Conclusion générale

« Profitez de cette leçon. Munissez votre bibliothèque personnelle du seul dispositif permettant son sabordage et son renflouement à volonté. » F. Ponge1156

Parvenue à l’issue de notre cheminement dans le labyrinthe textuel, nous ne pouvons, tel le détective des romans actuels, nous dérober au cérémonial conclusif. La tactique utilisée nous aide grandement en cela, car nous avons combiné durant ce travail une observation détaillée des textes et une tentative de théorisation à partir de cette analyse minutieuse et des apports critiques d’horizons variés. Leur confrontation perpétuelle a été source de bien des indications de direction, fils d’Ariane suffisamment solides pour qu’une réflexion s’y tisse peu à peu. L’originalité de notre travail tient d’abord à la méthode utilisée : au lieu d’analyser le roman policier à travers une seule grille de lecture, comme le font la plupart des critiques auxquels nous avons puisé, nous avons tenté d’approcher les textes avec des méthodes plurielles d’investigation, de la psychanalyse au structuralisme, dont les apports sont à la fois convergents et complémentaires. Cette tentative n’est bien entendu pas sans risques, puisque nous ne sommes spécialiste d’aucune de ces méthodes ; mais nous espérons avoir montré l’intérêt et les enjeux de cette approche multiple, et avoir ouvert un certain nombre de pistes pour des lecteurs plus compétents dans tel ou tel de ces domaines. De cette manière en tout cas, notre thèse ressemble aux romans observés, métisse, hybride, composé créatif de déjà-lu, assimilation de la pensée d’autres toujours déjà-là qui devient invention par leur confrontation mêlée aux textes sur lesquels on a longtemps rêvé.

L’idée de cette recherche est née du plaisir que nous avions eu à lire des auteurs espagnols (Montalbán, Mendoza ou Ledesma) jouant avec un genre précédemment bien établi ; peu à peu, nous avons découvert des romanciers d’autres pays (Vargas Llosa, Auster, Puig, etc.), dont la France (Belletto, Rezvani, etc.), dissemblables entre eux et bien différents des Espagnols, mais dans tous les cas, il s’agissait bien d’un jeu sur une forme et des thèmes prédéfinis, ceux du roman policier.

Assez rapidement, nous avons établi que certains de ces romans pouvaient être qualifiés de parodies, en ce sens que l’hypotexte, explicite le plus souvent, était traité avec ironie, ou qu’il transparaissait, dévalué, déformé. Les autres textes se présentaient plutôt comme des romans hybrides, difficilement détectables et étiquetables, mais dans lesquels la manipulation du fonds policier était perceptible et nécessaire à la compréhension totale de l’oeuvre. A travers ces deux grandes catégories, recouvrant des dissemblances importantes, nous avons perçu l’intérêt d’une recherche sur les avatars contemporains du roman policier, dans ses aspects les plus littéraires. D’une part parce que le genre, globalement, connaît la faveur du public depuis plusieurs années ; d’autre part parce que de nombreux écrivains « reconnus » s’y illustrent, soit par la parodie, soit par l’emprunt, à des fins variées, de formes et de thèmes policiers, ce que nous avons appelé « romans à traces policières ».

Grâce à ces lectures, nous d’abord réalisé que la parodie, « mode de perception moderne 1157», caractérise tout un pan de la littérature actuelle ; en cela, le roman policier, travaillé par la littérature, est exemplaire de l’écriture contemporaine.

Il a fallu que s’établissent quelques références communes, et qu’une figure suffisamment forte pour l’imaginaire rallie autour d’elle, de son assimilation/exclusion, de nombreux auteurs d’horizons sociaux et intellectuels différents, aux écritures bien distinctes. La tradition parodique a toujours été attachée au genre policier, lui donnant bien sûr cet aspect évolutif, variable, bref problématique pour qui cherche à le définir, mais lui assurant de ce fait une continuité et un renouvellement remarquables. Il faut bien sûr s’entendre sur ce qu’est la « parodie », dans l’ensemble des relations intertextuelles. Le genre policier prise ‘l’écriture imitative’ telle que la définit Annick Bouillaguet1158, dans ses trois composantes : le pastiche, la parodie et le collage. Un auteur comme Montalbán joue sur toute la gamme de ces relations textuelles : les Mers du Sud commence par un pastiche de genre (le polar), et se poursuit par une parodie traversée de collages, pièces rapportées au genre, poèmes ou recettes, insérées discrètement ou posées d’une manière provocante. Si Belletto parvient à inscrire sans heurt la musique dans sa trame textuelle, c’est sans doute parce qu’elle est le prototype même de l’écriture parodique. Le collage, qui s’intègre parfaitement, pour Annick Bouillaguet, dans cette « esthétique du fragment 1159 » - caractéristique à ses yeux de la modernité -, n’est finalement que la manière la plus visible d’intégrer le discours de l’Autre dans son propre discours, de l’exhiber, quand la parodie l’incorpore synthétiquement et le pastiche l’absorbe, dans un espace où Je est l’Autre.

Si le genre policier a tant d’affinités avec cette écriture intertextuelle, c’est qu’il est potentiellement dialogique, malgré un certain monologisme idéologique de circonstance : il met en scène deux histoires, fait intervenir un certain nombre de voix, concurrentes, et invite le lecteur à lire entre les lignes pour démasquer l’auteur en utilisant ce qu’il connaît de formules narratives antérieures. Parodie et roman policier se conjuguent parfaitement, dans la perspective littéraire actuelle, parce que tous deux supposent, l’une de manière constitutive (une parodie non perçue n’en est plus une), l’autre au moins potentiellement, un lecteur-décrypteur qui va lire ce qui se cache derrière le texte, utilisant les signaux intertextuels et les indices pour l’enquête, souvent convergents.

Ainsi, la parodie, outil évolutif1160 et facteur d’évolution pour les différents genres auxquels elle s’attaque, utilisée historiquement tour à tour comme critique, comme contrepoint de l’oeuvre, comme outil de valorisation ou de dévalorisation des modèles, comme manifestation du réalisme, comme procédé de dérision, etc., s’adapte à présent, comme le genre policier, à la tendance moderne à la réflexivité, au dialogisme, puisqu’elle fait de l’oeuvre un palimpseste derrière lequel se lisent d’autres oeuvres. La parenté de structures est évidente, justifiant l’alliance entre parodie et genre policier : comme le roman policier fait découvrir une histoire derrière une autre, la parodie nous incite à chercher un second texte derrière celui qui est manifeste. Or,

« Notre époque place l’écriture palimpseste au nombre des critères de la littérarité - de la modernité 1161 . »

Ce choix de l’intertextualité, si évident dans le genre policier, se fait, remarque Uri Eisenzweig, malgré le peu de références précises, le petit nombre d’oeuvres connues par le plus grand nombre :

« Dans l’univers romanesque policier, la parodie n’est finalement qu’une forme indirecte de la référence intertextuelle négative : c’est le texte qui génère le modèle, pour mieux s’en distinguer1162»

Il suffisait finalement d’un Sherlock Holmes pour que la parodie soit permise, c’est-à-dire pour que ce fameux hypotexte dont nous avons tant parlé s’élabore d’une façon solide et définitive, en dépit des multiples romans rompant avec cette image figée, dès l’origine. En fait, c’est justement la parodie qui a fixé cet hypotexte, parce que, grossissant les procédés du texte qui l’inspire, récapitulant ses traits en en faisant des caractéristiques, elle les exhibe, les renforce et leur donne un aspect définitoire ; c’est ce que Mikhaïl Bakhtine appelle la stylisation parodique 1163.

