La distinction entre un extratexte référentiel et un intratexte fonctionnel et fictionnel est donc tout à fait inopérante : le texte entier réfère au monde ; Wolf Dieter Stempel prête à tous les constituants du texte (décor, personnages, actions) la ‘« qualité de signes iconiques’ 1085 » jouant un rôle dans l’expérience du monde du lecteur. Le personnage est en particulier au coeur d’une démarche visant à communiquer au lecteur, au-delà d’une vision du monde, une perception de l’existence, une difficulté à se définir. Cette démarche entraîne non seulement une écriture subjective, mais aussi le sentiment de la présence de l’auteur en tant que personne humaine exprimant son intériorité et ses troubles existentiels.
Le monde policier a donc évolué en fonction de la mutation du référent : ce qui fait l’objet du roman policier, et qu’on appelle le mystère, ne renvoie plus à la même définition, ce que remarquent Boileau-Narcejac :
‘ « Au fond, si l’on a accolé au mot « roman », le mot « policier », c’est qu’on a cru qu’une histoire mystérieuse pouvait toujours être tirée au clair par les procédés d’investigation de la police.[...] Mais si c’est le regard qui fait le mystère, si le mystère n’est pas là où l’on veut naïvement le mettre, mais ailleurs, s’il procède d’une angoisse existentielle, alors, c’est le contenu même du roman dit policier qui, à son tour, peut être récupéré par la littérature 1086 . » ’D’où les problèmes actuels que se posent les critiques pour exclure ou inclure telle ou telle oeuvre dans le domaine policier, le contenu sémantique leur semblant trop différent de la figure originaire du genre. Les oeuvres policières se mettent à ressembler aux autres parce qu’elles se rejoignent dans l’exploration de ce qui est à présent perçu comme l’énigme essentielle, l’existence humaine. Ce transfert de signification est parfaitement exprimé par l’Enigme de Rezvani, où l’intérêt se déplace du crime à ce qu’il exprime du mystère existentiel : ‘« Ah ! L’énigme est partout !’ 1087».
Cette dispersion herméneutique fonde un roman comme l’Enigme de Rezvani : ‘« Par moments, l’énigme universelle me paraît si puissante que tout le reste semble irréel, hormis cette énigme ’ 1088. » D’une manière générale, la fiction est le lieu de ce rapport explicatif au monde, comme le note Robert Scholes :
‘ « Le monde « réel » (où nous vivons mais que nous ne comprenons jamais) est moralement neutre. Les mondes fictionnels, au contraire, sont chargés de valeurs. Ils nous offrent un point de vue sur notre propre situation, de sorte qu’en essayant de les situer, nous sommes engagés dans une quête de notre propre situation 1089 . » ’Amette s’inscrit dans cette esthétique digressive, d’une manière progressive. Le glissement du texte vers les parenthèses et les réflexions se développant dans les monologues intérieurs font rentrer le monde dans l’oeuvre, jusque là repliée sur sa textualité générique, soumise et réduite à des stéréotypes vides de pensées (« Souvent les comédiens font maladifs » (19).
Même dans un roman policier aussi « classique » que l’Enfer - dans le sens où il illustre l’économie narrative propre au genre, sans digressions inutiles -, les évocations de Lyon servent peut-être d’effet de réel et ont un rôle structurel évident, manifestant le trajet du héros ; mais elles expriment aussi - et sans doute avant tout, tout étant d’ailleurs étroitement mêlé - l’intériorité du personnage, un être souffrant auquel le lecteur va s’identifier douloureusement. Le personnage voit tout à travers le prisme de sa dépression, comme son paysage natal, évoquant ‘« le charme pourri des confins villeurbannais, la désolation des maisonnettes, les sentiers sans joie, la végétation sale des rives du canal de Jonage où les désespérés ont coutume de venir piquer des têtes »’ (163-164). La grande ville infernale est certes un lieu commun, un décor conventionnel et attendu du roman noir. Mais le cliché est totalement réactivé, puisqu’il sert à la fois narrativement (le décor est le support des indices) et au niveau référentiel, pour exprimer une perception réelle de l’homme dans la cité. C’est pourquoi, s’il est évident que le récit s’affiche et se dénonce comme tel dans l’Enfer, par le biais des multiples coïncidences et par cette construction diabolique qu’on ne peut manquer de remarquer, cela n’entame en rien la portée référentielle du texte, en ce sens que ces choix narratifs trahissent aussi une conscience individuelle, la névrose du personnage expliquant par exemple qu’il voie autour de lui tant de figures de la réduplication.
La solitude dans la grande ville, les agressions architecturales, la perception d’une dominante grise et sale, tout cela réfère à un vécu authentique : ‘« Carrefour-Vénissieux, immense vermine plate et accrochée au sol et lui suçant d’ignobles substances’ [...] » (112). En Soler, le lecteur retrouve les sentiments désordonnés de la vraie vie, une expérience réelle de la condition humaine, à la fois singulière et communicable. Aucun hors-texte informationnel n’est nécessaire, parce qu’on est plongé dans cette intériorité malheureuse, mais celle-ci ne nous toucherait pas à ce point si elle ne présentait pas tant de ressemblances avec notre propre vécu intérieur. Il est évident que cet aspect référentiel, chez Belletto, a un caractère égocentrique - représentatif du roman-problème -, dans le sens où il ne s’agit ici que de parler de l’homme et de ses difficultés à vivre - et peut-être même que d’un seul homme, le scripteur....
