2.1. Problématisation de la notion de genre

Commençons par les questions posées autour de la notion de genre : le roman policier a été marginalisé parce qu’il était un genre aisément reconnaissable, ou plus exactement, parce qu’il était perçu comme tel879, la réalité des livres étant souvent en décalage avec cette classification, dès le départ. Par exemple, pour définir le roman policier archaïque, Jean-Paul Colin regroupe les oeuvres de Leroux (Rouletabille), de Leblanc (Lupin) et d’Allain et Souvestre (Fantômas) - ces derniers étant exclus par Jean-Claude Vareille880 !

La spécification ‘« roman policier archaïque’ » n’est d’ailleurs qu’un élément de l’ensemble formé par les oeuvres dites policières, du roman-problème au roman noir en passant par le thriller et le roman d’espionnage. Le roman policier, sous-genre du roman, se divise donc en espèces dont le regroupement peut être bien discutable et atteste en tout cas d’une réalité : le genre n’est pas si aisément reconnaissable que cela à notre époque. Selon les contextes et les périodes, le nom du genre - en particulier pour les genres fictionnels -, prend telle(s) ou telle(s) signification(s), telle ou telle expansion881, spécialement pour le roman policier dont le nom réfère à un contenu sémantique peu contraignant et assez extensif.

Le corpus de cette étude doit ainsi beaucoup à notre propre perception, dictée par le contexte, même s’il est troublant de voir que des oeuvres aussi différentes que celles de Montalbán et de Belletto, de Marsé et d’Amette, puissent être rapprochées sur tant de points différents, formels et thématiques. L’analyse que fait Alain Montandon du roman de Handke : l’Angoisse du gardien de but au moment du penalty, sous l’éclairage du roman policier, est brillante et convaincante, et enrichit l’approche de cette oeuvre882. Pourtant, a priori, ce roman ne nous était pas apparu comme relevant d’un tel genre.

La perception joue donc, effectivement, un rôle essentiel dans la constitution générique, puisque, comme le dit Wolf Dieter Stempel, la lecture est une « concrétisation 883  » du texte, qui opère par une sélection, dictée par le contexte historique, littéraire et général, et par les perspectives individuelles. La sélection sera différente d’une époque à l’autre, faisant évoluer la définition du genre. Dans ce processus d’actualisation, Stempel montre le rôle des modalités de réception, c’est-à-dire des stratégies de conditionnement du lecteur, stratégies dont on a vu l’importance justement dans le cas du roman policier. C’est à ce niveau que les oeuvres de Marsé ou d’Amette se sont imposées à nous comme policières, dans ce qu’elles mettaient en oeuvre pour conduire la lecture. Cela d’autant plus qu’il s’agit d’oeuvres récentes : les auteurs, se situant dans le même contexte général que le lecteur, peuvent compter sur des horizons d’attente particuliers et induire certaines attitudes de lecture.

En allant encore plus loin, Borges, en 1978, évoquait les aléas de la réception et ses conséquences sur le texte ; il imaginait ainsi ce que serait la lecture de quelqu’un qui aborderait Don Quichotte avec l’idée qu’il s’agit d’un roman policier :

« les genres littéraires dépendent moins des textes eux-mêmes que de la manière dont on les lit 884 . »

Et Borges de se poser la question de l’existence des genres, nés essentiellement d’un besoin de généralisation. Le fait est que les romans opposent constamment à la critique leur pluralité, en dépit même de toutes les tentatives internes de législation, de type Van Dine, visant à normaliser une écriture apparue spontanément. Notre choix d’oeuvres plus ou moins « marginales » contribue à donner raison à Daniel Couégnas :

« C’est par ses contradictions internes (en relation avec les mécanismes de réception), autant sinon plus que par des traits définitoires fixes, que se caractérise un genre littéraire 885 . »

On peut en déduire que l’identification stricte du roman policier a gommé ces différences internes. Uri Eisenzweig explique ce besoin de généralisation par une caractéristique essentielle de la littérature : la « ségrégation », la nécessité de définir ce qu’elle comprend et ce qu’elle exclut de son champ. La théorie des genres est une modalité de ce jugement sélectif :

« Perçu comme genre, le roman policier ne pouvait être considéré, dès l’abord, que comme une littérature dégradée 886 . »

Pour Uri Eisenzweig, la désignation générique sert de garde-fou face à l’apparition de ce qui s’oppose au récit balzacien, à une époque où ce dernier est concurrencé par d’autres démarches887. Antiroman, le roman policier classique ? Oui, en ce sens qu’il raconte à l’envers, qu’il exclut l’événement (au profit de l’analyse) et la psychologie, mais surtout parce qu’il se définit comme une technique, à une époque où toute rhétorique a été bannie par le culte de l’inspiration romantique, et comme un jeu, un exercice intellectuel. A elle seule, la finalisation est conspuée par les adeptes de l’art pour l’art.

C’est cet aspect technique qui explique que, parmi les autres genres, le roman policier soit perçu le plus négativement : la science-fiction, par exemple, avec tout ce qu’elle fait apparaître comme imaginaire, préserve la vision d’une littérature issue de l’inspiration. Borges (comme les Goncourt) attribuait à Poe l’invention d’une nouvelle conception de la littérature comme ‘« fait intellectuel », « comme une opération de l’esprit et non de l’âme’ 888». Apparu à une période de remise en cause de la forme littéraire, il s’est trouvé condamné pour son écriture calculée, l’attention portée à la structure et à la réception 889. Cette écriture touche notamment à l’aspect chronologique du récit, qu’il « logicise », portant ainsi atteinte à la narration linéaire classique et au système idéologique et philosophique qui l’avait produite.

Toutes choses qui ne sont pas sans évoquer le Nouveau Roman, étiquette donnée par la critique et par Robbe-Grillet, rassemblement hétéroclite d’écrivains n’ayant en commun que d’avoir été perçus comme s’attaquant à la structure romanesque traditionnelle - le roman psychologique, honni également par les plus fervents adeptes du roman policier, préconisant une littérature « objective ». Une certaine écriture béhavioriste est d’ailleurs commune au roman noir et au Nouveau Roman, d’où le travail d’un Jean Echenoz. De plus, le texte du Nouveau Roman, comme celui du policier, affiche sa construction et réclame l’activité intellectuelle du lecteur ; d’où croisements possibles, la part de jeu étant évidente chez un Perec ou un Roubaud. En découle l’accueil réservé au Nouveau Roman et à ce qui en émane, souvent accusé d’illisibilité ou d’élitisme intellectuel, autre mode d’exclusion.

