2.1. La question de la demande

Or, bien que les effets des T.I.C., comme le note M. Castells, se fassent sentir à tous les niveaux de la société, il n’existe pas encore, ou en tous les cas rarement, de demande sociale42 en tant que telle, pas même implicite, dans les zones rurales ou pays 43 montrés du doigt pour le retard qu’elles accusent collectivement au regard de certains seuils soi-disant critiques d’adoption de l’innovation. Ceci nous amène alors à formuler les trois remarques suivantes.

La première est que ces retardataires présentent tous ce point commun d’avoir une culture forte –c’est elle qui donne corps à la notion de pays-, culture qui permet de les identifier en tant que population avec des caractéristiques précises (attachement à la terre, respect des traditions, transmission du savoir, préservation des particularismes locaux, , etc). C’est peut-être la raison pour laquelle ces retardataires sont particulièrement peu enclins à accepter les bouleversements qu’évoque « l’ère de l’information » (Castells M., p43, 1996),44 cette dernière étant associée, dans leur esprit, à un processus d’uniformisation des modes de vie et des cultures. Cette remarque n’a rien d’une hypothèse rigoureuse mais relève beaucoup plus d’une intuition-déduction que nos travaux précédents conjugués à ce travail de recherche permettent d’évoquer.

La deuxième suppose que l’on questionne la définition d’une demande sociale, précaution qui permet de comprendre qu’une confusion s’opère souvent entre demande et besoins. En effet, le besoin correspond à la prise de conscience d’un manque (d’ailleurs, dans son sens courant, il n’est pas forcément conscient) alors que la demande se construit autour d’une quête de l’objet (pris dans son sens large) susceptible de satisfaire le besoin : elle fait donc l’objet d’une démarche, ne serait-ce que verbalement. Parler d’une demande sociale signifie que l’on prend en compte un besoin collectif qui donne lieu à une prise de conscience également collective, portée à l’attention de l’extérieur par les représentants de la population concernée : une demande sociale est nécessairement explicite et consciente. Le cas de l’informatisation des P.M.E. nous autorise, a contrario, à affirmer ceci sans réserve.

Enfin, la troisième et dernière remarque nous conduit à évoquer le phénomène suivant, moins surprenant que paradoxal : alors que l’offre technologique se constitue (c’est-à-dire qu’elle croît, tant qualitativement que quantitativement, qu’elle occasionne l’arrivée de nouveaux prestataires sur le marché de la technologie, qu’elle se complexifie et qu’elle fait l’objet d’un traitement économique et statistique au même titre que l’offre de biens et services de consommation courante) et peut être facilement identifiée, personne, ou presque45 (Fourrier-Millet C., Kouloumdjian M-F., 1997), semble-t-il46, ne s’étonne que cela ne soit pas le cas pour la demande47.

Notes
42.

Les travaux du Cautic ont ouvert la voie dans ce sens.

43.

La notion de «pays» est une appellation que l’administration française reconnaît désormais. Elle est le fruit d’un double mouvement : alors que le global s’impose dans de nombreux domaines, on assiste parallèlement à une demande pressante de territorialisation, de local, ce qui conduit par prudence à appréhender tout phénomène lié au monde rural à travers cette double dialectique.

44.

Castells M., (1996), op. cit.

45.

Kouloumdjian MF., Fourrier C., (1997), « is telework spirit soluble into the SME’s culture ? », Telecom Interactive Forum 97, Actes du Colloque, Genève, septembre.

46.

Notons tout de même que le rapport Lorentz a montré que nous étions en train de basculer d’un système de l’offre à un système de la demande.

47.

D’un point de vue économique, cela n’a rien de très étonnant : c’est au contraire le mode de fonctionnement classique d’un marché insaturé.