Mais cette référence à une souffrance individuelle se retrouve tout autant dans les romans espagnols corrélativement à leur projet idéologique. Nous avons montré l’importance de la volonté d’écrire pour les autres, de parler du monde extérieur, chez les écrivains espagnols. Mais cette apparente extériorisation de la création est à nuancer. On écrit d’abord pour soi ; c’est la culpabilité qui découle de cet acte narcissique qui conduit l’écrivain à dire qu’il écrit « par procuration 1090 », pour tous les autres, pour dire ce qu’ils ne peuvent pas dire. Ainsi, l’intrication entre la démarche archéologique des romanciers espagnols, cette mise à jour du passé à laquelle se prête si bien le genre policier, et la part autobiographique est frappante, de Montalbán à Benet, de Muñoz Molina à Ledesma, en passant par Marsé1091. Non seulement parce que le genre se prête évidemment de la même façon à une enquête sur soi, mais aussi parce qu’il a toujours à voir, comme le rappelle Jacques Dubois, avec la mort du père1092 - l’image du père traverse avec force nos quatre romans - , et manifeste ainsi la « pression » de l’inconscient (le crime) en mettant en scène sa « répression » (la remise en ordre). Montalbán le dit lui-même :
‘ « Cela me fascine énormément, la dualité du comportement, et comment nous sommes constamment en train de réprimer une partie de nous-mêmes 1093 [...] » ’Maria-Linda Ortega a notamment montré, pour Montalbán et Benet, le poids de la relation père/fils sur la création, au coeur des problèmes identitaires si perceptibles dans la littérature espagnole contemporaine ; elle rappelle opportunément l’emploi du mot « deudo » (parent) proche de « deuda » (la dette) en le rapportant à un champ lexical obsédant, celui des comptes à épurer. On se souvient des soins que met Carvalho à constituer sa retraite et à ne plus rien devoir à personne1094. Les mêmes mots ‘(« payer mes dettes et enterrer mes morts »)’ reviennent d’ailleurs dans la poésie de l’auteur barcelonais ou dans ses confidences à Georges Tyras1095.
Tout ceci manifeste une culpabilité historique, dont on voit très bien la double figure dans toute l’oeuvre de Montalbán : le père réel, absent, victime franquiste, qui suscite des sentiments ambivalents, déjà culpabilisants, et le père symbolique, mauvais, qu’on n’a pas su supprimer, Franco. Sont dès lors liés le sentiment de culpabilité et la difficulté à dire « je », qu’on peut d’ailleurs raccorder à la polyphonie ou à d’autres recherches dans la focalisation chez les auteurs de cette génération1096 :
‘ « El idear crímenes para los que la noción de culpabilidad se ensancha a un grupo social o a una sociedad entera, mirado por ese mismo lente se puede convertir en el sueño de una sociedad cometiendo por fin el único asesinato impossible y tan anhelado 1097 .» ’Freud a étudié le cas des criminels par sentiment de culpabilité : l’individu souffrant d’une culpabilité confuse, issue du complexe d’Oedipe (liée aux deux transgressions que ce complexe contient) commet un forfait qui le soulage, donnant un objet précis à ce sentiment obscur1098. A partir de cette analyse, on peut supposer que la fortune du genre en Espagne, dans la littérature populaire aussi bien qu’expérimentale, lors d’une période marquée (de la fin du franquisme jusqu’à ces dernières années, où l’on perçoit un essoufflement), correspond à un besoin : l’acte criminel reproduit à l’infini dans les cycles policiers, et en particulier le meurtre, libérerait substitutivement d’un sentiment de culpabilité lié au père historique.
Le choix du genre policier, la création d’un cycle et la compulsion de répétition du lecteur, s’expliquent ainsi en Espagne par ce besoin collectif de purger le passé, par le biais d’un assassinat fictivement démultiplié à l’infini, afin de se débarrasser de la question identitaire, rendue plus aiguë par un problème de communication entre générations, dont Montalbán n’est qu’un exemple1099. Plus globalement, l’aspect cyclique et l’appétit jamais satisfait du lecteur de roman policier peuvent traduire un besoin répétitif de meurtre du Père, par l’intermédiaire d’un personnage que Jean-Claude Vareille rapproche des héros antiques1100.
Ainsi, au-delà de l’aversion envers le père symbolique, Montalbán prête à son personnage1101 la même jalousie qu’il a connue envers son père réel à son retour à la maison, mais dont il a pris conscience bien des années plus tard : il ne peut se défendre de sentiments ambigus envers cet homme « presque inconnu qui venait de sortir de prison et qui avait pris possession de la chambre qui avait été pendant des années un sanctuaire de tiédeur et de confiance pour lui et sa mère » (la Rose d’Alexandrie, 254). On peut du reste se demander si les fonctions occupées par son père pendant la guerre (fonctionnaire de police) et qu’il perdra ensuite, ont pesé sur la création du détective Carvalho, soit par mimétisme, soit par opposition (le détective privé vs le policier officiel).
La forte présence intertextuelle dans l’oeuvre de Montalbán pourrait par ailleurs manifester le désir du père, selon la théorie de Michel Schneider1102. Notons cependant que par l’intermédiaire de son personnage et à travers son traitement de la matière policière, l’auteur met à mal l’hypotexte. Parallèlement à la thèse de Maria-Linda Ortega, on peut avancer que l’intériorisation de la culpabilité s’exprime dans le roman policier, en ce sens que le criminel poursuivi indéfiniment peut représenter le sujet écrivant lui-même, qui ne cesse de cette manière de se châtier pour son échec historique 1103 :
‘ « ê tre coupable, c’est seulement être prêt à supporter le châtiment et se constituer en sujet de châtiment 1104 . » ’Pour Paul Ricoeur, le péché provoque le questionnement, ses errements et ses « réponses prématurées », et est souvent symbolisé par le « chemin tortueux 1105», toutes choses qui rappellent évidemment la structure même de l’enquête policière.