Le roman policier croise donc la route de l’écriture novatrice ou expérimentale. James ou Gide, déjà, qui sont de ceux qui mettaient en question le genre romanesque balzacien, ont emprunté au genre policier ; plus proches de nous, des écrivains comme Jean Lahougue ou Benoît Peeters, utilisent le genre comme base d’un travail de rénovation romanesque et de recherche de formes modernes. Cette hybridité explique que le roman policier ait été mêlé dès le départ à tant d’écritures nouvelles : les frères Goncourt n’y voyaient-ils pas dès 1856 le roman du prochain siècle890?

Mais le roman policier possède également des composantes permettant de remédier aux excès de ce type de littérature déstabilisante, par ses qualités narratives. Car tel est le paradoxe du genre : perçu comme anti-romanesque, à la fin du XIXe siècle, selon Uri Eisenzweig, il incarne aujourd’hui pour une grande partie du public ce qui fait le roman, c’est-à-dire le fait, simplement, de raconter une histoire.

En Espagne, le roman policier a été largement récupéré par le postmodernisme, par rejet de la littérature dite ‘« ensimismada », « repliée sur soi », ou « littérature autistique », « littérature expérimentale pure qui s’abstrait dans de purs jeux de langage et se coupe de toute communicabilité’ 891 ». Tout en tirant profit des apports théoriques de cette expérimentation, les écrivains comme Mendoza ou Montalbán exploitent les avantages de la narrativité propre au genre, de façon à écrire des romans lisibles et pourtant novateurs, tout en utilisant les pièges de la narrativité. Ce qui est commun à toutes ces innovations, c’est une certaine conception du lecteur, apparue avec le roman policier : un lecteur actif, méfiant, participant à l’oeuvre892, devant mobiliser sa mémoire et son attention aux détails.

Et il semble bien que, paradoxalement, ce soit cette orientation vers le lecteur qui ait valu au genre d’être taxé de littérature facile - alors même qu’elle requérait du lecteur un effort et une tension que la Littérature ne réclamait pas ! Facile dans le sens où le roman policier donne au public ce que ce dernier attend (des images, des émotions, l’occasion de participer, la connivence avec le créateur), facile parce que lisible ? Les romans réussis sont pour nous ceux qui cumulent le plaisir du texte, le lecteur étant pris dans un monde d’images, dans le suspense - c’est-à-dire dans une narration - et le jeu avec ce plaisir, avec l’attente, avec la narrativité elle-même, avec la finalisation ; mélange réussi de façon très variée par nos quatre auteurs. S’impose de cette façon l’idée que le même texte peut supporter plusieurs niveaux de lecture, ‘« à la portée du lecteur totalisateur, mais aussi d’un lecteur qui n’en saisit qu’un seul’ 893  », comme le dit Montalbán. Pour Jean-François Carcelen, le décloisonnement générique, extrêmement fécond, répond alors à la nécessité de

« faciliter la transition vers un type d’écriture où l’expérimentation devait non pas disparaître mais se fondre dans le récit de façon que le texte puisse être lu en superficie comme une histoire facilement isolable et détectable, et, pourquoi pas, plaisante et légère 894 . »

Certes, on peut avancer également que le genre policier a gagné quelques lettres de noblesse en gommant les frontières qui le séparaient d’autres genres spécifiques (le fantastique, par exemple, ou la science-fiction), et en se rapprochant de la littérature générale, phénomène accentué ces dernières années par une tendance éditoriale à gommer la différence en publiant certains auteurs dans des collections blanches (Pennac, Auster) ou dans des collections spécialisées très discrètement étiquetées comme telles.

Cette orientation éditoriale n’est pas anodine : elle a naturellement le mérite de délivrer le roman policier du risque de répétition sclérosante en libérant les possibilités novatrices individuelles. Ainsi l’esthétique de la répétition - trait paralittéraire -, est-elle contrebalancée et fécondée par l’esthétique de l’unique, qui caractérise la littérature pour Tzvetan Todorov.

Cependant, il serait faux de penser que cette confusion générique est un phénomène absolument nouveau ; c’est la perception qu’on en a qui l’est. Daniel Couégnas affirme ainsi que

« le texte paralittéraire porte inscrit en lui, mais poussé à l’extrême - car la constellation romanesque dans son ensemble répond à des degrés divers à ce critère -, un programme de lecture fondé sur la confusion des genres 895 . »

A une critique s’efforçant de percevoir des traits génériques pour exclure un groupe a succédé assez récemment une critique moins ségrégationniste, ou plus sensible au métissage, thème moderne. La politique commerciale actuelle, cultivant les hybrides, ne fait que renforcer le brouillage générique, plus exactement l’hésitation à définir le roman policier comme genre historique (modèle critique issu de l’observation) ou comme genre théorique (type abstrait), pour reprendre la terminologie de Todorov. Claude Amey prétend que ‘« dans le roman policier le type et le genre coïncident quasiment’ 896  », malgré l’existence de quelques oeuvres en marge. Ce serait sous-estimer la marge d’un genre marginal !

Ce n’est pas seulement une question d’évolution, puisqu’il suffit de citer des oeuvres anciennes pour se rendre compte que le moule n’est pas si « pétrifié » que le répète Claude Amey : Pierre de Lune, de Wilkie Collins (1868), considéré comme le premier roman policier anglais, ou Un meurtre que tout le monde commet de Heimito Von Doderer (1938), roman littéraire à ingrédients policiers, sont rendus suspects par leur seule longueur (environ cinq cents et quatre cents pages respectivement), motivée par la place des descriptions dans le premier, et par le style poétique du second ; surtout si l’on pense, comme Jean-Paul Colin, que la seule définition valable du policier renvoie à sa brièveté, signe de l’exclusion de la ‘« longue description’ 897 ».

En fait, à partir des premières oeuvres perçues comme policières, un modèle s’est forgé ; par la suite, les romans les plus marquants ont imposé d’autres caractéristiques, qui sont dès lors entrées dans la définition même du genre, la restreignant encore. Dans le cas du roman policier, on observe même l’introduction d’une norme structurale. D’après Howard Haycraft et Ellery Queen, le ‘« premier récit inversé’ 898 » daterait seulement de 1912, avec un roman d’Austin Freeman ; or, la forme « à rebours » du roman policier a été peu à peu fixée comme inhérente au genre, et les oeuvres sans cet agencement des faits ont engendré le malaise, l’exclusion. Puis une nouvelle catégorisation, prospective (« le roman à suspense ») ou même rétroactive (le « roman policier archaïque ») s’est chargée de classer ces romans policiers ne se conformant pas à la norme du récit inversé. L’aspect généalogique du genre policier fragilise sa définition, en ce sens qu’elle est soumise constamment à des remaniements au gré des différents contextes, littéraire et général. Si l’on peut parler malgré tout de genre policier, ce serait donc dans le sens défini par Daniel Couégnas899 : autour d’une structure globalement récurrente, se sont groupés des personnages et des thèmes finissant par caractériser le roman policier.