En définitive, remarque Daniel Sangsue, la parodie « « crée » l’original dans l’esprit du lecteur 1164 ». Nous avons pu le vérifier par nous-même, puisque, justement, nous ne connaissions à peu près du roman policier que ses rejetons parodiques récents au moment d’entreprendre notre thèse. Or, après avoir analysé en détail ces romans réputés destructeurs, lisant alors des romans policiers « classiques », nous nous sommes aperçue qu’en déconstruisant le genre, les premiers en exhibaient la structure et en dessinaient les contours d’une façon définitive. Ainsi, nous n’avons eu aucune surprise en lisant les romans classiques de Doyle ou d’Agatha Christie, si ce n’est d’avoir l’impression de les avoir déjà lus.

Cette impression venait aussi de deux facteurs qui font du genre policier un genre idéal pour provoquer une lecture intertextuelle : son schéma simple et efficace, ses personnages stéréotypés, d’une part, et ses composantes mythiques d’autre part, puisqu’il s’inscrit dans la lignée symbolique d’Oedipe Roi ou d’Hamlet - ce qu’illustre bien Enquête d’hiver. De plus, la prédilection du genre pour le cycle permet des allusions d’un livre à l’autre, créant une compétence particulière du lecteur fidèle à un auteur, et à même de saisir des clins d’oeil autotextuels, comme on l’a vu chez Belletto ou Montalbán.

De surcroît, en ce qui concerne le roman policier actuel, la parodie, « acte d’incorporation 1165 », témoignant pour Linda Hutcheon de l’épistémé moderne, fusionne plusieurs types de messages, débordant le cadre littéraire : notre impression de déjà-lu provenait sans doute des productions filmiques du genre policier. Les exigences de ce type de message entraînent une tendance, semblable à celle de la parodie, à présenter une version grossie - et parfois caricaturale - de ce que l’on peut lire, que ce soit dans le roman noir ou dans le roman anglais ou tout simplement à rendre plus perceptibles (par l’image) la structure et les composantes du genre. De la sorte, au lieu que, comme le sous-entend Linda Hutcheon, la superposition de différents messages exige plus de compétences du lecteur actuel, elle a ici un rôle facilitateur pour ce fameux lecteur moyen dont on déplore si souvent l’inculture - sans parler de son rôle incitateur, puisque la référence dans un polar à des domaines comme l’opéra ou la philosophie peut en favoriser l’accès.

L’hypotexte policier est alors un des plus sûrs qui soient pour un auteur : on sait en effet combien d’habitude la parodie est risquée ; ceux qui la pratiquent encourent le reproche d’élitisme, car ils excluent les lecteurs ne possédant pas suffisamment de références précises et qui n’identifient pas l’arrière-plan du texte. Au contraire, l’hypotexte policier, diffus (on ne fait pas, le plus souvent, la parodie d’une oeuvre, mais d’un genre, ou d’un cycle) et diffusé par le cinéma et la télévision, est identifiable par tous ; la parodie peut donc fonctionner. Montalbán l’a bien compris qui utilise un grand nombre d’allusions cinématographiques, usant du rôle récapitulatif de la référence, ce qui lui fait faire l’économie de descriptions et de portraits déjà-faits. Il se réserve pour les représentations parodiques, par exemple les portraits contenant une inversion par rapport à l’hypotexte, ou exagérant certains de ses traits : il est inutile de préciser les traits du détective, par exemple (il suffit de le référer à Bogart), mais créatif de décrire son manque d’énergie ou ses difficultés de digestion, ses excès en tous genres. Le lecteur appréciera l’écart. Ce peut être l’occasion d’apporter le « correctif du rire », dans certains cas1166, mais à coup sûr d’assurer le « correctif de la réalité 1167» dont parle Mickaïl Bakhtine. Tel sera aussi, sans doute, le rôle du collage.

Or, c’est pour cette fonction corrective que, en particulier pour nos deux auteurs espagnols, l’accessibilité du texte est indispensable : à travers le projet romanesque c’est la récupération du passé (franquiste) qui est visé ; le palimpseste fonctionne également à ce niveau-là : derrière l’histoire apparente, fictive, une seconde apparaît, objet de la quête, historique ou sociale, qui s’impose sur la première (et l’efface même, chez Marsé). Si l’on prend acte du fait qu’une certaine mémoire culturelle a disparu - par l’extension des références, par la modification de l’espace culturel - , la manipulation du fonds policier permet de rétablir une mémoire textuelle circonscrite qui restaure un autre domaine mémoriel, dont la perte est insupportable pour Montalbán comme pour Marsé : la mémoire historique. L’emprunt fait à un genre aussi accessible que le roman policier s’explique par ce souci.

Revenons alors au terme de parodie, qui peut d’ailleurs sembler inexact dans la perspective de Genette, autant que celui de pastiche : il ne s’agit pas de transformer un texte singulier ou d’imiter un style ou un genre particulier (on a vu comment Montalbán se débarrasse de l’imitation), mais de transformer un genre - Genette repousse cette extension1168, même s’il propose le terme d’« hypogenre ». Tel est d’ailleurs notamment le sens que Mikhaïl Bakhtine puis Margaret Rose1169 donnent au mot « parodie ». Notre corpus décline en fait d’une façon exemplaire les différents modes intertextuels, du plus précis au plus allusif : on peut dire que Montalbán et Belletto réalisent ce qu’on pourrait appeler après Genette une parodie mixte ; ils empruntent à un genre (lui-même hybride) des personnages, des intrigues, ils renversent des situations stéréotypées, grossissent certains procédés ; Montalbán pastiche même le style du polar. Par là s’affirme l’irréalité de toute littérature, le texte reprend ses droits sur le référent. Mais il ne s’agit pas seulement de s’amuser avec un hypotexte, de défier le modèle en tournant en dérision ses conventions. Comme Amette et Marsé, ils mixent le genre, en faisant entrer dans le corps de leur roman des contenus thématiques exogènes, un système référentiel différent, exprimant le monde et l’individu, voire des procédés narratifs étrangers au genre, brouillant les frontières génériques.

Si donc la transformation du genre résulte de l’entreprise de nos quatre auteurs - et à cet égard on voit combien la parodie fait évoluer l’écriture -, il semble qu’ils aient d’abord voulu jouer avec les composantes de ce genre, s’appuyer sur elles pour créer. Si l’on en revient à la typologie de Genette, la notion de transposition ou transformation en style sérieux rend peut-être mieux compte de la pluralité des textes, de leur volonté. Ainsi, les auteurs français utilisent le genre policier pour dire le mystère de l’être, reposer les questions existentielles les plus aiguës ; les auteurs espagnols ajoutent à cela l’exploration des mystères de l’histoire. Marsé, transposant le genre policier, l’utilise au service d’une seconde transposition : sa représentation allégorique de la journée du 8 mai 1945 à Barcelone. Cette double transposition est éclairante : il y a toujours un contexte, un pré-texte ; le monde (les événements), le livre, préexistent au discours que l’on tient sur eux, au discours qui les recouvre peu à peu ; ils permettent même ce discours. Tout est toujours réécriture.

Marsé transpose l’histoire, Belletto la musique, Enquête d’hiver a pour intertexte Hamlet, les Mers du Sud annonce dès le titre un intertexte poétique : ce qui caractérise un certain nombre de romans policiers, c’est qu’il ne s’agit plus simplement d’hypogenre. En effet, nous n’avons pas utilisé ce terme, parce qu’il sous-entend que le texte se réfère uniquement à d’autres du genre dont il est issu, ce qui n’est évidemment pas le cas dans notre corpus. On observe une sorte d’appel d’air dans le genre, qui intègre tout un environnement culturel, étendant la fonction synthétique de la parodie au-delà des cloisons génériques et littéraires.