Dans de nombreux romans policiers contemporains, les questions de l’identité et de la culpabilité sont ainsi inextricablement liées. Il ne faut dès lors plus s’étonner que le genre qui les exprime par excellence - le roman policier - soit rapporté par « rétroaction générique » (J.M. Schaeffer), à Oedipe-Roi, lui-même lu selon une optique freudienne. Les ressemblances et la généalogie établies littérairement ne sont-elles pas fortement influencées par le contexte idéologique ou philosophique1106 ? Même la Série Noire s’est appropriée récemment le mythe oedipien, dans une traduction-interprétation qui actualise la pièce de Sophocle en sélectionnant des traits adaptables à notre contexte1107. L’image du père est présente dans tout notre corpus, mais bien au-delà1108, illustrant l’affirmation de Roland Barthes :
‘ « La mort du Père enlèvera à la littérature beaucoup de ses plaisirs.[...] Raconter, n’est-ce pas toujours chercher son origine, dire les démêlés avec la Loi, entrer dans la dialectique de l’attendrissement et de la haine ? 1109 » ’
C’est dire si le personnage au coeur de la création policière nous renvoie à nous-mêmes, à notre culpabilité historique et personnelle, à l’éclatement moderne de l’identité. La tension entre « pression » et « répression » (J. Dubois) s’exprime par la structure du roman policier, qui met en place une histoire de crime, cachée, refoulée, et celle d’une enquête rationnelle et rassurante.
Le thème du dédoublement nous est apparu fondamental dans l’esthétique de Belletto (cf. 1ère partie, 1.2.). S’il est inhérent à la structure policière, à notre époque, il se complique en une sorte de dédoublement généralisé - écho et conséquence du soupçon généralisé - puisqu’aussi bien chez Belletto que chez Montalbán ou Amette, le détective se fond dans d’autres personnages, en particulier dans le disparu. Cette figure peut d’ailleurs symboliser la conséquence ultime de la dispersion identitaire, c’est-à-dire un émiettement qui annihile peu à peu l’identité propre, action même de la société sur l’individu, pour Montalbán.
Dès lors, il est frappant de constater le nombre de détectives névrosés, déviants, instables, délirants, de la production policière contemporaine1110. Le détective type Holmes était hors normes, certes, mais la modernité exagère encore son excentricité ; l’approche métatextuelle lit en outre les détectives classiques en privilégiant leur fragilité, leur étrangeté. Pierre Bayard creuse le personnage de Poirot, modèle du rationalisme ronflant, jusqu’à trouver ses failles et sa vérité dans le roman posthume d’Agatha Christie (Poirot quitte la scène), où le détective devient un meurtrier, tout comme son fidèle confident, Hastings1111.
La culpabilité, qui explique pour partie le succès actuel du genre, était déjà posée par Edmund Wilson comme l’unique ressort de l’intérêt narratif policier entre deux guerres : le roman policier apparut alors comme la résolution imaginaire en un temps limité d’un seul problème, renvoyant à l’infinité des problèmes réels, liés au sentiment d’une faute1112. L’idée de limiter cette faute à un seul acte et d’en faire retomber la responsabilité sur un seul personnage était un remède merveilleux à l’angoisse du temps. Selon le degré d’ouverture ou de fermeture de l’oeuvre, l’auteur laissait plus ou moins en suspens la suspicion généralisée précédant l’identification du criminel, stade où chacun pouvait reconnaître sa propre implication dans la faute. Pour W. H. Auden, cette façon de faire envisager au lecteur son propre péché détermine l’intérêt du roman policier anglais, qu’il pose comme équivalent à la confession pour une société protestante ne pratiquant pas cette catharsis1113. Du Père Brown à Maigret, et jusqu’aux enquêteurs modernes, la quête conduit à s’identifier au criminel. Pour Jacques Dubois,
‘ « tout détective qui n’est pas un pur personnage fonctionnel se sait et s’avoue coupable à quelque degré 1114 . » ’La portée référentielle du détective s’impose donc, renvoyant à son créateur, ou, plus largement, à un vécu intérieur dans lequel le lecteur retrouve ses errements existentiels, souvent amplifiés, et les grandes problématiques individuelles contemporaines. C’est qu’on lui parle toujours de lui-même. Le roman policier moderne exprime une quête désespérée de l’identité, du polar version Lous au roman policier littéraire version Muñoz Molina. Il semble dès lors impossible d’exclure le roman policier du champ littéraire sous le prétexte qu’il laisserait ‘« le lecteur dans l’état où [il l’a] trouvé’ 1115». C’est exactement le but contraire que poursuivent Montalbán ou Marsé dans leur réécriture de l’histoire. De plus, le « je » éclaté de la postmodernité, le sujet problématique, aujourd’hui comme hier, hanté par le dédoublement et la culpabilité, s’exhibe dans la figure de l’enquêteur, dans la recherche du criminel ou du disparu ; ce dernier offre d’ailleurs tant de virtualités qu’il est mis en avant par de nombreux auteurs, comme Montalbán ou Amette, qui fait même disparaître la figure du criminel.