Malgré tout, ce n’est pas la répétition en tant que telle qui définit le genre policier - puisqu’elle est inhérente à la notion même de genre : c’est l’accent mis sur une forme particulière. Mais il faut mentionner le rôle fondamental joué par la répétition intertextuelle, dès l’origine (Poe est devenu « auteur policier » parce que Doyle se référait à lui), dans l’élaboration perceptuelle et théorique de ce regroupement. D’où la résonance ironique de l’intertextualité dans le roman policier parodique, assumant ce regroupement en le tournant en dérision...

L’histoire du roman policier nous apprend donc beaucoup sur l’idée même de genre ; elle fait comprendre qu’il faut renoncer à une image générique construite par a priori essentialiste ‘(« le mot crée la chose’ 900»), ou rétroactivement et artificiellement, à partir d’un ensemble d’oeuvres prises comme étalon. Ce qu’on a appelé « l’âge d’or » du roman policier a imposé une vision fossilisée du genre, qui explique les hésitations actuelles face à toutes les mouvances du roman policier aussi bien que les échecs répétés visant à le définir901.

Or, on le voit bien notamment avec les relectures récentes d’Agatha Christie, cet étalon est purement fictif, il est fabriqué à partir d’une lecture particulière et circonstancielle de cet ensemble d’oeuvres. Il est amusant de constater que l’attitude du théoricien recoupe celle du détective, puisque tous deux regroupent les manifestations à la lumière d’une intuition classifiante, visant à dissiper les ténèbres engendrées par la dispersion des phénomènes. Des déductions plus ou moins délirantes découlent de cette idée préconçue, de ce réflexe de rapprochement902. Il n’y a donc pas d’oeuvre idéale de laquelle on pourrait déduire un type d’oeuvres, constituant un genre903.

Dans cette perspective, la marge prend une autre signification, qui permet d’échapper au malaise théorique, aux questions sans fin concernant la dose ou l’importance de la transgression admissible dans le cadre d’un genre. La réception du roman policier marginal, parodique ou non, se fait aujourd’hui dans deux directions : la tendance puriste qui exclut ce qui ne correspond pas à l’étalon (« ce n’est pas du roman policier ») et la tendance légitimante (« c’est du bon roman policier, original, bien écrit, etc. »), réconciliées par la politique éditoriale qui a d’abord gommé le noir de certaines couvertures ou créé des collections bien spécifiques, pour réhabiliter le noir. La tendance légitimante domine, portée par les pratiques éditoriales.

En fait, il s’est opéré un glissement : la vision puriste reste dans une conception « généalogique » du genre, qui se limite à un « engendrement hypertextuel ». On peut même penser que cette conception généalogique est encore imprégnée de la première conception ayant régi le genre, et qui reposait sur l’idée de règles à appliquer904. Au contraire, la pratique légitimante, nourrie par les incertitudes définitoires, par la politique éditoriale et par la demande du public contemporain, repose sur une conception « analogique » du genre, c’est-à-dire sur ‘une « opération métatextuelle’ 905», de laquelle l’auteur est par principe exclu, puisqu’elle est le fait du lecteur. Oedipe-Roi ou Crime et Châtiment vont dès lors être apparentés à la classe policière : d’un côté, on crée une filiation légitimante et on la substitue à la généalogie stricte (le roman populaire, le roman-problème, le roman noir, etc.). De l’autre, on établit un rapprochement de prestige sur la base de ressemblances parfois même essentiellement thématiques (le crime, l’enquête, le mystère, la culpabilité).

Le paratexte des éditions récentes d’oeuvres anciennes ainsi rapportées au genre policier est explicite et témoigne encore du caractère rétroactif de la conception générique ; ainsi, la quatrième de couverture de la réédition la plus récente de l’Agent secret (1907) de Joseph Conrad (le Livre de Poche, 1996) rappelle opportunément le point de vue de Borges sur ce roman, ‘« le meilleur des romans policiers qu’on ait jamais écrits ’». Au dos de l’édition française du roman de Henry James, les Papiers de Jeffrey Aspern (Stock, Bibliothèque cosmopolite, 1990), se trouve cette affirmation alléchante : ‘« On a souvent considéré ce livre envoûtant comme un des ancêtres du roman policier, du roman « à suspense » d’aujourd’hui ».’ Pour le roman d’Heimito von Doderer, un Meurtre que tout le monde commet (qui évoque pour nous Crime et Châtiment, Doderer ayant d’ailleurs été marqué par Dostoïevski), publié en 1938 en Allemagne, la quatrième de couverture de la réédition française de 1990 (en Rivages/Poche) affirme qu’‘« On est là très près de Proust mais revu par Simenon [...] ».’

En effet, la tendance la plus représentative, et où l’analogie peut être la plus sujette à discussion, vise à rapprocher, tout simplement, la littérature blanche du roman policier. Les romans de Patrick Modiano sont ainsi très souvent présentés comme des oeuvres policières : ‘« Comme dans un dernier tour de manège, passent les témoins de la jeunesse de ce Pedro Mc Evoy, [...], aux noms et aux passeports compliqués, qui font que ce livre pourrait être l’intrusion des âmes errantes dans le roman policier’ 906 ». Citons encore le paratexte ambigu (parce qu’écrit de manière à rassurer les uns et les autres) de l’Angoisse du gardien de but au moment de penalty de Peter Handke, Gallimard/Folio, 1972 : ‘« Cet itinéraire intérieur, aux fausses allures de roman policier, permet à Peter Handke de démontrer sa maîtrise ».’

La récupération générique s’exerce donc rétroactivement et d’une manière contemporaine, par analogie. Le rôle de la critique est d’ailleurs prépondérant, notamment à cause du poids du commentaire paratextuel de la quatrième de couverture, - version du métatexte accessible à tous - sur l’horizon d’attente du lecteur, sur sa réception du texte et sur sa conception, restrictive ou extensive, immobiliste ou évolutive, du genre :

‘ ‘« La constitution du genre est étroitement dépendante de la stratégie discursive du métatexte (du théoricien de la littérature, donc) : c’est lui qui choisit le niveau d’abstraction des traits qu’il retiendra comme pertinents, c’est lui enfin qui choisit le modèle explicatif [...]907 »’ ’

Au niveau éditorial, il est clair que les deux camps en ont tiré profit : pour le roman policier, ce fut l’occasion de se faire reconnaître comme littérairement légitime ; pour le roman de type James ou Handke, de lecture plus ardue, le rapprochement avec le genre policier opère encore comme argument de vente et moyen de séduire un lecteur ordinairement peu tenté par les auteurs les plus « littéraires ». Au niveau de l’écriture, le bénéfice est double également : le roman policier échappe à la fossilisation, le roman sans étiquette se régénère grâce au mélange des genres, en particulier en s’abreuvant à la littérature populaire908.