La notion d’intertextualité, plus malléable, rend certes plus volontiers compte de la production actuelle : d’une part, les catégories intertextuelles communiquent davantage entre elles, l’imitation (relevant pour Genette uniquement du pastiche, de la charge ou de la forgerie) se mêlant à la transformation (où le critique inclut la parodie, le travestissement, la transposition). La dispersion des catégories, constatée par Genette lui-même, est à mettre en rapport avec le caractère de plus en plus hybride du roman contemporain, et cette hybridité lui permet de récupérer tout un contenu historique, commentaires compris, autant que d’assimiler tout un héritage culturel, que ce soit par le biais de l’assimilation que par celui de l’imitation, de la fusion ou de l’absence de continuité. En cela, il nous semble fort judicieux d’inclure parmi le champ de l’écriture intertextuelle le collage, comme le fait Annick Bouillaguet.

C’est d’ailleurs sans doute cet aspect dialogique de l’écriture contemporaine qui fait du roman le genre dominant, sa forme lui permettant d’exprimer toutes ces voix, en leur donnant une unité. Sa structure narrative se prête à cette prise de distance dont Genette fait l’indice le plus clair de l’écriture intertextuelle, y compris dans sa dissémination actuelle :

« L’hypertexte à son mieux est un mixte indéfinissable et imprévisible dans le détail, de sérieux et de jeu (lucidité et ludicité), d’accomplissement intellectuel et de divertissement 1170 . »

Cependant, pour notre corpus, et, semble-t-il, pour la majorité de la production policière actuelle, la notion de transposition demeure intéressante, car elle permet de rendre compte de l’évolution du genre et de son aspect pluriel, souvent identifié à un éclatement : pour Gérard Genette, la transposition, phénomène majeur du fait littéraire et processus même de son évolution, s’exerce sur la forme (par exemple, la transmodalisation) comme sur le fond (par exemple, la transmotivation), à partir d’oeuvres fondatrices, ce qui fait dire à Daniel Sangsue que

« Recenser ces différents types de transpositions, c’est en même temps suivre les métamorphoses des grands textes de notre culture à travers les siècles (qu’on pense aux lignées hypertextuelles engendrées par Oedipe Roi, l’Iliade et l’Odyssée, Hamlet, Faust, Werther, etc.), donc parcourir toute l’histoire de la littérature occidentale 1171 . »

Si donc on prend pour oeuvre source Oedipe Roi, pourquoi ne pas imaginer que, de transposition en transposition, on en soit arrivé à ce que Poe initiera et qui prendra la forme fixe du roman anglais. On peut alors envisager que par une transdiégétisation fondamentale (changement de milieu social, réintégration du social et de l’histoire), le roman noir a transformé la donnée du roman anglais, tandis que le roman à suspense opérait surtout une transfocalisation. La transposition serait bien alors l’outil que la modernité utilise pour relire les oeuvres (G. Genette), faire « refonctionner » (M. Rose) un genre, en somme pour revivifier le fonds littéraire et culturel et l’adapter à ses besoins.

Ainsi, Freud a relu Oedipe Roi en y trouvant l’illustration des ses théories psychanalytiques, et notre époque lui donne encore une autre signification, comme le note Annick Bouillaguet, analysant l’Oedipe Roi de la Série Noire, « traduit du mythe par Didier Malmaison » (1994). Le sujet que cette nouvelle lecture met en valeur est celui de la « passion de savoir », problématique moderne pour Annick Bouillaguet1172. Or, Jean-Pierre Vernant l’a montré, la pièce de Sophocle avait une tout autre orientation et posait la question de la loi, pour la communauté et l’individu.

Reste qu’il n’est pas anodin que cet avatar récent du mythe soit une « traduction », c’est-à-dire, finalement, ce qui marque à la fois un retour à la source, une soif de connaissance, et un respect pour les prédécesseurs, une écriture qui se fait humble. D’autant qu’il y a ici reprise avouée d’une référence prestigieuse dans un roman de série populaire1173. Au-delà de cette sélection thématique circonstancielle, il faut alors observer comment chaque époque se comporte par rapport à l’héritage littéraire : comment elle traite ses modèles (citation/transformation) et quelle place elle leur donne dans le processus créatif. Subsumant ses catégories sous l’esthétique du jeu, Gérard Genette oublie combien, quelle qu’elle soit, parodie, pastiche, etc., l’écriture intertextuelle, en tant que présence du Père, est fatale et peut être vécue douloureusement par le créateur ; même l’intention comique présente chez Montalbán ou Belletto, n’est pas incompatible avec cette douleur. Tout au plus peut-elle la voiler.

De l’Herlock Sholmes mis en échec par Lupin à un Pepe Carvalho rêvant de connaître sa notoriété, en passant par un roman « à traces », un Meurtre que tout le monde commet (1938) d’Heimito Von Doderer, où le héros est fréquemment et ironiquement comparé à Sherlock Holmes, l’hypotexte hante le texte. Cette prégnance pesante, cette influence problématique donnent à la parodie chez Montalbán sa tonalité résignée et, chez Belletto, la figure du double. Jacques Dubois voit dans cet aspect de la parodie policière une de ses caractéristiques :

« La parodie amère est comme la pente fatale du policier 1174 . »

La parodie, loin d’être uniquement un jeu avec le modèle, visant à le rendre grotesque ou à le démystifier, serait en somme la prise de conscience de l’hypotexte, figure du père toujours-déjà-là. Cette présence imposée est en apparence totalement assumée par Montalbán, qui reprend les schémas les plus éprouvés, en outrant encore cette usure. Les personnages semblent d’ailleurs s’amenuiser au fur et à mesure du cycle, le cadre d’investigation excluant peu à peu toute possibilité d’enquête « à échelle humaine ». Cependant, dans cette rage qu’a Pepe Carvalho à brûler les livres, et même, dans le Labyrinthe grec, à les voir souiller ; dans la multiplication des figures créatrices (dans les Mers du Sud, Yes, Pedrell, Boris le Noir, Pepe, tous écrivent) - comme chez Belletto -, ne peut-on pas évoquer ici cette peur du double, qui conduit à le détruire par le feu purificateur, qui ne laisse rien derrière lui ?

Montalbán a cette satisfaction symbolique, en faisant de la bibliothèque de son héros le « couloir des condamnés à mort » (derniers mots de la Rose d’Alexandrie) de la Bibliothèque, de s’imaginer devant une page totalement vierge de tout intertexte. La mélancolie permanente de Pepe ne cesse qu’en cuisinant : serait-il plus facile de chercher de nouvelles recettes que d’échapper à l’hypotexte quand on veut écrire ? On pourrait d’ailleurs faire de l’incapacité de Pepe à se fixer sentimentalement, et du choix de Charo, prostituée, comme « légitime », une métaphore de ce sentiment profond de non-propriété de l’écriture, du texte toujours fait d’emprunts, et d’emprunts multiples1175.

Le cycle lui-même oscille entre la mélancolie du toujours-déjà-dit et la joie du refaire, qui amène Montalbán à de plaisants pastiches du Hard-Boiled. La parodie, pour un homme comme lui aussi marqué par la mémoire, reprend pleinement son sens premier de réminiscence 1176  : la Bibliothèque pèse sur une conscience débordée par les souvenirs. L’écriture parodique constitue le mode de défense active choisi par un esprit désespérément conscient de n’écrire que sur des pages déjà noircies ; le choix du genre policier se prête à cette intention : plutôt que de prétendre que la page épousée est toujours vierge, Montalbán revendique le choix d’une femme que beaucoup ont déjà fréquentée...

Quant à Belletto, il illustre l’ambivalence caractéristique de la parodie, ses composantes à la fois constructives et destructrices, ce mélange d’amour et de haine du modèle, cette difficulté à sortir de l’enfance et de l’imitation naïve, bref cette angoisse d’être influencé, sans doute apparente chez Montalbán et Amette, mais rendue dans l’Enfer, à travers le personnage caméléon de Michel Soler, douloureusement perceptible. Cet anti-héros écrivain, agressif, orgueilleux, qui en veut au monde entier, semble bien le double fictif de son créateur dans sa lutte avec les mots d’autrui ; il est dans son nom même atteint par la figure du double, envahi par lui, influencé, bringuebalé d’une attitude à l’autre ; il ne parvient à s’imposer littérairement qu’en disant « je » à la place d’un autre (Rainer). L’image du Phénix renaissant de ses cendres, récurrente, et dans laquelle Soler se retrouve, représente à la fois la destruction/régénérescence de l’écrivain (l’« ancien Michel Soler », l’artiste raté doit être brûlé pour que le « nouveau Michel Soler » (289), promis au succès, puisse naître) et sa capacité enviable à « se reprodui[re] toute seule » (292) avec abondance.

