2.2.1. La dynamique de l’innovation

Dans son ouvrage sur « Les sens de la technique », V. Scardigli rappelle fort opportunément que la première étape de la diffusion d’une innovation est toujours celle « des prophéties emblématiques et enthousiastes », ou terrifiantes, « des fantasmes de miracles ou de catastrophes », des scénarios apocalyptiques (Scardigli V., p31-33, 1992)⁷⁵. S’il est encore difficile pour se prononcer sur l’état d’avancement de la thématique du progrès qu’ont généré les télé-activités, il reste certain que chaque acteur du jeu social qui en parle donne l’impression et/ou a le sentiment de vivre dans un monde en gestation. La dynamique sociale qui s’est mise en oeuvre autour de cette innovation aux contours encore mal maîtrisés nourrit notre imaginaire : sans exagération de notre part, nous pouvons dire que toutes les sociétés (du moins des pays industrialisés ou en voie de l’être) se reconnaissent dans la révolution informationnelle dont elles ont accepté de faire le signe commun de leur devenir social et économique.

De plus, il ne faut pas oublier que ce sont les industriels et les Etats qui fournissent l’essentiel de notre idéologie de progrès⁷⁶. Par exemple, quelle que soit la valeur réelle du rapport Nora-Minc en termes d’évaluation et d’identification des perspectives de développement de la télématique, le sceau de la scientificité et de l’objectivité qu’il a reçu a beaucoup contribué à créer la vague télématique, peut-être même plus que le contenu du rapport lui-même, alors qu’il était encore difficile à l’époque de démêler ce qui relevait du fantasme ou du probable. Dès lors, si tout progrès technologique a sa part d’imaginaire, on peut constater qu’il ne se réduit pas à cette dimension puisqu’il mobilise les énergies et produit donc de l’action, étape indispensable à la diffusion effective d’une innovation dans le corps social, remarque sur laquelle nous reviendrons lorsque nous essaierons d’identifier quels sont les germes de l’innovation dans un système social donné.