.
L. Dällenbach, art. cit., p. 40.
D. Ferraris, « Quaestio de legibilibus aut legendis scriptis », in Poétique n° 43, sept. 1980, p. 290.
Th. Pavel, op. cit., p. 160.
R. Chambers, « le Texte « difficile » et son lecteur », in Problèmes actuels de la lecture, p. 92.
U. Eco, la Structure absente, p. 164.
Ibid., p. 139. U. Eco utilise, p. 13, le mot « code » selon la définition de G. Miller : « tout système de symbole qui, par convention préalable, est destiné à représenter et à transmettre une information d’une source à un point de destination. »
R. Chambers, art. cit., p. 90.
M. Picard, op. cit., p. 214 : « le lectant, qui tient sans doute à la fois de l’Idéal du Moi et de Surmoi, fait entrer dans le jeu par plaisir la secondarité, attention, réflexion, mise en oeuvre critique d’un savoir, etc. ».
M. Butor, Répertoire III, p. 9 : « Automatiquement, je vais adapter cette histoire, la traduire ; tout au long de ma lecture va s’inventer, dans le vide qui se creuse entre le monde que me présente la littérature et celui que me montrent mes yeux, un autre roman (ou un autre drame, essai...) dans lequel seront neutralisés les détails qui m’empêchaient de m’y reconnaître. L’oeuvre se dédouble. Tout lecteur non seulement constitue à partir des signes proposés une représentation, mais entreprend de réécrire ce qu’il lit. »
Cf. U. Eco, la Structure absente, Mercure de France, 1972 (éd. orig. 1968), p. 126 : « Mais un message qui me laisse en suspens entre information et redondance, qui me pousse à me demander ce qu’il veut dire - tandis que j’aperçois dans les brumes de l’ambiguïté quelque chose qui, à la base, dirige mon décodage - est un message que je commence par observer pour voir comment il est fait. »
Cf. R. Barthes, « Introduction à l’analyse structurale », in Communications n° 8, p. 33.
A. Montandon, Introduction , le lecteur et la lecture dans l’oeuvre, p. 12.