La stratégie de Belletto, si elle est dictée par la peur du double, est différente de celle de Montalbán. L’intertexte est d’abord manipulé, utilisé à des fins personnelles. Ainsi, en ayant l’oeil - le roman policier l’y a habitué -, le lecteur peu à peu en arrive à deviner le crime avant même que l’auteur ne le formule, le soulageant d’une part de culpabilité et devenant son double, selon les voeux de Belletto. Il est donc important, au niveau inconscient, que le crime soit inscrit dans le texte, et non dans l’avant-texte. Le fait même d’écrire, ce  travail « absorbant » (391), soulage Soler de sa culpabilité.

De plus, l’intertexte est diffus, hybride. L’imitation n’est pas aussi explicite que chez Montalbán, car l’auteur lyonnais use de procédés qui rappellent le roman classique, en masquant ses emprunts,

‘« peut-être par décision inconsciente, par peur d’être anéanti, parce qu’il est interdit d’imiter le père1177. »’

Le crime, planant sur tout le texte, et dont tous les personnages se trouvent complices et se sentent coupables, figure peut-être le meurtre du Père. Il est d’ailleurs intéressant de mettre en parallèle le camouflage des emprunts par leur multiplicité et le refus - masqué en incapacité - de nommer un coupable dans l’histoire1178 (« Trop haut, hors d’atteinte » (272)). Le cas de Belletto montre clairement que le choix d’une forme ne doit rien au hasard ; on comprend que le genre policier ait attiré tant d’écrivains, tant il est à même d’exprimer la difficile émergence de leur écriture.

La volonté de neutraliser définitivement l’hypotexte est programmée initialement par le suicide manqué de Soler : en se tuant, il mettait fin à un roman (et à un être) sous influences, il contestait sa filiation en refusant de se soumettre à l’attente du lecteur. Mais ce suicide est manqué fatalement, car sinon, il n’y aurait plus de possibilité d’écrire. On ne peut refuser tout net le déjà-dit ; il faut accepter de s’inscrire dans une continuité. Et Soler, le rescapé, va rentrer dans le rang, avec rage, la même rage que le roman, qui castre et/ou tue la figure du Père (M. de Klef), de l’ancien, du prédécesseur, et, par sûreté, également celle du Fils (Simon de Klef), le successeur, le futur imitateur, le voleur (de Mère). A travers l’énucléation de Simon, ce qui est en jeu, peut-être, c’est aussi la lucidité, notamment celle du lecteur qui repère les influences dans une écriture, et celle de l’écrivain lui-même. Au lecteur de deviner que l’auteur tente par là-même de neutraliser ses doubles littéraires :

« Celui qui, par inexistence, ne peut, pour exister, que, par imitation, se couler dans une forme qu’il découvre (plus ou moins) déjà constituée, qu’il n’invente pas, celui-là pourtant invente tout, parce que, dans son effort de vie, il épuise cette forme jusqu’à ce qu’il trouve en elle la source même de sa création, le principe créateur qui lui a donné naissance, il l’épuise au point de la pulvériser, à l’instant même où il lui donne toute sa plénitude, [...], cela pour se fondre à cette source, devenir cette source 1179 . »

Cette phrase de Belletto au sujet de Dickens rend parfaitement compte de l’Enfer, mais aussi d’Enquête d’hiver : le roman lui-même devient l’histoire de ce dégagement progressif ; le matériau intertextuel se trouve alors détourné de sa signification et de son orientation. Dans le roman d’Amette, il est, vraiment « pulvéris[é] » pour permettre l’invention personnelle à partir des éléments libérés, prêts à recevoir une autre organisation. La fatigue, la déprime, l’épuisement de tous nos personnages d’enquêteurs (comme de ceux d’un grand nombre de détectives livresques actuels) symbolisent peut-être l’épuisement de cette forme. Amette fait coïncider, comme Marsé, l’histoire 1 (le crime) avec cette matière usée, remplacée par une histoire 2, qui naît de la première, certes, mais s’en dégage et lui tourne le dos. Le poids de l’intertextualité dans le roman policier traduit la prégnance des modèles pour les écrivains contemporains ; mais les plus novateurs peuvent fort bien faire figurer dans le même livre cette présence usée et le mouvement qui en libère, la création. La parodie moderne est bien ce mélange de destruction et de reconstruction qui adapte des matériaux à une époque, à un créateur1180.

La dépendance du texte vis-à-vis du modèle est donc variable au sein de notre corpus, qui décline toutes les positions possibles, usant des sens variés de la parodie : l’influence douloureuse, l’incorporation progressive et manifeste, le jeu permis par la prise de distance. Ce brouillage identitaire est présenté d’une manière très duelle dans Enquête d’hiver : la contestation du modèle se fait ici sur le mode de la conjuration, de la purgation. Amette, un peu comme Montalbán avec son pastiche du premier chapitre, semble copier avec application (et se contrefaire lui-même, en tant qu’auteur de polars classiques) ; dans un même roman se trouve renfermé l’itinéraire d’un créateur. Mais il va jusqu’à faire imploser son scénario et son personnage stéréotypés pour imposer un autre mode d’écriture. Il était l’Autre, il devient Je, et règle ses comptes avec lui-même. L’histoire d’Enquête d’hiver est à ce point l’histoire de sa propre écriture, de sa propre possibilité, qu’il paraît difficile de comprendre ce roman si on ne le réfère pas à son hypotexte ; de nos quatre romans, il est sans doute le plus dépendant.

Cependant, dans ce dialogue entre Amette et Paul Clément au coeur d’un même roman, on perçoit quelque chose qui se rapproche de l’autotextualité pratiquée par Belletto et Montalbán - et sans doute, plus largement, par tout auteur, tel Marsé, bâtissant une trilogie où les romans se répondent les uns aux autres. Les échos autotextuels, s’ils sont la forme extrême de la littérarité, tissent une oeuvre propre, un réseau de références personnel, permettant de s’affirmer face à toute textualité autre, à mieux l’accepter - ou à mieux la combattre. Montalbán en fait la preuve d’une façon singulière : son personnage hypotextuel de privé est tellement devenu le sien, notamment grâce aux possibilités offertes par le cycle et par la parodie, qu’il a pu l’extraire du genre et l’intégrer au genre dramatique (dans Antes de que el milenio nos separe) ou à son écriture subnormale (par exemple dans Sabotage olympique)... et même à la réalité, grâce au collage de recettes qui ont fait de Carvalho une référence dans ce domaine. Montalbán manipule donc avec une certaine habileté l’hypotexte, il réagit activement face à l’angoisse du déjà-dit, perceptible entre les lignes de son roman.

Certes, la dépendance des Mers du Sud est encore grande par rapport à l’hypotexte, puisque Montalbán a sciemment emprunté un type de personnage à une littérature prééxistante ; mais le lecteur pourrait sans doute comprendre le roman sans le référer à son genre d’origine, il est à même de saisir le contenu référentiel. De plus, il est peu de lecteurs qui n’aient jamais lu un roman policier, ou jamais vu un film de ce genre. La charge ironique est donc accessible à tous, elle accentue la portée référentielle du roman, tout en désignant la littérarité du texte.