En effet, les oeuvres contemporaines sont souvent faites d’un agrégat de traces génériques variées ; elles sont en tant que telles parfois considérées, dans le meilleur des cas, comme des ‘« formes de transition vers un genre voisin’ 909  » : le Mystère de la Crypte ensorcelée, d’Eduardo Mendoza, se voit ainsi caractérisé en quatrième de couverture de l’édition Points/Seuil de 1982 : « Un étonnant roman, policier et picaresque à la fois, dans le Barcelone de l’après-franquisme ». Pour l’édition Gallimard/Folio (1987) du roman de Vargas Llosa, Qui a tué Palomino Molero?, la quatrième de couverture accouple le policier avec le roman réaliste socio-politique : ‘« Au suspense sans faille d’un véritable roman policier, Mario Vargas Llosa greffe une rigoureuse analyse des problèmes sociaux du Pérou et une dénonciation ironique, implicite, des mécanismes du pouvoir ».’ La multiplicité générique complique encore le concept de genre, en tant qu’il recouvre une relation d’appartenance d’un texte à un ensemble générique. Comme le fait remarquer judicieusement Jean-Marie Schaeffer, on ne peut comparer, contrairement à ce que s’autorise une certaine tradition critique, la littérature et les espèces animales : les textes ne se reproduisent pas biologiquement, il ne peut donc y avoir une unité de l’espèce littéraire910. Nous considérons pour notre part qu’on peut envisager les phénomènes intertextuels policiers comme un mode d’engendrement littéraire, même s’il est clair que la notion de patrimoine génétique est à exclure !

Karl Viëtor remarque que ce mouvement de va-et-vient est éminemment productif, et assure même une certaine conservation générique, parfaitement observable en ce qui concerne le roman policier actuel à travers le foisonnement de nouvelles collections noires comme issues du creuset littéraire et de tous les croisements :

« Et c’est parfois cette nouvelle forme sortie du genre traditionnel qui, au cours de l’histoire, provoquera un mouvement de sens contraire, lequel tendra à ranimer les vertus créatrices du « vrai » genre qui avait été un temps refoulé 911 . »

Cette conjecture de Viëtor s’avère extrêmement juste pour le genre policier, si l’on pense aux tout derniers signes perceptibles dans le domaine de l’édition - à prendre avec toute la prudence nécessaire. Un auteur comme Pierre Magnan peut d’ailleurs servir d’exemple de cette évolution des conceptions et des pratiques éditoriales, puisqu’il a été publié sous couverture blanche, notamment par Gallimard, jusqu’en 1999 où il a été décidé de faire reparaître toutes ses oeuvres dans une collection noire. Pennac, passé du noir au blanc, va-t-il bientôt retrouver sa couverture noire ?

Notre corpus est au croisement des deux types de généricité : avec Belletto et Montalbán, nous attestons du fait que le genre policier est devenu, pour une grande part, un genre hypertextuel, suivant la terminologie de Genette. Il est intéressant de mentionner ici le point de vue de Jean-Marie Schaeffer qui distingue la parodie, en tant que « relation textuelle », permanente et anhistorique, du genre, en tant que ‘« configuration historique concrète et uniqu’ e 912». Le cas du roman policier parodique est donc singulier, et c’est en quoi il nous aide à élargir le concept de genre ou à lui donner une tout autre définition.

Quant à Amette et Marsé, nous avons montré quel parti ils tiraient de cette généricité  intertextuelle, mais leur présence dans notre corpus témoigne aussi de la problématisation des frontières génériques, du statut de la marge, notamment dans une généricité analogique. En effet, aucune marque paratextuelle ne nous autorise à parler d’Enquête d’hiver et de Boulevard du Guinardo en tant que romans policiers. Seules les traces textuelles nous renseignent sur l’« intentionnalité 913», ce qui peut sembler un critère subjectif. Cependant, la double généricité de ces oeuvres (hypertextuelle et analogique) nous semble une garantie contre une tentation à regrouper selon le seul principe de la ressemblance, puisque nous avons vu que, loin d’emprunter seulement des thèmes au genre, ces deux romans reposaient sur une structure et sur un pré-requis de lecture policiers, s’ajoutant à des références intertextuelles incontestables. De plus, choisir d’étudier des oeuvres récentes nous met à l’abri de la « rétroaction générique 914», qui conduit le lecteur à superposer son hypertextualité sur celle de l’auteur, étouffant cette dernière : comment le texte pourrait-il se défendre des rapprochements qu’on lui impose avec des oeuvres venues après lui ?

Ainsi, la présence dans notre corpus d’Enquête d’hiver et de Boulevard du Guinardo n’est pas seulement le fait de notre perception de lecteur : même si les deux oeuvres sont étiquetées paratextuellement « roman915» et pas « roman policier » (pas plus que l’Enfer, d’ailleurs), nous savons que Marsé comme Amette assument la généricité policière, grâce aux marques thématiques et à la communication qu’ils mettent en place. Mais ils pratiquent cette généricité dans ce qu’elle inclut de volonté d’écart. Jean-Marie Schaeffer regrette en effet qu’on ne mette en avant que l’aspect répétitif de la généricité, en oubliant ce qu’elle contient de transformation, tout aussi important pour comprendre ce qu’est un genre. Par là même, notre corpus se trouve justifié :

« Je pense qu’un des critères essentiels à retenir [pour créer un corpus générique] est celui de la coprésence de ressemblances à des niveaux textuels différents, par exemple à la fois aux niveaux modal, formel et thématique. Par contre, il ne me semble pas nécessaire d’exiger de l’ensemble de ces traits qu’ils puissent s’intégrer pour former une sorte de texte idéal déterminé dans son unité : cela est sans doute le cas lors de la réduplication générique (ainsi, lorsqu’on lit beaucoup de romans policiers, on en arrive à avoir l’impression que c’est toujours le même), mais lors de la transformation générique, les traits retenus (pour la transformation) sont souvent moins intégrés 916 . »

La parenthèse introduite par Jean-Marie Schaeffer au sujet du roman policier montre bien à quel danger nous nous exposons en choisissant des oeuvres « marginales »: comme c’est le genre où la répétition, à cause notamment du phénomène des séries, a trouvé un terrain d’élection, on risque de ne pas apercevoir toutes les transformations, les variations apportées par les auteurs, notamment ceux de la modernité, d’autant qu’ils ne publient souvent pas, au moins jusqu’à récemment, dans des collections spécialisées. Le lecteur a donc tendance à exclure du genre ce qui ne se conforme pas strictement aux canons du roman-problème ou de la Série Noire - soit qu’il apprécie ce modèle, soit précisément qu’il en stigmatise l’aspect répétitif -, même si actuellement, cette tendance, on l’a vu, est corrigée par la politique éditoriale.