Cette dimension identitaire, le poids du passé qui se fait sentir sur les épaules des personnages de Marsé, d’Amette ou de Montalbán laissent percevoir au lecteur, au-delà du personnage mais par son canal, un discours sur lui-même. Même Pepe Carvalho, malgré sa constance à s’affirmer lui-même comme pure création, ne laisse pas de toucher le lecteur par sa lassitude, sa nostalgie, sa sensibilité, bref cette épaisseur humaine qui lui assure un lectorat fidèle de livre en livre. Bien plus, le choix d’une profession non mimétique1116 le dégage d’une caractérisation trop forte qui pourrait nuire à l’expression et à la communication d’« états baladeurs » (N. Sarraute) dont il se fait le support, comme le personnage de Belletto, identique d’un livre à l’autre malgré son changement superficiel d’identité. En même temps, le choix du métier de Carvalho est loin d’être une simple convention ou le fait du hasard : l’enquêteur est celui qui recherche un sens, la vérité des rapports humains. De surcroît, cette profession fonde l’écriture : elle sert la finalité extérieure du cycle carvalhien, c’est-à-dire sa fonction de témoignage, où Léon Sigal perçoit bien le mélange du je et du monde :
‘ ‘« Le développement de la fiction s’entremêle au déploiement de la mémoire de Carvalho, au sujet, en particulier, d’une enfance qui sous-tend sa curiosité pour les énigmes1117. »’ ’Montalbán a donné beaucoup de ses traits à sa créature dans son attitude par rapport à la vie, dans ses lectures, dans ses souvenirs, dans son ascendance, injectant dans son héros les traces de sa propre enfance1118. Mais Carvalho ne résume pas son créateur : Montalbán se représente entre autres souvent sous les traits de personnages d’écrivains, comme dans les Thermes. Cette intrusion quasi-explicite est d’ailleurs présentée par lui comme un processus de distanciation1119 ; elle lui permet tout de même d’exprimer d’autres pans de son identité qui ne sont pas traduits par Pepe Carvalho. Globalement, il s’agit pour l’écrivain de se dire, de se définir1120.
Dans tous les cas, le matériau réel est retravaillé, afin que les « expériences vécues » soient ‘« transposées sur les personnages ou les circonstances qui sont reproduites dans le roman’ 1121». La fiction bénéficie de cette matière qu’elle transforme peu à peu, lui faisant perdre sa « corporéité1122 » dans un processus d’objectivation. Elle en garde quelque chose de profondément vécu, établissant un rapport de complicité avec le lecteur, qui sent, malgré la distanciation et tous les processus visant à désigner la convention que constitue un personnage, une humanité réelle s’adressant à la sienne propre.
Et cela, en particulier, parce que cette humanité est mouvante : certes, Carvalho reproduit des traits archétypaux, répète les mêmes attitudes et scande les mêmes vérités d’un livre à l’autre, vérités parfois empruntées, qui sont d’ailleurs celles de son créateur : Montalbán les reprend d’un entretien à l’autre, comme d’un roman à l’autre - parfois par l’intermédiaire d’autres personnages : ‘« Moi, à dix-huit ans, j’en avais déjà quarante’. » ‘« Lire jusqu’à la tombée de la nuit et en hiver partir pour le Sud, à la recherche du lieu d’où l’on ne voudrait ne jamais repartir. »’ (citation) ‘« Payer mes dettes et enterrer mes morts.’ » ‘« J’ai toujours eu très peur d’être esclave de mes sentiments. »’, etc.
Cependant son personnage se pose, comme bien des enquêteurs depuis Oedipe, comme Demange, comme Soler, la question de son identité à travers toutes celles que soulève le crime. Le « je » du détective se morcelle et se fragilise à cause de la nécessité qui lui incombe de fixer une identité précise, celle du criminel, parmi une série de personnages dont l’identité devient floue à force d’être soupçonnée, c’est-à-dire « désigné[e] par son envers, à travers ce qu’[elle] dissimule 1123» (J. Dubois) :
‘ « L’enquêteur, afin de mener son investigation à terme, est amené à se poser aveuglément la question du Qui suis-je ? Il se livre, tout comme un patient en cure analytique, à une véritable anamnèse 1124 . » ’Si le détective, reflet du romancier, pose la question du « je », il n’est guère étonnant que la présence intertextuelle soit si forte dans le roman policier - et en particulier chez Montalbán. En effet, le livre, fait d’« emprunts », de « fragments originaux » et de « réminiscences », est l’image du moi, explique Michel Schneider, dans une définition qui évoque fortement Pepe Carvalho :
‘ « De quoi est faite une personne ? Bribes d’identification, images incorporées, traits de caractère assimilés, le tout (si l’on peut dire) formant une fiction qu’on appelle le moi1125. » ’Ainsi, les personnages ont beau être posés comme fictifs, chez Montalbán comme chez Amette, Belletto et Marsé, ils n’en imposent pas moins une humanité réelle. On peut même avancer que c’est justement cette distanciation qui, nous libérant de ce que le personnage a de fictif, nous met en communication avec ce qu’il partage avec nous.
Dès lors, si l’identité fonctionnelle de Demange se défait, c’est justement pour laisser entrer cette dimension humaine dans le texte. Peu à peu, les interrogations métaphysiques de Demange déchirent son apparence stéréotypée. Mais celle-ci est pourtant déjà révélatrice d’un certain état de la société, vidant les êtres de leur substance :
‘ « De même que le détective découvre le secret enseveli parmi les hommes, de même le roman policier décèle dans la sphère esthétique le secret de la société déréalisée et de ses marionnettes dépourvues de substance. Sa composition transforme la vie incapable de se saisir elle-même en une copie interprétable de la réalité authentique 1126 . » ’Les allusions que le personnage fait à son enfance, à son père en particulier, constituent l’indice initial de la transformation du texte, premier signe de décalage, dès la page 25 : ‘« Pour Demange, cette image gardait quelque chose d’un souvenir d’enfance »’ ou page 33 : ‘« Demange pensa à son père ».’ Dans ce dernier cas, la rupture est d’autant plus visible que cette pensée paraît vraiment incongrue dans le contexte où elle est placée (le constat de « l’accident »).