Belletto a en commun avec Montalbán de s’appuyer sur un arrière-plan cinématographique ; son écriture imagée évoque irrésistiblement les personnages de polars ou de films d’espionnage, sur lesquels le héros romanesque vient s’inscrire en contraste, et dans lesquels lui-même se projette. L’indépendance du texte par rapport à l’hypotexte nous semble tout de même plus grande que chez Montalbán, dans la mesure où cet hypotexte est extrêmement diffus, dispersé et multiple, plus allusif que déterminant, transcendé par une écriture qui recherche passionnément la fusion avec cette autre expression qu’est la musique. Il y a, sûrement, de l’anti-roman, « folie romanesque » ou, mieux encore, « délire 1181 », dans l’Enfer...

De nos quatre romans, c’est tout de même celui de Marsé qui semble avoir le mieux digéré l’hypotexte. L’indice de cette indépendance est perceptible dans la difficulté à étiqueter le roman, qui n’est pas classé en librairie dans le rayon policier. On peut lire Boulevard du Guinardo sans identifier l’hypotexte, et, à la limite, la perception de la parodie - comme transformation du genre - est surtout affaire de lecture. On entend d’ici le reproche de Gérard Genette :

« Moins l’hypertextualité d’une oeuvre est massive et déclarée, plus son analyse dépend d’un jugement constitutif, voire d’une décision interprétative du lecteur  1182 . »

Certes, mais les structures fortes et repérables du roman policier sont d’efficaces garde-fous interprétatifs - plus que ses thèmes, on en convient1183. Tout naturellement, tirant profit de l’héritage littéraire, Marsé utilise les réflexes du lecteur de roman policier au service de son projet. Le texte second (l’histoire 2) efface le texte premier (l’histoire 1) : le roman policier est la formule narrative idéale pour raconter l’accession à l’écriture propre. La parodie retrouve ici son sens de détournement, d’ailleurs diégétisé par le trajet des deux personnages, déviant sans cesse de leur but initial. De nos quatre auteurs, Marsé est le seul qui ne dessine pas vraiment la figure de son hypotexte, il se surimpose à lui ; il en esquisse à peine la forme avec l’insertion du personnage policier, même si, là encore, tout est affaire de lecture : ce policier suggère sans doute à un lecteur espagnol ayant vécu le franquisme un tout autre contenu... Car l’hypotexte de ce roman est aussi l’histoire officielle. En tout état de cause, l’ambiguïté caractérise Boulevard du Guinardo, placé sous l’égide de Lewis Carroll. Mais même si l’héritage littéraire est ici tellement digéré qu’on a peine à retrouver des traces hypotextuelles1184, le roman de Marsé acquiert des significations supplémentaires par sa confrontation avec des romans plus évidemment parodiques, confrontation que semble souhaiter Michel Butor, lorsqu’il affirme la nature proprement intertextuelle de la littérature :

« Toute parodie affirmée dénonce celle qui est larvée dans la littérature courante ignorante de ses propres modèles, nous rend ceux-ci 1185 . »

On perçoit alors combien la parodie policière peut intéresser la modernité, qui prise les textes qui interrogent la pratique littéraire, ce à quoi oeuvrent la parodie et le roman policier, puisqu’ils mettent tous deux à nu les structures romanesques, l’une par vocation, l’autre par essence. La parodie, touchant le roman policier, l’entache de son ambiguïté, parce qu’elle lui confère la distance nécessaire, distance qui la caractérise. Et c’est dans ce miroir tendu par la parodie que le roman policier se voit pure construction, pur « effet de roman ». Tout entier bâti autour d’un processus explicatif, il voit alors voler en éclat son esprit de sérieux, son réalisme.

En effet, l’évolution du genre, perceptible de façon variée à l’intérieur de notre corpus, tient à la remise en cause du roman réaliste. Ce réalisme va se heurter à la lucidité imposée par la parodie. En ce sens, le roman policier est une des formes où s’inscrivent sans doute le plus lisiblement et de la façon la plus frappante les grandes mutations romanesques. D’abord parce que son aspect générique, rendant plus aisées et plus perceptibles les transformations parodiques, le soumet plus que le roman sans étiquette à ce ‘« facteur d’accélération’ 1186 » (L. Hutcheon) de l’évolution littéraire qu’est la parodie. Ensuite parce que le roman policier classique présente la forme la plus extrême du projet romanesque, puisque par sa structure impeccable, son écriture économique, envahie par le sens, tendue vers la lisibilité, il réalise complètement le projet romanesque du XIXe siècle, tel que le définit Leo Bersani : la forme entièrement signifiante, la structure même du genre, obsédée par la concaténation, par la causalité, tendent vers l’explication, l’intelligibilité du mystère de l’individu ; par là-même le roman défend une idéologie conservatrice :

« Le mythe littéraire d’un sujet rigidement organisé contribue à une idéologie culturelle dominante du sujet qui est au service de l’ordre culturel établi 1187 . »

S’attaquant à cette idéologie, certains romanciers du XXe siècle trouvent dans le roman policier un terrain de jeu idéal, pouvant se baser sur la forte représentativité du genre, qui assure un effet et une répercussion aux altérations qu’ils entreprendront. Paradoxalement, c’est sans doute à partir de la représentation du sujet que le retournement pourra d’abord s’opérer : en effet, avant de devenir ce sujet expliqué, définitif, le criminel est une non-présence, et offre une dichotomie totale entre être et paraître (dichotomie que, par exemple, le Meurtre de Roger Ackroyd ne résoudra jamais vraiment1188). Le roman policier est le roman du masque. Cette faille est résorbable dans le roman classique (il est fait pour cela, faire tomber le masque); elle ne le sera plus dans le roman moderne.

Le sujet s’exposera, alors, avec toutes ses incertitudes, dans la multiplicité de ses masques, du sujet vide d’Amette au sujet divisé de Belletto, du sujet copié (Carvalho) jusqu’au sujet anonyme de Marsé. Le sujet multiple (Pedrell) de Montalbán trouve sa configuration textuelle dans le collage, qui n’est après tout que la forme la plus forte de la digression, c’est-à-dire la digression la plus scandaleuse, puisqu’elle n’est pas récupérée par l’idéologie romanesque unifiante et réductrice - le roman policier classique se signale d’ailleurs par sa brièveté. Si l’on ne peut (se) connaître, la structure a toutes les chances d’imploser...

En particulier si ce nouveau roman réintègre le désir, dont Leo Bersani montre l’éviction dans la littérature classique, par crainte de l’« ‘explosion structurale’ 1189» qu’il induit, équivalent narratif des troubles que le désir individuel est susceptible de causer à la société. Par sa structure même, le roman policier évacue plus parfaitement encore ce désir, puisque le crime - symbolisant la violence du désir - est renvoyé dans l’avant-texte. Belletto montre bien que le simple déplacement narratif de l’épisode du crime répand le désir dans le texte, le premier désorganisant définitivement le second1190. Or, la perspective narrative choisie par le romancier laisse entièrement les mains libres au héros, en le laissant mener le récit à la première personne. Le cas du Docteur Sheppard, caractéristique d’une littérature qui castre le « je », montre bien que cela pourrait ne pas suffire. Mais Belletto, complice de la folie maintes fois signalée de son héros, permet au « je » de se déchaîner, menaçant le roman, enfreignant ses règles de survie, brouillant les frontières entre illusion et réalité, et nous troublant par la puissance du fantasme.

La structure se fragmente également dans Enquête d’hiver, parce que Demange (le nom même signale l’envie) dévie pour cause de désir, désir de connaissance, désir de la femme interdite, désir du passé, désir d’une autre vie. La curieuse disparition de Demange à la fin du roman nous apparaît, ironiquement, comme son expulsion du champ romanesque, le roman avortant - mais trop tard, le « mal » est fait - de cette anomalie qui l’a désorganisé définitivement et qui, par sa complexité, a nui à sa lisibilité.