Le roman policier est donc bien un roman, il en a la souplesse et la liberté, puisqu’il s’adapte, dans sa production et dans sa réception, non seulement aux individus qui l’utilisent mais aussi aux époques ; Jacques Dubois fait même de cette adaptabilité une caractéristique du genre policier917. Jean-Paul Colin condamne quant à lui les tentations taxinomiques d’une critique prête à accepter les aménagements laborieux, les marges extensives, ne serait-ce que par confort intellectuel et politique commerciale, quitte à « s’extasi[er] sur ces  « plus-que-romans-policiers 918 » :

« Ce qui fait que l’histoire du roman policier ne saurait être l’évolution « progressive » (ni du reste progressiste) d’une forme initiale donnant des formes secondaires « améliorées », mais qu’elle est à nos yeux le déplacement circonstanciel de certains éléments narratifs , qui d’une époque à une autre, mettent l’accent sur une branche particulière de cet « arbre à crimes » qu’est le genre en question, développent - parfois même hypertrophient - une espèce mieux consommable dans un contexte donné 919 . »

La transformation est donc contenue dans l’idée même de genre : chaque écrivain reprend et modifie les données de l’héritage générique, sur lequel, suivant le mot de Jean-Marie Schaeffer, il « travaille 920», conformément à la dynamique générique, mais aussi, il faut y insister, en fonction de son individualité, élément extra-textuel qui vient encore brouiller une définition purement textuelle des genres. Chaque écrivain peut trouver dans le genre policier des potentialités qui n’avaient pas jusqu’alors été développées ; il les met alors en rapport avec d’autres domaines d’écriture, les adapte à lui-même, à l’horizon d’attente des lecteurs, à l’époque. Cette utilisation peut aller pour Montalbán jusqu’à la « violation du code », conformément à l’esthétique postmoderne de l’utilisation des genres mêlant « tradition » et « innovation 921».

Le cas du romancier barcelonais est d’ailleurs intéressant en ce qu’il illustre la capacité du genre à se plier aux besoins du créateur, dans un mouvement de transformation permanente. Montalbán explique en effet qu’il est parti du polar comme d’une convention nécessaire, propre à tourner le dos aux tendances littéraires expérimentales des années 70, de plus en plus abstraites, qui vidaient le langage de son aspect opératoire. Cet apprentissage de l’écriture romanesque culmine pour lui avec les Mers du Sud. De plus, il y a chez Montalbán l’idée très forte que le pouvoir et le langage sont liés. Ceux qui ont le pouvoir privent les autres du langage. Or, l’écriture noire peut constituer une réaction par rapport à ce double danger : par son « appareillage analytique 922», elle lui permet de pratiquer un « discours réaliste rénové 923 » et d’utiliser un personnage, le détective, prisme idéal pour exprimer une position sur le monde. L’intrigue elle-même semble peu importer ; elle est mise à distance par l’ironie. Ce qui compte, c’est que le roman noir peut devenir ‘« un instrument de diction de la transition démocratique’ 924  » (G. Tyras).

Ce mode d’expression romanesque une fois acquis et déjà transformé, Montalbán a pu le concilier avec l’écriture subnormale, qu’il pratiquait précédemment, en soulignant par exemple l’aspect conventionnel du récit et la matière archétypale et utilitaire du personnage central, en intégrant les collages, bref en personnalisant de plus en plus le substrat policier - ce qui n’est pas sans évoquer la trajectoire d’un Clément/Amette. Le cycle quitte le genre précis pour rejoindre le groupe plus large des romans fonctionnant autour d’une « trame-intrigue » :

« Bien sûr, dans les romans policiers, elle est plus explicite car il faut révéler un mystère supposé, mais, au fond, tout roman est un mystère, et tout romancier une sorte de détective 925 . »

Parallèlement, dans un récit comme Sabotage olympique (1993, trad. 1995), l’auteur cède à l’intérieur du cycle à son goût pour l’écriture subnormale et y revient pleinement.

Il faudrait alors, suivant l’idée énoncée par Hans Robert Jauss, privilégier l’idée d’une « dominante 926 », permettant d’instaurer le principe d’une continuité et d’une évolution, liée à celle de l’horizon d’attente, au lieu de catégoriser de façon fermée et abusive. Cette attitude critique téléologique, au coeur des idées d’âge d’or et de décadence qui traînent dans beaucoup d’ouvrages sur le genre policier, est rejetée par Hans Robert Jauss au nom du concept d’historicité :

« Or, le principe d’une historisation du concept de forme n’exige pas seulement que l’on renonce à la vision substantialiste d’un nombre constant de qualités qui, dans leur immutabilité, fonderaient un genre déterminé. Il faut aussi se débarrasser de l’idée d’une juxtaposition de genres clos sur eux-mêmes et chercher leurs interrelations, qui constituent le système littéraire à un moment historique 927 . »

Le fameux brouillage générique paraît dès lors tout aussi logique, sous la forme de ces échanges permanents qui se sont instaurés entre le roman policier et les autres, avec ou sans étiquette.

Cependant, cette attitude critique a la vie dure. Elle répond sans doute, comme les romans policiers traditionnels, à un besoin chez les auteurs comme chez les lecteurs ; d’ailleurs, la production policière est pour beaucoup faite de ces polars à structure fixe. Mais cette attitude critique et cette permanence du type immuable ne sont pas nouveaux ; ce qui est nouveau, au contraire, et tout aussi important quantitativement dans l’ensemble de la production romanesque, c’est cette multitude de romans policiers « impurs », mixtes ou différents, à notre époque.

