1. Les éléments de contextualisation

La « table rase » n’existe pas. C’est ce que nous voulons montrer dans cette courte section, notre recherche étant nécessairement contextualisée et ancrée sur un passé déjà largement analysé, celui du processus d’informatisation qui a couru sur près de vingt ans.

1.1. Tirer les enseignements du passé

Lors du processus d’informatisation14 des Petites et Moyennes Entreprises françaises (processus qui s’est étalé sur une dizaine d’années au regard des chiffres dont on dispose), trois catégories d’entreprises se sont clairement distinguées.

Certains entrepreneurs pionniers se sont lancés dans la course à la technologie en même temps que les grands groupes, soit parce qu’ils avaient perçu le potentiel de développement que revêtait l’informatique, soit parce que, par goût personnel, cet outil les attirait. D’autres, un peu plus nombreux, ont attendu qu’une prise de conscience collective de leur profession ou de leur branche soit le signal de départ dans l’aventure informatique sans être forcément convaincus de la nécessité d’innover.

D’autres encore, et ce fut une grande majorité, se sont pliés à l’innovation dans l’urgence, conscients du retard qu’ils accusaient sans pour autant déterminer les vraies raisons qui les poussaient à adopter l’innovation. Pour cette grande majorité, l’informatisation d’une partie de leur activité, voire de sa totalité, était avant tout perçue comme facteur de bouleversement15. En effet, qu’il s’agisse des pratiques professionnelles que l’informatique conduisait nécessairement à adopter ou de la culture qu’elle véhiculait (ou en tous les cas que l’on voulait lui prêter), c’est en termes de rupture et de renoncement à des habitudes bien ancrées que ces chefs d’entreprise ont abordé le changement.

Si ces expériences n’ont pas toujours été bien ressenties par les chefs d’entreprise, tant cette période riche en progrès technologique les a contraints à investir dans du matériel qui s’est souvent révélé rapidement obsolète, si la rentabilité des achats n’a pas toujours été optimisée, certains se contentant parfois de transposer sur l’outil informatique des processus de gestion archaïque sans utiliser les nouvelles opportunités offertes par l’ordinateur, c’est probablement parce que, la plupart du temps, cette innovation a été subie et/ou adoptée avec méfiance. Il reste que ce sont tout de même des centaines de milliers de nouveaux utilisateurs16 qui ont mis le doigt dans l’engrenage informatique et lorsque, rétrospectivement, l’on se retourne sur ce processus de diffusion massive, il prend des apparences de simplicité, d’évidence-même, comme si, une fois les événements passés, on oubliait que rien ne s’est produit spontanément et que l’informatique ne s’est pas imposée « d’elle-même ».

Aujourd’hui, ce n’est plus de l’informatique qu’il s’agit, mais d’une innovation socio-technique plus sophistiquée, rendue possible par l’association des outils informatiques et des outils de télécommunication, aboutissement complexe de la vague « télématique ». Le potentiel attendu et annoncé propulse cette innovation au rang de celles qui, par le passé, ont généré une véritable révolution : nous la désignerons à partir de maintenant par le terme générique (choix sur lequel nous nous prononcerons dans le chapitre 2) de télé-activités. Après avoir pris la décision de s’informatiser, c’est donc à un nouveau choix que des organisations sont confrontées et à travers elles, et peut-être même avant elles, des milliers de futurs usagers :  passer de la société industrielle à celle de l’information.

Notes
14.

En 1980, seulement 13% des P.M.E. étaient informatisées, ce chiffre était encore inférieur à 50% en 1986 et c’est seulement en 1991 que la barre des 80% (considérée comme une forte majorité) a été dépassée. (Ces statistiques sont celles que produit la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises, la C.G.P.M.E.). Depuis, la progression a été régulière et l’on considère (compte tenu des disparités en termes d’effectifs) que le seuil des 90%, franchi en 1995, permet de parler de diffusion massive et élargie. Il est révélateur de constater que la question de la possession d’un ou plusieurs ordinateurs au sein de la P.M.E. est dépassée : la principale préoccupation, signe des temps, concerne l’éventualité d’une connexion à Internet. La dernière enquête UFB Locabail indique ainsi qu’une PME sur quatre est connectée à Internet.

15.

Raymond R. (1994), « L’informatisation de l’artisanat », thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2.

16.

Il faut préciser ici la distinction que l’on doit opérer entre l’utilisateur et l’usager. M.F. Kouloumdjian souligne que la stabilité (c’est-à-dire à la fois l’historicité et l’ancrage culturel) et la généralité sont les caractéristiques susceptibles, a minima, de définir l’usage social. « Par stabilité, nous ne signifions ni l’uniformité d’usage, ni l’absence d’évolution du produit ou de son usage. Par généralité, nous nous référons au moins aux usages significativement apparents d’un groupe social homogène ». Lorsque ces caractéristiques ne sont pas encore repérables, il est souhaitable d’avoir recours au concept d’utilisation. Chartier M., Kouloumdjian M-F., (1991), « Gérer les contraintes du temps et de l’espace dans les échanges au niveau international », Communication et Nouvelles Technologies, textes réunis par C. Belisle, Les chemins de la Recherche, Lyon.