A contrario, la structure chez Marsé, renvoie, dans sa perfection même, justement à la mise à mort du désir, cette pétrification morbide dont on a vu que l’inspecteur portait douloureusement les stigmates. Cet immobilisme mortifère est naturellement chargé de significations historiques ; il évoque la paralysie provoquée par la dictature. Par sa charge négative, ce roman dit encore le désir tu ou tué. Il attaque de l’intérieur le roman naturaliste de l’époque franquiste, linéaire, maîtrisé, directif comme l’inspecteur, confronté ici à une Rosita déviante et digressive. Perturbant le programme initial, elle incite à la méfiance, à une lecture lucide qui tire le roman vers la parabole.

L’incertitude du sujet ébranle naturellement les deux points d’ancrage du roman : les débuts et les fins s’exhibent comme subterfuges là-même où ils étaient le plus garants de l’illusion de réalité et de la non-contingence, puisque la structure cyclique du roman policier (mort/mort, question/réponse) est démystifiée ou subvertie. L’esthétique du discontinu s’installe sur le lieu même de la plus grande continuité, la chaîne causale se rompt. Le roman policier manifestait et réussissait plus que tout autre à insérer une logique dans les manifestations du réel, supprimant le hasard. Aussi, les romanciers comme Amette, en brisant la chaîne de causalités, imposent au lecteur la déperdition, l’absence de lien, la contingence.

A l’extrême, l’inachèvement du livre symbolisera l’incomplétude du sujet, proclamée par le roman moderne. L’absence du criminel (Amette), sa dispersion, identifiée (Montalbán) ou non (Belletto), son anonymat (Marsé), marquent l’impossibilité de clore le roman, fonction classiquement dévolue au bouc-émissaire, rituellement expulsé pour assainir le climat social et édifier le lecteur. Le subtil déplacement effectué par nos quatre auteurs fait des victimes elles-mêmes des boucs-émissaires, dont le sacrifice est nécessaire au fonctionnement social, scandale dont Marsé souligne le caractère historique. En refusant la clôture rassurante, tous dénoncent ce fonctionnement, dussent-ils en montrer l’odieuse efficacité en conservant la structure cyclique.

Dès lors, l’enquête, vecteur de sens, n’existe plus (Marsé), n’aboutit pas (Amette), ou incomplètement (Belletto), ou par des moyens hasardeux (Montalbán). Amette et Belletto exemplifient les deux moyens les plus extrêmes pour que le roman ne soit plus ce qui rend le réel intelligible : le premier dans un roman où rien ne fait sens, le second qui exagère cette obsession réaliste du texte où tout fait sens, jusqu’à produire une telle accumulation, une telle surenchère, qu’on se perd parmi les signes. Une page vide pour l’un, une page surchargée d’écriture pour l’autre.

L’ambivalence parodique, manifestée notamment par notre corpus, doit alors être interrogée : la parodie, par le jeu intertextuel qu’elle stimule, crée la littérarité, réduisant a priori ses prétentions référentielles, et pourtant, nous avons montré que la référence au monde et à l’individu avait une place importante dans chacun de nos romans. Pour parvenir à comprendre cette ambiguïté essentielle, il faut penser à la fonction de l’ironie au coeur du processus parodique, ce qui nous amènera à établir d’ultimes distinctions parmi les romans qui nous ont occupée.

L’ironie constitutive de la parodie moderne consiste en une distance critique vis-à-vis de l’hypotexte intégré au texte. On place le lecteur sur un terrain familier (un policier-type, par exemple, aux prises avec ‘« une affaire comme toutes les autres’ »), puis on le prive de ce qu’il imagine venir ensuite, lui faisant prendre conscience de l’aspect stéréotypé de cette attente, dictée par d’autres lectures, pas par la réalité ; ou alors, on place dans la bouche de ce détective l’aveu de sa nature fictive : s’identifiant aux détectives de la littérature ou du cinéma, Carvalho non seulement avoue sa fictionnalité, mais il reporte celle-ci sur ses prédécesseurs, obligeant le lecteur à considérer l’irréalité de ce qu’il a lu ou vu ; ce dernier ne peut plus rester à la surface du texte en y voyant un reflet du monde réel. Renvoyé à la littérature, il est séparé du texte, contraint à se détacher de lui pour le voir comme texte.

L’ironie fonctionne ainsi comme un signal clair chez Montalbán, parfois même dès le paratexte (cf. la Note de l’Auteur pour Meurtre au Comité Central) ; le personnage se désigne volontiers comme pure créature hypertextuelle, cite ses illustres prédécesseurs littéraires et souligne sa fonction narrative. Si elle a valeur de défense active contre l’angoisse du déjà-dit, cette distance ironique vise aussi à faire prendre conscience au lecteur de la fictionnalité. Dans cet espace créé par l’ironie entre le roman et le lecteur, l’auteur se glisse, cultivant une complicité allègre avec son lecteur, en jouant avec les conventions du genre. Cet aspect euphorisant de l’ironie lui permet de pointer du doigt la littérarité : le texte s’inscrit dans une tradition, il est discours et ne peut prétendre représenter la réalité. Montalbán se sert d’un genre initialement paralittéraire pour dénoncer la littérature, créer une ‘« littérature consciente d’elle-même’ 1191». D’où l’importance des commentaires métalittéraires, la tendance à la métafiction, qui domine dans un texte comme Sabotage Olympique. Une fois cela admis, le lecteur prend conscience d’un discours, d’un point de vue sur le monde, sur l’histoire, s’énonçant par l’intermédiaire d’outils textuels comme la description ou le personnage, qui facilitent l’accessibilité à ce discours.

Dans Enquête d’hiver, l’ironie parodique est moins évidente à cerner ; elle a pourtant un rôle fondamental puisqu’elle crée la frontière entre les deux grandes parties du texte. Elle indique ainsi la direction du roman. Ce qui doit la signaler au lecteur, ce sont ces phrases et même ce style prosaïques, plats, soulignant la banalité du texte ‘: « On avait oublié de rentrer le plat du chat avec le ragoût »’ (31). Ce prosaïsme caractérise la description du commissariat ; il culmine lors des scènes chez les Hansen. Le collègue de Demange constitue un deuxième signal de l’ironie parodique : l’hypotexte de Simenon est convoqué, selon une inversion remarquable : au lieu que Maigret soit ridiculisé (ce qui serait conforme à l’ancienne visée parodique), il est dit de Hansen qu’‘« il se prenait pour Maigret’ » (69). De surcroît, cet avorton hypotextuel s’endort devant Hamlet ! L’ironie vise à nous montrer que le roman va effectuer une transformation sérieuse et fondamentale, linéaire, de l’hypotexte policier à l’hypotexte d’Hamlet, transposition qui fera évoluer la problématique fermée sur elle-même et fictionnelle de l’un vers les grandes questions existentielles posées par l’autre, sur le temps, par exemple. La trajectoire est facilitée par l’ironie, qui use tous les objets de la narration, qu’elle présente fatigués, routiniers, vides. Ainsi, le dialogue lors de la première soirée chez les Hansen qui ressasse des « rien ». L’hypotexte ici caricaturé désigne son usure comme fiction, et sa vacuité comme écriture ; à un texte qui ne dit rien, Amette substitue un texte sur le rien, c’est-à-dire sur le malaise existentiel d’un homme, les questions qu’il pose au monde. Il souligne ironiquement le manque d’intérêt de romans qui ne renvoient qu’à eux-mêmes pour s’inscrire dans une autre lignée, celle d’oeuvres qui parlent d’être-dans-le-monde.