Pour ce qui concerne en particulier le roman policier espagnol, Hans Robert Jauss nous donne une piste pour mieux comprendre la profusion d’oeuvres policières parodiques ou « à traces » :

« Plus un texte est la reproduction stéréotypée des caractéristiques d’un genre, plus il perd en valeur artistique et en historicité 928 . »

Le roman policier espagnol nous semble parfaitement illustrer cette assertion : utilisé à la fin du franquisme, c’est-à-dire d’une période d’immobilisme, il a spontanément fait l’objet d’aménagements et d’expérimentations, comme s’il traduisait à lui seul la nécessité de faire redémarrer l’histoire. Marsé, Mendoza, Ledesma, ou Montalbán, s’en sont pris au genre le plus figé qui soit comme à l’image d’un Franco fossilisé ; il était naturel que cette entreprise vise un renouvellement et que ce travail de remise en mouvement passe par la parodie, avec ses aspects révolutionnaires et son traitement irrespectueux du père. D’où la fortune du roman policier parodique en Espagne, dans la période post-franquiste.

Plus généralement, en Europe comme ailleurs, le genre policier se retrouve, parce qu’il s’y prête par ses différents signes distinctifs, dans la mouvance littéraire moderne qui travaille sur la narrativité, qui utilise les contraintes, et/ou qui remet en cause en profondeur, parce qu’elle n’y croit plus, ce qui fait du policier l’archétype de la structure générale romanesque : la causalité, et, partant, la finalité. Rien n’empêche donc de penser que le siècle prochain verra d’autres écrivains s’emparer du roman policier pour en exploiter une composante encore discrète, passée inaperçue ou négligée actuellement.

Pour Gérard Genette, l’argument générique le plus fiable serait ainsi « la capacité de dispersion (dans des cultures diverses) et de récurrence spontanée 929  » de traits génériques, ces critères expliquant pour nous à la fois l’incontestable permanence vivante de la structure, des modalités de réception et des thèmes policiers, et la difficulté à définir le genre. On peut donc déduire de toutes ces tendances contemporaines, avec Jean-François Carcelen, que

« les genres n’ont pas disparu en tant que tels, mais leur légitimité repose désormais sur le droit à la transgression 930 . »

Il n’est alors pas surprenant que la notion de genre se trouve, en particulier dans le domaine policier, mise en question de façon fondamentale par la multiplication de romans parodiques. Par ses procédés propres, la parodie met en évidence tous les subterfuges de l’illusion référentielle et les clichés génériques, mettant par là même le lecteur à distance du texte. Il est alors confronté au texte comme littérarité et ne peut se borner à une lecture quasi-pragmatique. La création de Montalbán, comme celle de Mendoza, renverse donc une tendance paralittéraire du genre, consistant en la domination de l’illusion référentielle et de la dimension littérale. Leur usage de la référence intertextuelle, au lieu de renforcer la « naturalité » du texte, accentue sa « fictivité », stimulant sans cesse la distance critique du lecteur. Mais cette altération n’est pas nouvelle, si on considère comme Jean-Claude Vareille la portée ironique des romans de Leroux et de Leblanc, conjuguant illusion et distance. L’ironie est également constitutive du roman noir depuis Chandler931 ; elle a sans doute contribué, en s’étendant à la catégorie romanesque elle-même, à faire du genre un terrain privilégié pour la parodie.

Si la parodie, selon Daniel Couégnas, vient « compliqu[er] 932» l’approche générique, c’est qu’elle est avant tout une lecture. Le roman policier est le roman du lecteur, et nous avons vu à quel point la perception complexifiait encore la définition générique de tout texte et la rendait aléatoire. Pour Gérard Genette, la parodie établit une relation de paratextualité933, c’est-à-dire d’imitation, de transformation ; chez Montalbán, en particulier dans Sabotage Olympique, le texte sert même de prétexte à une réflexion sur le genre, entretenant avec lui une relation de commentaire. Gérard Genette place la question des genres sous celle de la transtextualité, subsumant les fonctions paratextuelle et métatextuelle, c’est-à-dire de tout que qui met les récits en relation avec d’autres, système de références si présent dans le cadre du roman policier.

A l’idée même de genre, avec ses présupposés fixes et sectaires, ses interprétations classificatoires a posteriori et son critère exclusif de récurrence, Jean-Marie Schaeffer propose alors de substituer celle de généricité, pour éviter les aléas de l’interprétation ‘« qui ne saurait se faire en dehors d’un horizon générique’ 934 », lié à l’horizon d’attente du lecteur. La généricité est basée sur l’interrelation et la « circulation  935  » entre les oeuvres, de plus en plus intense, compliquant précisément la catégorisation générique :

« Dès qu’il y a transformation générique, la classification y voit soit le début d’un genre nouveau, soit un texte a-générique. D’où la thèse que les grands textes sont a-génériques. L’étude de la généricité textuelle permet au contraire de montrer que les grands textes se qualifient non par une absence de traits génériques, mais au contraire par leur multiplicité extrême [...] Il y a généricité dès que la confrontation d’un texte à son contexte littéraire (au sens vaste) fait surgir en filigrane cette sorte de trame qui lie ensemble une classe textuelle et par rapport à laquelle le texte en question s’écrit [...] 936 . »

La diversité des relations qui unissent le texte à la « trame » explique la variété de notre corpus d’étude ; ces liens peuvent être de dévoration de l’un par l’autre et vice-versa, de transformation ou de détraquage, et nos quatre oeuvres en apportent l’illustration. Ce qui est donc intéressant dans cette perspective, c’est qu’elle remet le concept de genre au niveau de la textualité, en ne privilégiant plus le niveau de la lecture et les tentations structurelles à l’oeuvre dans les constructions métatextuelles que sont les classifications.

Notes
879.

Cf. U. Eisenzweig, Autopsies du roman policier, p. 8 : « A bien examiner ce qui s’est dit, depuis près d’un siècle, sur ce sujet, on se prend à soupçonner que l’histoire du roman policier pourrait n’être, après tout, que celle d’une perception ». Cette vision évoque également la thèse de Ph. Lejeune, qui insiste sur l’importance du contrat de lecture propre à chaque époque, l’idée de genre étant dès lors naturellement instable. Cf. Ph. Lejeune, le Pacte autobiographique, Seuil, 1975, pp. 7-9, pp. 329-337.

880.

J.P. Colin fait allusion à ce débat, op. cit., pp. 16-17. Cf. aussi J.C. Vareille, Filatures, p. 11.

881.

Cf. J.M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Seuil, coll. Poétique, 1989, p. 66 : « Mais ces dérives par lesquelles un terme en vient à se superposer selon les époques à des ensembles de textes parfaitement dissemblables ne sont que la forme la plus voyante d’une caractéristique qui est commune à beaucoup de noms génériques, [...] à savoir le fait qu’ils ne se réfèrent que rarement à un ensemble de caractéristiques ou de propriétés textuelles récurrents : à la dérive extérieure correspond donc une dérive intérieure. »

882.