Placé en marge des autres personnages qui, à l’exception de Jenny, fille chérie de son père, l’excluent de leur confrérie fictionnelle, Demange reprend figure humaine : en ce sens, Sallenave lui a vraiment donné une ombre : ‘« A force de se pencher sur des corps mutilés, accidentés, abîmés, Demange avait perdu son ombre. Il avait cru en retrouver une, très belle, sous les traits de ce comédien qui avait quelque chose de honteux et de gâché dans sa vie. Ce comédien grandissait à mesure qu’il s’occupait de ses souvenirs : il était exactement la vie, et l’ombre dont Demange avait besoin, lui, l’homme de bureau, qui était entré dans la police pour découvrir la vie des autres » ’(150). Demange ne représente-t-il pas ici le lecteur, curieux du destin des personnages de romans, cherchant un reflet de sa propre existence dans le trajet fictionnel d’expérimentateurs imaginaires ?
L’idée banale d’une identification entre le détective et sa victime prend ici toute sa signification : le détective ne perd pas son identité en se coulant dans celle de Sallenave - thème récurrent dans la littérature policière ; bien au contraire, forme vide, il se remplit. Il s’agit donc en fait d’une captation d’identité au profit de Demange, qui acquiert grâce à Sallenave des traits réellement humains. Si donc, le roman d’Amette impose son monde, ce n’est pas pour autant un monde détaché de l’ontologie réelle.
Le problème identitaire semble au centre d’Enquête d’hiver, comme de beaucoup d’oeuvres entre roman policier et littérature générale, ainsi que le remarque Yves Reuter, notant que ce thème s’accompagne au niveau formel du travail sur la matière narrative1127. Par exemple, un Fait divers, de François Bon, décompose totalement la structure policière sur un mode mixte, entre cinéma et interrogatoire policier, pour explorer les mystères d’un crime et tenter de cerner la figure du criminel, figure constamment insaisissable, à travers des prismes variés.
Cependant, dans Enquête d’hiver, le problème de la difficulté de l’oeuvre peut faire douter de la proximité du lecteur : son implication, la compréhension de ce qu’exprime l’auteur peut être contrariée par la scission que le roman introduit entre le réel et la fiction. Or, justement, la résistance de la matière fictionnelle, instaurant une distance nuisible au faire-semblant, porte le lecteur à se replier sur les expressions de l’intériorité et sur les assertions du personnage qui résorbent la distance référentielle en lui procurant un sentiment de familiarité. Il est encouragé en cela, cette fois-ci, par le texte lui-même, qui se fait alors accueillant de manière tangible et remarquable, par exemple par l’accentuation de la fonction conative. L’utilisation de la forme impersonnelle permet au lecteur de rejoindre aisément l’expérience du personnage ‘« [...] comme il arrive quand on glisse dans le sommeil » ’(126). Dans un long passage retraçant un déplacement professionnel de Demange, le lecteur est invité encore plus franchement à partager son sentiment d’exclusion et de distance douloureuse ‘: « Vous êtes vraiment loin de chez vous, un fantôme qui navigue parmi des femmes qui sentent bon, parlent avec un accent, et portent en elles la délivrance, le chaud, la braise de la vie, ici, à un bras de vous, à une main, contre la manche de votre veste »’ (137).
Le personnage peut alors mourir ; ce qu’il a semé de phrases désabusées ou nostalgiques lui survit dans la mémoire du lecteur : mince enveloppe fictionnelle qui se déchire d’elle-même, se dénonçant comme simple support fonctionnel, il laisse voir un contenu référentiel, une philosophie, des questionnements, qui perdurent parce qu’ils sont déjà chez le lecteur, fût-ce en germe, et que ce dernier sait qu’il les retrouvera, avec des variantes interprétatives, dans un autre livre de vie. Plus que converser avec son lecteur, le roman lui fait lire en lui-même et retrouver, selon l’image employée par Michel Schneider, son propre ‘« livre intérieur’ 1128 » auquel le récit ne fait que lui donner accès.
De fait, la terminaison du roman d’Amette peut nous apparaître sous un jour encore différent si on la voit, justement, comme un renversement de la finalité policière au profit de la référence. Siegfried Kracauer explique que dans le roman policier classique, c’est la ratio qui a le dernier mot, ce qui constitue un mode d’exclusion définitive de la réalité humaine, dans l’affirmation de l’autonomie absolue du processus rationnel, qui se pose comme origine et finalité uniques1129. La déception du lecteur viendrait de là, puisque cette conclusion ôte tout attachement au crime lui-même, simple problème logique à présent vaincu, et annule tout questionnement possible au sujet du criminel, une fois l’équation dont il était l’inconnue majeure résolue. Le philosophe allemand rattache ainsi judicieusement l’évacuation du sort du criminel, souvent négligée par la critique, à cette « indifférence » à l’humain, dont la ratio fait une « caricature » :
‘ « La banalité des faits arrachés à l’obscurité confirme expressément le fait que le sens du processus s’épuise dans la création du système de l’immanence qui est dépourvue de sens, que l’être qui apparaît dans la communion s’efface devant la vanité nue, lorsque la ratio s’attribue le rôle de fondement du Quelque Chose 1130 . » ’En ce sens, Montalbán et Belletto, suivant les principes du roman noir, amènent une première modification, à travers plusieurs altérations (sort du criminel, imperfection de la solution) dont l’une nous paraît centrale, touchant justement au dénouement : la tristesse, la sensation d’inachèvement ou la fuite dans l’alcool, dont sont victimes les deux détectives, traduiraient pour nous une sorte de retour au réel douloureux après le dénouement rationnel, par le biais de l’expression d’une intériorité authentique.
