3.1. Cibles identifiées et approches en termes de marché

Dans cette perspective mercantiliste, ceux qui font mine de se désintéresser des télé-activités86, ceux qui accusent en terme de pratiques un retard qui fait l’objet de l’opprobre général au sein de leur propre « population », ceux enfin qui, conscients du potentiel mais faute de moyens, bricolent pour ne pas se laisser dépasser par les événements font l’objet d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics, des offreurs de technologies et des analystes de marché en quête de chiffres et de statistiques permettant de continuer à alimenter la sphère collective. Ainsi, les Petites et Moyennes Entreprises, les milieux ruraux, les organisations à la traîne dans le secteur de l’éducation ou de l’associatif par exemple, sont visés très régulièrement par de nouveaux services, conçus spécialement pour répondre à leurs besoins, et chargés de les faire passer de l’ère supposée du Minitel à celle du multimédia en faisant l’économie des étapes intermédiaires, faute de pouvoir se permettre d’y consacrer du temps. On a donc très clairement et très logiquement une approche en termes de marché particulièrement active et structurée. Si celle-ci ne se préoccupe pas forcément de recenser au préalable de vrais besoins, elle permet au moins de comprendre à quel point ces retardataires font partie intégrante de son plan de développement, quand ils ne sont pas les principaux vecteurs de sa pérennité sur le long terme.

Par exemple, M. Castells raille, et sans complaisance, une partie de l’industrie américaine du multimédia en montrant qu’elle s’est évertuée pendant plusieurs années à diversifier son offre en matière de divertissements alors qu’une des enquêtes les plus complètes, réalisée en 1994 par C. Piller sur un échantillon de six cents adultes, a révélé que ceux-ci souhaitaient davantage utiliser le multimédia pour accéder à de l’information et participer aux affaires municipales87. Le sociologue souligne l’écart entre les produits conformes à une idée pré-conçue du public et la nature de la demande que celui-ci formule lorsque le contexte l’y autorise ou incite. Comme nous l’avons déjà souligné, si les télé-activités sont censées toucher l’ensemble des secteurs économiques, toutes tailles d’entreprises confondues, et l’ensemble des populations d’une société, il reste que ces deux cibles sont particulièrement visées et ce parce qu’elles représentent des possibilités de niches multiples et un gisement de chiffre d’affaire inexploité sans précédent.

Notes
86.

ou qui ont l’audace de n’y accorder qu’une attention toute relative.

87.

Ce qui ne veut pas dire non plus que les besoins exprimés lors d’éventuelles études de marché n’aient pas fait ressortir un souhait en faveur d’une diversification des divertissements. D’abord, parce que les deux ne sont pas incompatibles, ensuite parce qu’il faut savoir poser la bonne question pour obtenir la bonne réponse, ou savoir ne pas orienter la question pour ne pas induire la réponse.