A. Montandon, « l’Angoisse du penalty », in le Roman policier et ses personnages, pp. 111-120.

883.

W.D. Stempel, « Aspects génériques de la perception », in Théorie des genres, Points, Seuil, 1986,

pp. 164-168.

884.

J.L. Borges, art. cit., p. 290. Cf. Robbe-Grillet, in Littérature n° 49, p. 21 : « Je préfère, comme Borges, lire Sanctuaire comme roman policier, plutôt que de lire des romans policiers des collections policières. »

885.

D. Couégnas, op. cit., p. 178.

886.

U. Eisenzweig, op. cit., p. 21.

887.

« Le constituer comme genre, c’est qualifier l’anti-romanesque d’anti-littérature. C’est le nommer, c’est-à-dire l’exorciser, rétablir la hiérarchie des choses, la sécurité des valeurs. » Ibid., p. 25. Précisons que cette thèse n’est applicable qu’au roman policier dit classique, type Doyle ou Agatha Christie, puisque le roman policier dit archaïque inclut largement l’événement.

888.

J.L. Borges, art. cit., p. 292.

889.

Cl. Amey, op. cit., p. 85, note que le roman policier « appartient à l’ère de la crise des grands récits idéologiques, celle de l’effritement du sens et de l’éclatement des formes (le récit flaubertien, baudelairien, mallarméen, etc.) ». Cf. aussi J.C. Vareille, l’Homme masqué, pp. 191-192 : « En tant que roman, le roman policier naissant est contemporain des oeuvres de Mallarmé et de Flaubert à une époque où l’écriture se retourne sur elle-même en une recherche inquiète, elle devient réflexion sur les conditions de sa propre possibilité/impossibilité. »

890.

U. Eisenzweig, op. cit., p. 8, cite un extrait du Journal des Goncourt : « Poë, une littérature nouvelle, la littérature du XXe siècle : le miraculeux scientifique, la fabulation par A+B, une littérature à la fois monomaniaque et mathématique » (16 juillet 1856). Il faudra attendre 1904 pour que Poe soit édité avec l’étiquette policière.

891.

M.V. Montalbán, le Désir de mémoire, p. 89. L’équivalent « littérature autistique », utilisé par Montalbán lors de ces entretiens, lui a été suggéré par son interlocuteur, G. Tyras.

892.

On peut penser notamment au développement, dans les années 20 et 30, des concours policiers (par exemple, les lecteurs devaient imaginer la solution et terminer seuls le texte, ou bien des auteurs devaient proposer leurs solutions à une énigme proposée par un lecteur), ou même à la vogue des crimes dossiers, où l’on demandait au lecteur de se raconter tout seul l’histoire !

893.

M. V. Montalbán, « Littérature du troisième type », in Hard-Boiled-Dick, p. 49. Nous nous plaçons d’ailleurs beaucoup plus dans cette perspective que dans celle, élitiste et autoritaire, d’un K. Stierle, de M. Picard, ou de T. Todorov, dont nous citons les propos tirés de « les Catégories du récit littéraire », in Communications n° 8, p. 135 : « Il est dangereux d’identifier l’oeuvre avec sa perception chez un individu ; la bonne lecture n’est pas celle du « lecteur moyen » mais une lecture optimale. »

894.

J.F. Carcelen, « Le brouillage des frontières génériques », in Postmodernité et écriture narrative, p. 198.

895.

D. Couégnas, op. cit. p. 122. D. Couégnas établit comme autres indices de paralittérature la forte narrativité, la domination du code herméneutique, la rareté de la description, le suspens, la polarisation.

896.

Cl. Amey, op. cit., p. 29.

897.

J.P. Colin, le Roman policier français archaïque, p. 253. Cf. aussi p. 13 et p. 252.

898.

H. Haycraft et Ellery Queen, « la Bibliothèque idéale du polar », in Polar Mode d’emploi, p. 127.

899.

D. Couégnas, op. cit., p. 60 : « Un genre, ce sera donc à la fois : un ensemble de propriétés textuelles, de contraintes matérielles, structurelles, pragmatiques (horizon d’attente, contrat de lecture) ; une série de règles, de conventions esthétiques et formelles ; une tradition d’oeuvres, un espace intertextuel, avec des mécanismes de reproduction, d’écart, d’opposition, de dépassement ; un ensemble d’oeuvres présentant, hors de tout lien historique, des similitudes, en particulier thématiques » - et structurelles, pour le roman policier...

900.

J.M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, p. 35.

901.

J.P. Colin ironise à ce sujet dans « le Truand de papier et sa langue de bois », in le Roman policier et ses personnages, p. 61 : « Le roman policier, dont on attend toujours, sauf erreur de ma part, LA définition [...] ». Cette déclaration datant de 1989 est à mettre en rapport avec toutes les définitions, complexes (Todorov) ou minimalistes, du genre. Boileau et Narcejac, in le Roman policier, pp. 7-16, rappellent plusieurs tentatives définitoires et constatent l’impasse théorique : après des années de recherche, ils réduisent cette définition à un rapport étroit entre un « mystère » et une « enquête ».

902.

K. Viëtor, « l’Histoire des genres littéraires », in Théorie des genres, p. 30, décrit l’interprétation critique dans des termes évoquant l’activité du détective : « La pratique devient de ce fait si habile que la première approche suffit à mettre en branle notre capacité divinatoire de compréhension et que la connaissance d’un seul fragment peut déjà permettre à l’historien de se faire une image vraisemblable et approchée du tout. »

903.

Ibid., p. 28 : « On peut trouver que certaines oeuvres contiennent l’élément générique avec plus de pureté relative que d ’autres, mais on retrouvera aucun moment dont on puisse dire que le « type » y est réalisé, le genre dans sa plénitude, et son histoire parvenue à son accomplissement idéal. »

904.

Cf. par exemple J.B. Pouy, « Miscellanées », in les Temps Modernes, pp. 224-237, sous-titré :  « [...] dix trucs désormais à éviter quand on veut écrire un polar [...] », variante des règles de Van Dine ; il semble que le néo-polar soit d’ailleurs presque aussi prescriptif que le roman-problème...

905.

J.M. Schaeffer, op. cit., p. 176. Cette dérive courante est évoquée par J.M. Schaeffer, p. 184 : « Même lorsqu’une classe analogique se superpose partiellement à une classe à conventions traditionnelles ou à conventions régulatrices (comme cela arrive souvent), cette superposition est méthodologiquement neutralisée : le principe même de formation de la classe analogique met entre parenthèses la généricité auctoriale. »

906.