Montalbán, adoptant de livre en livre une forme cyclique, semble limité, d’autant que son héros est apparemment toujours le même : l’enivrement final fait l’impasse sur ce qui pourrait s’exprimer d’une évolution, il la contrecarre ou l’étouffe dans l’oeuf. L’absence de prolongement des événements dans une réflexion finale, telle qu’elle se présente au contraire dans l’Enfer, borne l’intériorité d’une manière définitive.
La circularité du roman noir conserve au détective la même définition d’un livre à l’autre, le héros désabusé n’évolue pas ; il se présente constamment comme ayant évolué. Mais Montalbán institue une différence par rapport à cet archétype : son héros s’use et vieillit en même temps que lui. De plus, Pepe explicite les raisons de son évolution passée (les livres, la situation politique, les blessures familiales, etc.), alors qu’ailleurs celle-ci se résume souvent, dans le cadre du roman noir, à une pure convention. L’histoire de Marlowe est implicite, Chandler ne l’a évoquée qu’une fois pour répondre à un lecteur.
A l’inverse, le passé de Pepe Carvalho transparaît à toutes les occasions ; le décor est même un prétexte constant au retour vers l’enfance ou l’adolescence, et les différentes étapes de la vie du détective sont très souvent rappelées. L’obsession du souvenir, dans l’écriture de Montalbán, trouve dans la forme narrative l’occasion de se développer, dans une quête du Rosebud personnel, à travers de multiples scènes du passé réel de l’auteur1131. En ce sens, l’alcool n’a pas un rôle négatif, puisqu’il libère ces réflexions, aux dépens souvent du processus rationnel (cf. chap. 22) ; alors Pepe, comme Soler dans L’Enfer, exposé aux errements de la ratio, se libère de son emprise et affirme son intériorité.
Néanmoins Amette va beaucoup plus loin structurellement dans ce déplacement du héros dévolu initialement à incarner la ratio (« c’est logique » (20)) et à se résumer à cette incarnation, ce qui le coupe de la réalité : ‘« Le monde s’éloignait du commissaire [’...] » (120) ; « La vie policière, au bout de quelques années, tue son homme, tue la vie » (77). L’intériorité qui ronge progressivement cette enveloppe prend le dessus et affirme son évolution, ce qui constitue pour Siegfried Kracauer, véritablement, une fin, une manière de donner un sens à la conclusion :
‘ « [...] l’attente ne prendrait fin que si l’intériorité paraissait à la fin, pure et désignée comme telle. Le sens de la relation est le lien avec la sphère supérieure, la manifestation de l’essence, la percée de l’homme nouveau qui jette morceau par morceau son ancienne enveloppe pour vivre par la grâce du mystère, pour autant que cela soit donné à l’homme. Ce n’est pas le devenir en tant que tel, mais l’être en devenir qui détient la signification [...] 1132 » ’La deuxième et la troisième parties d’Enquête d’hiver traduisent parfaitement ce dépouillement progressif, qui va jusqu’à gommer l’enveloppe fictionnelle en tant que support du rôle générique du détective. Progressivement, un paraître sans être (manifesté par l’écriture béhavioriste) se mue en être sans paraître, traduit en un style expressif et poétique. Demange récupère peu à peu ce qu’il était durant son enfance et s’identifie finalement à son questionnement existentiel : ‘« Ici, dans le sarcophage de cette loge, dans le simple travail des vers à bois qui creusent le fauteuil, Demange réfléchissait » ’(184). L’épilogue est effectivement le lieu d’une conversion de l’individu, qui perd son ancienne dépouille : il s’annule même définitivement comme fonction narrative par une mort immotivée (narrativement) et pourtant nécessaire, ultime « morceau » à jeter pour éliminer l’écran que la fiction pouvait créer entre le lecteur et la référence au monde. Ce retour à la signification est évidemment marqué par le constat de la fuite du sens (« essayant de retrouver Dieu »), ce qui voue le texte à ne pas se finir, à l’encontre du roman policier classique, pur « processus » abandonné par Amette au profit de l’« évolution » valorisée par Siegfried Kracauer :
‘ ‘« Le processus finit par se perdre en fumée, et il est vrai que cela correspond à ses normes ; car si un accomplissement lui était promis, il ne pourrait s’accomplir en tant que processus, et si une fin lui était donnée, il n’y parviendrait pas dans son évolution qui, en soi, ne connaît pas de fin1133. »’ ’Amette réintroduit ainsi la référence et le réel dans le roman policier, en partant de la fin ; en laissant une question en suspens, il redonne sa place à une intériorité. La conversion du personnage est le signe de la conversion de l’oeuvre, que la fin déplace, change de niveau de signification, ou, pour parler comme Tzvetan Todorov, d’« ordre », en se replaçant dans l’ordre des réalités. Si la déduction attendue ne vient pas, au niveau de l’affaire policière, c’est qu’une autre prend sa place, au niveau existentiel. La mort de Demange elle-même, posée en tant qu’événement immotivé narrativement, renvoie clairement à l’aspect contingent, imprévisible, inorienté, de la mort réelle. Le dénouement serait donc, dans beaucoup de textes, le moment privilégié de retour à la référence, à partir duquel le roman se relit sous l’éclairage de son extériorité :
‘ « Ainsi, la « vie » devient partie intégrante de l’oeuvre : son existence est un élément essentiel que nous devons connaître pour comprendre la structure du récit 1134 . » ’W. D. Stempel, « Aspects génériques de la réception », in Théorie des genres, p. 167.
Boileau-Narcejac, le Roman policier, 1964, p. 210.
Rezvani, l’Enigme, p. 163.
Rezvani, l’Enigme, p. 121.
