1. De la tentation déterministe à la toute-puissance de la technologie

A l’instar de D. Boullier qui écrit que « ‘le modèle diffusionniste de l’innovation n’est pas recevable comme tel mais (que) ce n’est pas une raison pour oublier les questions qu’il pose’  » (Boullier D., 1989)97, nous voulons, dans cette section, présenter les points essentiels de ce courant et montrer en quoi sa connaissance permet d’approcher plus finement notre objet, y compris pour se garder de commettre des erreurs commises notamment lors du processus d’informatisation des P.M.E.

Comme son nom l’indique, l’approche diffusionniste est centrée sur la phase de diffusion de l’innovation, ce qui signifie que l’étude porte sur l’après-coup et qu’elle ne permet pas de comprendre le développement d’une innovation. Son intérêt principal consiste en une description morphologique des groupes d’accueil et en une construction d’indicateurs et de populations-type (Boullier D., 1989)98 qui aident, selon nous, à l’observation et à la compréhension heuristique du processus de diffusion. Ces catégories, dites idéaux-types, basées sur des données empiriques et destinées à autoriser les comparaisons n’ont, à priori, que peu à voir avec la réalité. Pourtant, elles ne sont pas sans valeur : « ‘ces constructions ont en effet le caractère d’une utopie que l’on obtient en accentuant par la pensée des éléments déterminés de la réalité »’ (Weber M., cité par Durand J-P., Weil R., p62, 1994)99. Le concept d’idéal-type se propose de former le jugement d’imputation, en ce sens qu’il n’est pas lui-même une hypothèse mais qu’il cherche à guider l’élaboration d’hypothèses, y compris dans le sens de l’infirmation100. C’est très exactement dans cette perspective que l’analyse du courant diffusionniste aide à la délimitation de notre objet. Ainsi, ce courant peut peut-être nous éclairer sur les mécanismes à l’oeuvre lors de l’informatisation des P.M.E. qui, de 13% en 1980, ont fait grimper le pourcentage d’adopteurs à 80% en 1991 : s’agissait-il simplement d’un phénomène boule de neige, comme le désigne le langage courant, ou bien au contraire d’un processus cumulatif mais aussi stratégique où les mécanismes d’influence s’enchaînent aussi parfaitement que dans une machine bien rodée ?

Notes
97.

Boullier D., (1989), « Du bon usage d’une critique du modèle diffusionniste, discussion-prétexte autour des concepts de E. Rogers », Réseaux n° 36, juin.

98.

Boullier D., (1989), op. cit.

99.

Durand J-P., Weil R., (1994), « Sociologie contemporaine », Vigot, Paris.

100.

M. Weber insiste sur le fait que l’idéal-type n’est pas un exposé du réel mais se propose de doter l’exposé d’expressions univoques ; on l’obtient en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, et ce pour former un tableau de pensée homogène. Ce qui complique la signification de ces présentations tient au fait qu’elles sont non seulement des idéaux-types du point de vue logique mais aussi du point de vue pratique, c’est-à-dire des types exemplaires.