Extrait de la quatrième de couverture de Rue des Boutiques obscures, Gallimard, Folio, 1978. Citons aussi le début de celle de la Disparition de Majorana, les Poignardeurs, de L. Sciascia, publié chez Garnier-Flammarion en 1984 : « Deux textes tout à fait caractéristiques de la manière de ce grand écrivain sicilien : un art de conter subtil et précis où l’écriture s’apparente à l’intrigue policière. »

907.

J.M. Schaeffer, « du Texte au genre », in Théorie des genres, p. 199.

908.

Cf. H.R. Jauss, « Littérature médiévale et théorie des genres », in Théorie des genres, p. 66 : « D’un point de vue diachronique, l’alternance historique en ce qui concerne la domination d’un genre apparaît dans les trois phases de : la canonisation, la création d’automatismes et le changement de fonction. Les genres à succès de la littérature d’une époque perdent progressivement de leur efficacité parce qu’ils sont continuellement reproduits, ils sont supplantés par des genres nouveaux, issus d’une couche vulgaire , et repoussés à la périphérie, quand ils ne sont pas renouvelés par une modification structurelle - que ce soit par la mise en vedette de thèmes ou de procédés réprimés jusqu’alors ou par l’adoption de matériaux ou de fonctions pris à d’autres genres  » (souligné par nous).

909.

K. Viëtor, art. cit., p. 35.

910.

J.M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, p. 71.

911.

K. Viëtor, art. cit., p. 35.

912.

J.M. Schaeffer,  « du Texte au genre », in Théorie des genres, p. 204.

913.

Ibid., p. 169 : « Nous avons vu que le statut générique de l’acte communicationnel n’est pas un fait de textualité (bien qu’il donne lieu à des marqueurs textuels) mais un fait d’intentionnalité. »

914.

J.M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, p. 183 : « [...] l’hypertextualité auctorialement réalisée peut toujours être parasitée, soit par des phénomènes de rétroaction générique, soit par des phénomènes de généricité purement analogiques, qui peuvent être liés à un contexte nouveau. » Plus largement, J.M. Schaeffer montre que tout texte « décontextualisable » (ibid., p. 142) court le risque de recontextualisations lors de réceptions postérieures. N’est-ce pas ce qui sous-tend la relecture d’Agatha Christie par P. Bayard ?

915.

Notons tout de même que la mention « novela » (roman), présente dans l’édition espagnole de Boulevard du Guinardo, a disparu dans notre édition française ; preuve supplémentaire de l’interprétation - elle aussi soumise au contexte - que constitue une traduction même lorsqu’elle se veut fidèle. Cf., à ce sujet, J.M. Schaeffer, op. cit., p. 145.

916.

J.M. Schaeffer, « du Texte au genre » in Théorie des genres, p. 203. Cf. aussi p. 202.

917.

Cf. J. Dubois, op. cit., p. 49.

918.

J.P. Colin, op. cit., p. 253. Ex : « L’Enfer est un polar et Belletto un écrivain. Ou, pour préciser, l’Enfer est peut-être un faux polar mais Belletto, sûrement, un vrai écrivain. Un écrivain majuscule , avec toutes les cordes à son violon, tous les registres dans sa voix. » F. Nourissier. Dans ce cas, le souci de paraître différent se conjugue avec la nécessité d’affirmer qu’on se situe bien dans le camp de la Littérature, et pas de la sous-littérature que constitue le polar - tout en séduisant par l’impact de ce mot les lecteurs de romans policiers. Autre exemple pour Montalbán, qui n’échappe pas à ce genre de promotion : « La Rose d’Alexandrie est certainement le meilleur roman de Montalbán traduit à ce jour. Un roman difficile à classer dans un genre tant l’absence de démarcation entre le policier et la « littérature noble » est ici difficile à tracer [...] » J.P. Deplus.

919.

J.P. Colin, op. cit., p. 10 (souligné par nous). Cf. K. Viëtor, art. cit., p. 32 : « Comme il est naturel, chaque époque donne son essor à une particularité spécifique du genre [...] ».

920.

J. M. Schaeffer, art. cit., p. 197.

921.

Cf. M.V. Montalbán, le Désir de mémoire, p. 129. Cf. p. 131 : « [en lisant Hammet ou Simenon] je me rends compte à quel point la distinction entre roman et roman policier est stupide, dans bien des cas. »

922.

Ibid., p. 135. Au sujet de l’utilisation du genre, cf. pp. 88-89, 90, 94, 150, et 144. Il faut également mentionner l’influence du personnage lui-même, qui d’après son créateur tend à s’affranchir et à peser sur l’évolution du genre (cf. p. 198).

923.

Ibid., p. 93.

924.

G. Tyras « Manuel Vásquez Montalbán », in le Roman espagnol actuel, p. 183.

925.

M.V. Montalbán, op. cit., p. 207.

926.

H.R. Jauss, « Littérature médiévale et théorie des genres », in Théorie des genres, p. 44.

927.

Ibid., pp. 64-65.

928.

Ibid., p. 49.

929.

G. Genette, « Introduction à l’architexte », in Théorie des genres, p. 146. G. Genette repousse le critère de durée pour attester de l’existence d’un genre puisque cette durée peut être synonyme de « fossilisation ».

930.

J.F. Carcelen, art. cit., p. 198.

931.

Cf. D. Fernandez Recatala, le Roman policier, p. 127 : « Il y a une mise en question d’une forme par elle-même, qui marque à la fois son accession à la maturité et le commencement d’une désagrégation qui, aujourd’hui encore, se poursuit activement, car le processus n’a pas de fin : reprise décalée de thèmes déjà convenus, l’oeuvre de Chandler a pris avec le temps valeur de référence mythique - donc d’objet à retravailler. Chance inouïe pour les romanciers de tout poil : l’ironie fait partie du système lui-même, ce qui permet à la fois de s’en réclamer et de le détruire, et sa richesse tient à son épuisement même ! »

932.

Cf. D. Couégnas, op. cit., p. 21 :  « [...] les mécanismes de la parodie, du pastiche et de l’intertextualité ont depuis toujours brouillé les cartes, compliquant le jeu littéraire. »

933.

Cf. G. Genette, « Introduction à l’architexte », in Théorie des genres, pp. 157-158.

934.

J.M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, p. 151.

935.

J.M. Schaeffer, « du Texte au genre », p. 202.

936.

Ibid., p. 204.