R. Scholes, « les Modes de la fiction », in Théorie des genres, pp. 82-83.
Cf. M . Schneider, op. cit., p. 287. Cf. aussi p. 327 : « On écrit sur, et c’est plus facile que d’écrire sans le support d’un « objet », d’un « sujet » [...] mais en fait on écrit sous, sous leur ombre, à la fois garante et annihilante, parce qu’on cherche à se cacher, à se protéger, à se fuir, et qu’on n’ose pas écrire sur soi ; »
On peut sans doute en dire autant des romanciers français du néo-polar : Cf. D. Daeninckx, « la Mort en chantier », in les Temps Modernes, p. 137 : « Toutes les histoires de meurtre que j’ai écrites sont autobiographiques. »
J. Dubois, le Roman policier ou la modernité, p. 213. Pour J. Dubois, les meilleurs romans policiers sont sans doute oedipiens (cf. p. 211). Il faut évidemment se souvenir ici de la théorie freudienne pour laquelle le sentiment de culpabilité se fonde sur le meurtre originaire du père, « père dont l’image mnésique a été transformée en divinité ».
M.V. Montalbán, op. cit., p. 249.
M.L. Ortega, « Cuando los padres devoran a sus hijos : aspectos del narrador en Vásquez Montalbán y Juan Benet », in Postmodernité et écriture narrative dans l’Espagne contemporaine, pp. 97-104. En note 9, p. 102, M.L. Ortega signale que Marsé joue sur l’homophonie sentimientos/centimitos (sentiments/centimes). Pour Montalbán, elle rappelle, p. 102, que Pepe cherche à économiser 5 millions de pesetas alors que son père a mis cinq ans à revenir après la guerre. Or, dans ses projets, Montalbán imagine que Pepe ne parviendra pas à rassembler cette somme cathartique (cf. M.V. Montalbán, le Désir de mémoire, p. 153). Le compte est impossible à apurer...
Cf. M.V. Montalbán, le Désir de mémoire, p. 9. Cf. également p. 60 cet extrait du poème Prague :
Quand je paierai mes dettes
et enterrerai mes morts
je serai vieux
Y. Reuter, in le Roman policier, pp. 93-94, fait le lien entre expérimentation narrative et problème identitaire.
M.L. Ortega, art. cit., p. 103 : « La conception de crimes pour lesquels la notion de culpabilité s’étend à un groupe social ou à une société entière, peut dans cette même perspective se changer en rêve, celui d’une société commettant enfin l’unique assassinat impossible et tant désiré » (traduit par nous). Cf. Th. Adorno, op. cit., p. 107 : « Toute oeuvre d’art est un crime non perpétré ».
S. Freud, « les Criminels par sentiment de culpabilité », in l’Inquiétante Etrangeté, pp. 169-171 ; Freud relie explicitement le sentiment de culpabilité à l’image du père, via le complexe d’Oedipe, sentiment si obscur donc si pénible qu’il peut entraîner au crime - ici littéraire.
Cf. J. Alsina, « Antonio Muñoz Molina », in le roman policier actuel, p. 279 : « On peut suggérer, à la suite d’Annie Bussière-Perrin, de considérer la défaillance et la crise dans la relation au père qui marque l’ensemble des protagonistes masculins comme l’image de la crise de la transmission des valeurs entre générations. »
Cf. J.C. Vareille, Filatures, p. 111 : « Semblables en cela aux grands héros antiques, ils ont besoin de recommencer à l’infini le meurtre du Père pour se prouver à eux-mêmes qu’ils ont atteint l’âge viril - condamnés à être jeunes - bénéficiaires heureux de la chaîne du signifiant, ou victimes de l’incessant à l’oeuvre dans leur destin. »
Cf. M.V. Montalbán, entretien avec G. Tyras, in Hard-Boiled-Dick, p. 79 : « la description du père de Carvalho correspond assez à la description de mon propre père ».
M. Schneider, op. cit., p. 92.
Cf. M.V. Montalbán, le Désir de mémoire, p. 98 : « Vois-tu, j’appartenais à ces promotions de la gauche autocritique qui réfléchissaient constamment sur le complexe de culpabilité : « Qu’as-tu fait de mal ? Comment l’as-tu fait ? ». »
P. Ricoeur, Philosophie de la volonté II, Finitude et culpabilité, p. 100.
Ibid., pp. 15-16.
Même Agatha Christie est « lue » par Pierre Bayard, op. cit., p. 102, au travers de la théorie oedipienne, notamment à travers l’apport de Sh. Felman (in Littérature n° 49), qui « montre bien [...] les liens profonds qui unissent la découverte freudienne de l’inconscient à un genre littéraire fondé sur les illusions de la conscience et la duplicité de toute connaissance de soi. »
Oedipe roi, « Traduit du mythe par D. Lamaison », Gallimard, NRF, Série Noire, 1994. Au sujet de ce genre d’adaptations, Cf. J.M. Schaeffer, Qu ’est-ce qu’un genre littéraire ?, p. 134 : « [...] l’identité sémiotique du texte est contextuellement variable, c’est-à-dire qu’elle est indissociable de la situation historique dans laquelle le texte est actualisé. »
Cf. Rouletabille et de son père criminel. Quant à Maigret, ne figure-t-il pas le propre père de Simenon ? Cf. D. Fernandez Recatala, le roman policier, p. 122 : « Inspiré du père de Simenon, pour qui il aura une fonction d’exorcisme bénéfique. »
R. Barthes, le Plaisir du Texte, p. 64. Y. Reuter, in le Roman policier, p. 106, voit dans le roman policier un représentant du « roman du bâtard » (M. Robert), où le héros cherche à remplacer son père.