Amette rencontre ici Marsé, dont la stratégie est ironique dans son principe même - l’épigraphe le signale -, puisque le début du roman accumule les écarts vis-à-vis du modèle : l’amorce de structure suspensive est décapitée, le mystère éventé, l’inspecteur harassé, conspué, et, comme le héros de Belletto, il est à peine entré dans le roman qu’il désire mourir. L’ironie est ce qui déblaie le terrain hypotextuel, affirmant dès l’abord du roman qu’il va s’agir ici d’autre chose que d’élucubrations romanesques ou d’onanisme littéraire : l’inspecteur est un indice de réalité parmi d’autres dans ce premier chapitre, et peu à peu, la référence va l’emporter sur la fable. L’ironie souligne donc le décalage entre la fiction (l’inspecteur portant des bonbons aux orphelines pauvres et travailleuses) et la réalité (l’inspecteur-bourreau et les orphelines prostituées), ce que l’épisode de la répétition a encore pour tâche de désigner : Rosita chante mieux Perfidia (86), complainte obscène, qu’elle ne récite la vie de Sainte Eulalie (101), trop distante d’elle : ‘« Quelle façon de perdre son temps »’ (99).

Il y a donc une certaine unité dans l’utilisation de l’ironie chez Marsé, Montalbán ou Amette. Mais le cas de l’Enfer fait problème. On peut tout à fait percevoir de l’ironie dans le décalage entre ce que Soler voudrait être ou pense être par bouffées mégalomaniaques et les difficultés qu’il rencontre, non seulement à vivre en héros, mais aussi et surtout à vivre. Mais il nous semble que cette ironie doit beaucoup à la lecture. Si ce roman perturbe ou met mal à l’aise bien des lecteurs, c’est qu’il s’agit plutôt d’une ironie amère produisant l’humour le plus noir au plan narratif, une ironie souvent rageuse et agressive qui cherche à se défaire des horizons d’attente dictés par les modèles, frôlant pour cela le scandale que constituerait la mise à mort du héros - cf., dans le Revenant, l’étonnante exécution du fils du héros. Il ne nous semble pas que la distance, caractéristique de l’ironie parodique, soit ici acquise. La parodie serait donc, chez Belletto, davantage un résultat qu’un projet. Il n’a pas été véritablement libéré par ce qu’apportent les « formes parodiques » analysées par Bakhtine :

« [...] elles délivrèrent l’objet du pouvoir du langage, dans lequel cet objet était empêtré comme dans des rets ; elles détruisirent la puissance absolue du mythe sur le langage ;  elles libérèrent la conscience de l’emprise du discours direct ; elles permirent à la conscience d’échapper à la prison opaque et close de son propre discours, son propre langage. Alors, entre le langage et la réalité, fut créée la distance, qui était la condition indispensable pour donner naissance aux formes authentiquement réalistes du discours 1192 . »

Belletto incorpore des langages, se les approprie en les faisant dévier, mais il reste dans la fusion. La passion de Belletto pour la musique et l’essai de transcription qu’il fait dans ce roman témoigne de son goût pour un langage mystérieux, plus communicatif (au sens que Belletto donne à ce terme : contagieux, producteur de doubles) qu’informatif. Pour Barthes, la musique est une folie (mot si présent dans le roman), en ce qu’elle laisse passer le message du corps, son seul référent1193. L’auteur lyonnais est donc pris dans la dimension fantasmatique du langage. Il reste fermé en lui-même, appliqué à faire d’autrui un double, et à tuer les modèles. Ce qu’il dit de Dickens semble une fois encore bien proche de ce qu’il nous a laissé voir en lui :

« Dire que Dickens absorbe et digère dans les livres des autres ce qui est déjà en lui, c’est dire que son approche de la littérature n’est pas (ou est peu) soumise à des idées, à une pensée, à une réflexion délibérée a priori ou a posteriori, mais que passivement il est frappé par des mots, des expressions, des images, des situations qui trouvent un écho dans son être profond et qu’immédiatement il s’approprie 1194 . »

De nos quatre auteurs, c’est chez lui que la portée référentielle est la plus problématique, parce que le roman tend à vider le monde, comme Lyon, pour n’exprimer que le « je » démultiplié à l’infini. A la distance parodique, Belletto substitue un dédoublement. A cet égard, son roman offre la synthèse passionnante de ce qui fait du genre policier un genre déchiré.

En effet, la fortune, la variété et en même temps les hésitations du genre viennent sans doute de ce qu’il illustre à lui seul le débat entre une écriture du corps (fantasmes, clichés) et une écriture de l’esprit (déduction). Ces deux tendances ont été longtemps séparées, représentées pour l’une par le roman noir (et de suspense), et pour l’autre par le roman à énigme d’origine anglaise, dont les traces conjuguées se retrouvent chez Belletto. Cette division se retrouve d’ailleurs chez l’initiateur, Poe, lorsque l’on observe, d’une part, sa production fantastique (fantasmatique) et d’autre part, ses nouvelles policières.

Cette tension entre corps et esprit semblait à André Green, en 1971, un des signes de la littérature moderne ; l’écriture corporelle, fantasmatique, posait pour lui des problèmes de lisibilité ; l’écriture intellectuelle aboutissait à un « texte absent 1195 ». Dans les deux cas, il percevait un signal inquiétant pour l’avenir de la littérature, en tant que, quel que soit le choix, il remettait en cause la figurabilité du texte et donc sa communication.

Or, on peut supposer que le trouble actuel, au sein du genre policier, tant en ce qui concerne l’altération des structures que la difficulté à regrouper les oeuvres, vient d’une tendance moderne à fusionner les deux écritures. Elles luttent entre elles, tirant des deux bords, produisant des formes éclatées et variées selon les aléas de ce combat. Les romans d’Amette et ceux de Belletto incarnent sans doute les deux extrêmes de cette lutte, le premier avec son roman sur le rien, le second avec cette invasion du fantasme - qui prend des proportions plus inquiétantes dans d’autres romans de Belletto. Mais la nature même du roman policier est bien faite : elle freine l’écrivain dans son penchant à céder à l’une ou l’autre de ces deux tendances, d’abord parce qu’elle ne les frustre pas et peut les exprimer, y compris dans leur refoulement - le roman policier est la forme scriptible du refoulement - ou leurs difficultés - le roman policier diégétise le balbutiement intellectuel -, ensuite parce que les composantes du genre le protègent d’une prise de pouvoir abusive de l’esprit ou du corps : la structuration, dont nous avons vu l’importance chez nos quatre auteurs, évite les dangers d’un émiettement fantasmatique total. Le fantasme ne risque plus d’être « lâché » abruptement dans l’écriture, il est médiatisé et transformé par l’écriture, et donc communicable, notamment sous la forme du cliché, caractéristique du genre. Par ailleurs, la conscience du lecteur, héritée des ancêtres paralittéraires, assure la lisibilité, le recours au roman policier ayant même été pratiqué par les Espagnols pour remédier aux méfaits d’une littérature « ensismada », c’est-à-dire de cette fameuse écriture de l’esprit, qui se prend comme seul objet.

Le roman policier tel qu’il est illustré par notre corpus témoigne aussi, d’une manière exemplaire, des deux tendances de la littérature. L’une, repliée sur soi, sur sa propre intériorité, et/ou sur l’écriture seule, trouve son épanouissement dans l’autotélisme du genre ; l’autre, extravertie, voulant rendre compte du monde, utilise avec efficacité la structure du genre, visant à faire resurgir une histoire ou une signification refoulée. Les Espagnols s’illustrent particulièrement dans cette veine socio-historique, sans s’abstraire pour autant, ni des potentialités fantasmatiques du texte policier, ni des recherches narratives, cherchant en particulier des correspondances entre la structure générique, telle qu’elle est et telle qu’elle peut être pervertie, et le contenu référentiel qu’ils ont choisi.

