Chapitre 3 : la diffusion des télé-activités, entre contradictions théoriques et pratiques consensuelles

Tout l’environnement que nous venons de décrire doit être éclairé à présent par les approches théoriques qui tentent de prendre en charge ce thème de la diffusion de l’innovation. Si nous nous permettons de parler de tentative, ce n’est certainement pas par manque de déférence vis à vis des auteurs qui ont porté ces recherches mais plutôt pour insister sur leur caractère nécessairement non abouti. C’est également le moyen d’illustrer le propos que laisse entendre notre titre de chapitre, à savoir la difficulté d’obtenir une vision commune d’un même phénomène et, par là-même, la nécessité de se rendre à la raison en optant pour la réconciliation des approches, chacune trouvant son reflet dans le champ d’application que nous avons présenté et supposant un complément d’explication pour emporter l’adhésion.

Pour progressive et régulière qu’elle soit, la pénétration de technologies nouvelles (et en conséquences d’utilisations nouvelles, puis d’usages nouveaux) ne doit rien à un déterminisme technologique, ni à une toute puissance de l’innovation et comme le souligne N. Alter « ‘la diffusion de l’innovation ne représente pas une réelle logique économique mais une série de décisions prises en situation de forte incertitude’  » (Alter N., p64, 1996)94. Cela semble en tous cas très vrai en ce qui concerne les télé-activités. Il n’existerait donc pas forcément de milieu plus ou moins récepteur mais plutôt des ensembles d’acteurs, divers, ayant plus ou moins d’intérêt pour l’usage, qu’il soit prévu ou pas. En d’autres termes, cela consiste à dire que ni les propriétés de l’innovation, ni celles de son terrain d’accueil ne suffisent à faire le succès d’une innovation95.

Ceci nous amène alors à interroger les deux principaux courants qui ont pris en charge cette question de la diffusion de l’innovation afin de confronter leurs postulats et conclusions aux remarques que nous avons déjà formulées quant à l’état de développement des télé-activités. La question centrale devient dans ce cas celle de la nature des réseaux sociaux ou des différents chemins que doit emprunter une innovation pour rencontrer son public d’adopteurs et, symétriquement, celle des différentes étapes qui permettent de faire émerger une demande. En bref, il faut alors pouvoir répondre à la question suivante : à quoi et/ou à qui tient le succès d’une innovation96 (Akrich M., Callon M. et Latour B., 1988) ?

Notes
94.

Cette remarque de l’auteur s’inscrit dans une présentation critique de la sociologie de la traduction mais nous pensons que ces propositions dépassent largement le cadre de ce courant et valent pour toute analyse de l’innovation. Voir Alter N., (1996), « Sociologie de l’entreprise et de l’innovation », PUF, Paris.

95.

M. Kranzberg énonce une loi sur la relation entre la technologie et la société qui permet de comprendre que sa diffusion, son déploiement ne relève pas du “ destin ” mais bien de l’action sociale et de l’analyse : « la technologie n’est ni bonne ni mauvaise, pas plus qu’elle n’est neutre ». Kransberg M., (1985), « The information age, evolution or revolution ? », Information technologies and social transformation, Bruce R. Guiles Ed., Washington D.C.

96.

Akrich M., Callon M. et Latour B., (1988), « A qui tient le succès des innovations ? », Gérer et comprendre nos 11 et 12.