Quelques exemples : le détective de Mendoza est fou (le Mystère de la crypte ensorcelée), chez Auster, il s’enferme tout nu dans une pièce (Cité de verre), chez Lous (Matricide), il devient criminel, chez Modiano (Rue des boutiques obscures), il est amnésique, et le Cadin de Daeninckx se suicide.
P. Bayard, op. cit., pp. 137-146.
Cf. E. Wilson, « Pourquoi les gens lisent-ils des romans policiers ? », in Autopsies du roman policier, p. 89 : « Pendant ces années, le monde a été traversé par un sentiment omniprésent de culpabilité et par la peur d’un désastre menaçant qu’il semblait inutile de vouloir écarter, parce qu’il ne paraissait jamais vraiment possible d’en fixer les responsabilités. Qui avait commis le crime originel, qui allait commettre le prochain ? ».
Cf. W.H. Auden, « le Presbytère coupable », in Autopsies du roman policier, p. 120.
J. Dubois, op. cit., p. 213.
Cf. Boileau-Narcejac, le Roman policier, 1964, p. 203 : « Si, comme le voulait André Gide, on réserve le terme de littérature pour les oeuvres qui ne laissent pas le lecteur dans l‘état où elles l’ont trouvé, il est bien évident que le roman policier n’appartient pas à la littérature. Mais, dans ce cas, la littérature ne retiendrait qu’un tout petit nombre d’oeuvres majeures et beaucoup de romans rejoindraient le roman policier dans les oubliettes de l’histoire. »
Th. Pavel, op. cit., p. 67, affirme d’ailleurs que l’introduction d’éléments n’appartenant pas au réel (ce qui n’est pas tout à fait vrai dans le cas des détectives) ne disqualifie en rien la référentialité du texte, « puisque rien n’interdit à la théorie de la fiction de parler, comme tant de philosophes le font, de mondes impossibles ou erratiques ». Il faut d’ailleurs noter qu’aucun des auteurs de notre corpus n’utilise dans ces romans d’objets réellement « contradictoires », ce qui tendrait à prouver qu’ils tiennent à préserver la dimension référentielle du texte.
L. Sigal, « Dossier Carvalho : un fil(s) à retordre », in Hard-Boiled-Dick, p. 62.
Cf. M.V. Montalbán, entretien avec G. Tyras, in Hard-Boiled-Dick, p. 78 : « J’utilise très souvent des éléments du quartier, ou des personnages, ou des épisodes de mon époque, je l’ai toujours fait ». Cette dimension autobiographique, très liée au cadre spatio-temporel, ce « quartier de vaincus » (p. 79), se retrouve également de façon marquante dans l’oeuvre de Marsé. Cf. aussi J.C. Mainer, « le Roman du roman », in le Roman espagnol actuel, p. 14 : « Par ailleurs, on peut penser que ce foisonnement de romans qui incluent des souvenirs d’enfance, réfléchissent sur la relation père-fils et présentent des héros immatures complètement déroutés, reflète peu ou prou cette société qui, finalement, intègre en son sein romanciers et lecteurs. »
Cf. M.V. Montalbán, le Désir de mémoire, p. 175 : « Ce qu’il y a derrière, c’est la tentation, qui est peut-être un fruit tardif de ma période subnormale, de dire en quelque sorte au lecteur qu’il se trouve devant une convention qui s’appelle roman. »
Cf. M. Schneider, pp. 271-272 : « Les plus forts des romanciers espèrent que leurs personnages parleront pour eux. [...] Mais l’écrivain vrai attend son identité de son livre . Le livre répond à sa place. On écrit parce que l’on ne sait pas qui l’on est [...] ».
M.V. Montalbán, op. cit., p. 199. Montalbán refuse l’« autobiographisme » : « En fait, un roman est bâti en fonction d’un stock d’expériences, que l’on appelle généralement mémoire, mais il peut s’agir aussi de vécu accumulé, ce qui n’est pas exactement la même chose que la mémoire, qui est plus construite, plus romancée. En revanche, à côté de cela, tu as une quantité de données personnelles, de situations, que tu as assimilées et qui constituent la partie vivante à laquelle tu as recours, comme s’il s’agissait d’un entrepôt d’accessoires permettant de construire le roman. »
Ibid., p. 118 (souligné par l’auteur).
J. Dubois, op. cit., p. 29.
D. Fernandez Recatala, le Roman policier, p. 11.
M. Schneider, op. cit., p. 12.
S. Kracauer, op. cit., pp. 44-45.
Y. Reuter, le Roman policier, pp. 93-94.
M. Schneider, op. cit., p. 289 sq. : « La lecture venue du dehors donne accès à ce qui est au-dedans de soi : des mots, des souvenirs, un nom. » Carvalho, dans son rapport au livre, illustre magnifiquement cette idée.
Cf. E. Mandel, op. cit., p. 33 : « Et que représente le roman policier, si ce n’est l’apothéose de l’esprit analytique pur ? »
S. Kracauer, op. cit., p. 169.
Cf. M.V. Montalbán, le Désir de mémoire, p. 221. Montalbán évoque la recherche de son Rosebud, « cet instant du souvenir qui est la clé pour nous définir, ou pour nous expliquer nous-même. »
S. Kracauer, op. cit., p. 167.
Ibid., p. 168.
T. Todorov, « les Catégories du récit littéraire », in Communications n° 8, p. 156. En prenant l’exemple des Liaisons dangereuses, Todorov ajoute, p. 157 : « Le dénouement présente une infraction à cet ordre du livre, et ce qui le suit nous mène à ce même ordre extérieur, à la restauration de ce qui était détruit par le récit précédent ».