Les romans d’Amette, de Belletto, de Marsé et de Montalbán, dans leur diversité, permettent de montrer l’extraordinaire fertilité du genre, sa souplesse, sa mobilité, dues à la richesse de ses composantes. Très souvent, pendant cette recherche, s’est posée la question de ce qui était choisi par ces quatre romanciers, de ce qui s’était imposé à eux. Il est clair qu’Amette, Marsé et Montalbán ont utilisé sciemment un genre, à des fins littéraires et référentielles ; mais il est certain aussi que, comme Belletto, ce choix s’est imposé à eux d’une manière obscure, et que, pour reprendre les termes de Jean-Claude Vareille, le langage policier a parlé en eux. Car recourir à cette structure, c’est manifester la quête d’un texte, de Simenon au Nouveau Roman, et/ou, à travers lui, la quête de soi : qu’on songe aux rapports entre autofiction et enquête policière, chez un Modiano, un del Castillo. Chercher à cerner l’hypotexte conduit presque inévitablement à l’avant-texte, au lieu même, mystérieux et passionnant (comme un roman policier ?), où naît l’écriture.

Notes
1156.

F. Ponge, « le Dispositif Maldoror-Poésies », Méthodes, Gallimard, 1961, coll. « Idées », pp. 210-212, cité par D. Sangsue, in la Parodie, Hachette Supérieur, coll. Contours Littéraires, 1994, p. 89.

1157.

A. Montandon, « l’Angoisse du penalty », p. 114.

1158.

A. Bouillaguet, l’Ecriture imitative, Nathan Université, coll. Fac Littérature, 1996.

1159.

A. Bouillaguet, op. cit., p. 9.

1160.

Tant il est vrai que, comme le dit D. Sangsue, in la Parodie, p. 55, « chaque époque met dans la parodie ce qu’elle veut y trouver. »

1161.

A. Bouillaguet, op. cit., p. 5.

1162.

U. Eisenzweig, le Récit impossible, p. 174.

1163.

M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, pp. 121-124.

1164.

D. Sangsue, op. cit., p. 58.

1165.

L. Hutcheon, « Ironie et parodie : stratégie et structure », in Poétique n° 36, 1978, p. 476 : « Doivent exister une connaissance des stratégies de la communication, l’acceptation de l’intention prioritairement formelle (plutôt que sociale) de la forme, et une compétence à effectuer la superposition des textes - littéraires, filmiques, musicaux, etc. - est réclamée. »

1166.

A. Bouillaguet, op. cit., p. 16, note que « Linda Hutcheon considère que l’effet comique n’est pas indispensable à cette forme ».

1167.

M. Bakhtine, op. cit., p. 414.

1168.

Cf. G. Genette, Palimpsestes, pp. 18-19.

1169.

Sur l’apport théorique de M. Rose, comme sur celui de L. Hutcheon et de M. Hannoosh (ouvrages non traduits), cf. la synthèse de D. Sangsue, in la Parodie, pp. 48-61.

1170.

G. Genette, Palimpsestes, p. 558.

1171.

D. Sangsue, la Parodie, p. 68.

1172.

A . Bouillaguet, op. cit., pp. 117-119. U. Eco a sans doute voulu convertir de la même façon son hypotexte (le Chien des Baskerville) dans le Nom de la rose.

1173.

Cf. la Note de l’Editeur : « Les amateurs de polars adorent se réclamer de la poésie ou de la tragédie classique. C’est, pour eux, une manière réjouissante, provocatrice, de revendiquer l’éternité de la littérature face à ceux qui ne voient dans le roman noir qu’un genre mineur voué à la disparition.[...] Freud y [dans le mythe d’Oedipe] puisa des trésors, tous les amateurs de la Série Noire aussi. »

1174.

J. Dubois, op. cit., p. 220.

1175.

Cf. M. Schneider, op. cit., p. 163 : « D’une certaine façon, dire « mon idée » est tout aussi faux, aussi « réactionnaire », que de dire : « ma femme », si on s’imagine par là en être le possesseur premier ou dernier ; mais tout aussi vrai, si l’on entend par là l’irréductible singularité, l’incommensurable jouissance du lien qui nous lie à cette femme, à cette idée. »

1176.

P. Zumthor, « le Carrefour des rhétoriqueurs, intertextualité et rhétorique », in Poétique n° 27, Intertextualités, Seuil, 1976, p. 324.

1177.

R. Belletto, les grandes Espérances..., p. 484.

1178.

Cf. R. Belletto, op. cit., p. 165 : « Percer le secret, vivre, mourir, c’est répondre à la question « qui ? » en mourant de peur d’y répondre ou d’entendre la réponse. »

1179.

Ibid., p. 521.

1180.

Cf. L. Hutcheon, art. cit., pp. 475-476 : « La véritable parodie dialectique pourrait [...] mener à une synthèse du premier plan et de l’arrière-plan, qui, par la suite, pourrait dépasser ses origines et inaugurer une nouvelle forme autonome. »

1181.

Cf. G. Genette, Palimpsestes, p. 214 : « J’imagine en revanche que la formule de l’anti-roman générique a trouvé à s’appliquer à toutes sortes de sous-genres romanesques un peu marqués par l’intensité déjà caricaturale de leur thématique : mésaventures pitoyables et ridicules d’un personnage qui se prendrait pour un héros de thriller, de roman d’espionnage, de science-fiction, et qui interpréterait en ce sens les menus incidents de sa plate existence. »

1182.

Cf. G. Genette, Palimpsestes, p. 18.

1183.

Cf. M. del Castillo, Mort d’un poète, Paris, Mercure de France, coll. Folio, pp. 14-15 : « Pas davantage n’ai-je, avec ce livre, écrit ce qu’il est convenu d’appeler un roman policier, à moins d’inclure Dostoïevski et Graham Greene parmi les auteurs de romans policiers [...] Ce livre est un policier, certes, mais dans la mesure où on y trouve un, et même, plusieurs cadavres, une enquête, peut-être un coupable. Il y a cependant des années qu’on croise des cadavres dans mes romans, lesquels prennent la forme d’une enquête. Dans le mot enquête, on trouve à la fois l’idée d’errance, et celle de for intérieur, d’intériorité. Ces deux notions, je pense qu’elles constituent le fondement du mythe occidental. »

1184.

C’est d’ailleurs ce qui caractérise l’hypertextualité pour Genette, qui lui oppose l’intertextualité vue par Riffaterre, où la compréhension du texte est suspendue à la reconnaissance de l’intertexte - ce qu’illustrerait dans notre corpus Enquête d’hiver. Cf. G. Genette, Palimpsestes, p. 554.

1185.

M. Butor, Répertoires III, p. 18.

1186.

L. Hutcheon, art. cit., p. 474.

1187.

L. Bersani, « le réalisme et la peur du désir », in Littérature et réalité, Seuil, Points Essais, 1982, p. 54. Le roman policier est finalement la conséquence naturelle et extrême de la vocation du roman réaliste à « se ser[vir] de l’anarchie sociale pour fabriquer du sens esthétique » (p. 58).

1188.

Marchant dans les pas de P. Bayard, on peut suggérer que l’oeuvre posthume d’A. Christie, Poirot quitte la scène, utilise le subterfuge de « l’individu à influence néfaste et efficace » pour justifier les gestes criminels de gens ordinaires, pour les déculpabiliser, donc pour tenter de réduire la fracture être/paraître ; ce qui n’empêche pas Poirot d’avouer que « chacun de nous est un meurtrier en puissance » (p. 229, souligné par l’auteur).

1189.

Ibid., p. 72.

1190.

Ibid., p. 77 : « Le désir met ainsi l’être même en question ; l’idée d’un sujet cohérent et unifié est mise en péril par les images discontinues et logiquement incompatibles d’une imagination désirante. »

1191.

L. Hutcheon, art. cit., p. 467.

1192.

M. Bakhtine, op. cit., p. 418.

1193.

R. Barthes, la Musique, la voix, la langue, cité par F. Escal, ibid., p. 76.

1194.

R. Belletto, op. cit., p. 464.

1195.

A. Green, art. cit., p. 48 : « Le texte sur l’absence est devenu l’absence du texte. »